Nous remercions l’écrivain-documentariste, David Dufresne, pour cette contribution. Le journaliste connu pour se consacrer aux questions de police et de libertés publiques a suivi de près l’examen du texte sur la Sécurité globale au Palais Bourbon. Le texte voté au Sénat est restitué ici dans son contexte. On le sait, le résultat du vote est affligeant, mais l’acuité de ce regard nous sauve au moins de l’indifférence dans laquelle il a été adopté.


 

En ce jour de confinement 3, au Sénat, il se trouvait des représentants du peuple pour démolir nos/leurs libertés. Le spectacle était terrible. C’était affligeant. Drones pour tous, et pour tout ; reconnaissance faciale qu’on s’interdit d’interdire ; privatisation de la sécurité. Et article 24 adopté. Ce 18 mars, comment en vouloir à la population, suspendue aux annonces de Jean Castex ? Hasard du calendrier, ou pas, et qu’importe, pendant ce temps, au Sénat, il se trouvait des représentants du peuple pour démolir nos/leurs libertés. Et quasiment pas de médias-qui-comptent pour s’en faire l’écho.

Ce furent 72 heures terribles. 72 heures pénibles 1. Où tout était dit, parfois en mode « gélatine », pour reprendre les mots d’un sénateur. La soif sécuritaire, la revendication totalitaire, le pari de la surveillance. Tout était bon, dans un grand fracas de mensonges et de raccourcis, les Kalashnikov de Marseille, l’épouvantable drame de Magnanville, le Bataclan, les Gilets Jaunes, le Bloc, black, enfin pas clair et l’excellence des débats (au Sénat, on sait s’auto-congratuler, à un point rare que ça force le respect).

 

 

Derrière les sourires de certains, que des masques de tissus ne voulaient plus dissimuler : les encouragements d’autres ; ce fut une majorité auto-satisfaite au Sénat qui, la fleur au fusil, nous sommait de nous taire, pendant qu’elle écrabouillait tout idéal dont elle se réclame : la République. Darmanin lui-même évoqua l’an II. Et Prévert. Et Max Weber — éternel incompris.

Au palais Bourbon, il fallait croire à la technologie, et baiser les pieds de ses apôtres. On entendit même cet argument : les-caméras-piétons-des-policiers-sont-trop-nazes-pout-être-capables-du-moindre-début-de-reconnaissance-faciale. Il fallait, au-delà de tout, s’en remettre au « bon sens » invoqué comme un Sésame, faute de mieux, et de vision réellement revendiquée (hormis Stéphane Ravier, ex-RN, total obsédé par les « milices d’ultra gauche », les autres sécuritaires jouant au jeu faux des grands défenseurs de nos petites libertés ; gênés ou hypocrites ? Mention spéciale à la dame extrême centriste qui, en même temps, sacrifiait les libertés et s’abaissait dans les pires compliments au gouvernement, tel un entretien d’embauche d’autant pathétique qu’il était vain).

Quelques vaillants élus tentaient bien de sauver l’honneur perdu d’une République en perdition. Parmi eux, ou plutôt parmi elles tant les femmes étaient majoritaires : Éliane Assassi, Esther Benbassa, Sophie Taillé-Polian et Jérôme Durain. Mais le spectacle était terrible. C’était affligeant. Drones pour tous 2, et pour tout ; reconnaissance faciale qu’on s’interdit d’interdire (donc, qu’on autorise) ; bras ouverts à la surveillance massive et intensive ; applaudissements devant la transmission en direct des images des caméras-piétons ; privatisation de la sécurité et forces de l’ordre qui, armées, pourront désormais se rendre hors service aux concerts, théâtres, cinémas. Et article 24 adopté. Liste exhaustive des défaites ici ou . Les votants ici.

Pour amuser la galerie, on sortit du bois les gardes-champêtres, belle et bucolique diversion. Mais pas touche à l’IGPN, pas touche au contrôle sur le contrôle de la police. Les violences-policières ? Un oxymore, selon Darmanin. La défiance d’une partie de la population envers sa police ? Une lubie de gauchos.

Et puis, le pompon, le moment de bascule. Quand un rapporteur propose (avec succès, ce sera adopté) qu’on change le nom de la loi. Elle s’était d’abord appelée continuum sécuritaire : trop littéraire. Puis Sécurité globale : trop évidente. Désormais, elle porte pour petit nom3 Loi pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés : tellement orwellien.

David Dufresne

 


Dernier ouvrage de David Dufresne: Dernière sommation (Grasset)


 

Notes:

  1. Mais, heureusement, partagées avec des milliers de viewers sur Twitch, armée de drôles, d’inquiets, d’esprits pleins d’esprit : jour 2, jour 2 suite, jour 3 et jour 3 vote final
  2. Darmanin : « tout le monde a des drones, la police doit en avoir »
  3.  amendement 381
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