Le budget 2021 voté en novembre à l’Assemblée nationale doit passer par le Sénat. Il est loin d’être définitif. Il tend à baisser d’un chouia la pression fiscale française quitte à augmenter la dette nationale, et à soulager tant bien que mal la panne de l’économie causée par la pandémie en cours.


 

Ce replâtrage comprend notamment, pour les entreprises, une baisse des impôts dits de production de 10 milliards ; et un plan de relance de l‘économie de 100 milliards pour compenser les effets du Covid-19 donc du confinement. Ça veut dire quoi ?

Les impôts de production, une anomalie française qui favorise les firmes cotées en bourse.

Les impôts de production (C3S, une contribution sociale, CVAE et CFE, taxes locales versées aux collectivités où l’entreprise est localisée), rapportent normalement autour de 70-75 milliards par an. Ils sont de loin les plus lourds d’Europe. Ce ne sont pas des impôts sur les profits mais sur la valeur ajoutée et ils augmentent avec le chiffre d’affaires. Ils rapportent plus de deux fois plus que l’IS, impôt sur les profits. Ils favorisent les importations (qui ne supportent pas ces charges) et dévalorisent les exportations (parce qu’elles renchérissent les produits français) ; donc les entreprises multinationales, qui peuvent choisir entre produire en France ou importer, savent le mieux les éviter alors que les petites entreprises n’y échappent pas. Ils frappent indifféremment l’entreprise prospère et celle en difficultés, donc participent à l’aggravation du chômage.

 

Seules les firmes cotées profitent de la financiarisation.

Maintenant voyons le contexte, du point de vue de nos lecteurs. La France compte 140 000 entreprises d’au moins dix salariés, mais seulement 525 entreprises cotées en bourse, donc financiarisées et globalisées. Financiarisées veut dire que, leurs actions étant cotées en bourse, leur stratégie favorise la maximisation du cours, donc le seul actionnaire, et à court terme : l’argent gagné devient des dividendes plutôt que des salaires, des investissements… et des impôts parce que les firmes cotées profitent bien mieux de l’optimisation fiscale, c’est-à-dire des lois facilitant le déplacement des profits vers les paradis fiscaux. Ce sont donc ces firmes cotées qui profitent de la financiarisation (voir plus sur http://comitebastille.org/la-financiarisation/) laquelle, depuis 40 ans, nous impose l’austérité, le chômage et l’endettement. Toutes les autres entreprises en souffrent.

La crise financière partie en 2008 d’Amérique (comme les autres) fut replâtrée en augmentant fortement le déficit et la dette publique. Elle a ensuite continué à lentement augmenter parce que jusqu’en 2017 l’État a continué à dépenser plus que ce qu’il encaissait comme recettes, et depuis n’a pas réussi à redresser la barre. Jusqu’à 2008, la dette publique de la France était modérée. Elle a fortement augmenté alors, Sarkozy étant président. Crise financière, dette, déficit… Mais que veut dire ce charabia ? Reprenons en parlant sérieusement, donc simple.

 

Votre économie personnelle ressemble à l’économie française…

Imaginez que vous êtes propriétaire de votre logement qui vaut 200 000 € et que vos revenus sont de 32 000 € par an donc 16% de votre patrimoine. Vous avez dû emprunter 100 % de vos revenus annuels, soit aussi 32 000 € pour faire d’importants travaux chez vous. Vous devez les rembourser sur huit ans à 3,5 %, soit 390 € par mois. Vous y arriverez.

Vous êtes dans la situation de la France, c’est-à-dire de l’ensemble des Français (particuliers, entreprises, banques, Sécu… et l’État), propriétaires d’un patrimoine qui vaut environ 15 000 milliards d’euros. La totalité des recettes de la France (on dit le Produit intérieur brut, PIB) est de 2 400 milliards d’euros/an et la dette, en Janvier 2020, est environ 100 % de son revenu (son PIB) qui comme le vôtre vaut 16 % de son patrimoine. Depuis Janvier, elle a augmenté.

Mais ce n’est pas une dette unique. C’est beaucoup d’emprunts successifs, de durées et intérêts différents, qui s’additionnent et se succèdent. À tout moment, 50 personnes du Quai de Bercy gèrent cette dette, payent les emprunts en cours et en négocient des nouveaux. Mais aujourd’hui les intérêts payés sur chaque emprunt sont proches de 0 % et même quelques fois négatifs : l’État gagne de l’argent en empruntant ! Comment cela se fait-il ?

Le monde, plus que vous, a confiance en la France, qui n’a pas fait défaut depuis 1797…

Votre banque a confiance en vous. C’est pourquoi elle ne vous charge « que » de 3,5 % d’intérêt et veut bien attendre huit ans.

De même, la finance mondiale fait confiance à la France, au point de lui prêter souvent à des taux négatifs ! La dernière fois qu’elle a fait défaut sur sa dette c’était en 1797…  depuis, l’Allemagne a fait défaut trois fois, la dernière fois en 1953.

 

« Aux arbres citoyens » Matta ©BercyPhoto

 

La pandémie fait peur. Et la peur est mauvaise conseillère.

Les taux sont négatifs parce que la finance mondiale a trop d’argent liquide dont elle ne sait quoi faire. D’où vient cet excès d’argent ? Et pourquoi ne déclenche-t-il pas d’inflation comme cela s’est toujours passé quand il y avait trop de liquide pour pas assez de besoins ?

La financiarisation a provoqué l’austérité depuis les années 80 tout en provoquant une « bulle financière » en 2008 et en en préparant une autre : les marchés boursiers, que la pandémie avaient fait baisser, sont repartis de plus belle. Donald Trump se vantait encore hier que le Dow Jones avait atteint 30 000 points, un record. L’austérité a provoqué le chômage et a accru les inégalités. La pandémie a déclenché la peur qui aggrave les choses. Alors comment se fait-il que la bourse va si bien quand l’économie va si mal ? Intéressant, non ?

Parce qu’il y a dans le monde de moins en moins de firmes cotées en bourse. À Wall Street on est tombé de 8 884 firmes en 1997 à 3761 en 2016 et ça continue. Par contre la valeur de ces firmes — on dit leur capitalisation — est passée de 3 000 milliards en 1976 à 25 300 milliards en 2016 ! Comme il y a de plus en plus d’argent cherchant à se placer, ou bien l’argent dort dans votre compte courant ou Livret, ou encore dans l’immobilier, ou bien il est converti en actions et en gonfle la valeur au point qu’elle n’a plus aucun sens ! Avec cet argent, les firmes cotées rachètent d’autres firmes en s’endettant — ça ne coute rien — et font encore monter les cours en diminuant encore le nombre des firmes cotées : le serpent qui se mange la queue… Nous vivons dans la plus formidable Pyramide de Ponzi jamais connue (voir https://www.lesprosdeleco.com/pyramide-ponzi/).

 

Les banques centrales rachètent de la dette et… se défiant de leurs propres monnaies, achètent de l’or.

Les banques centrales (la BCE, la Fed…), qui sont les banques des banques, ont réagi en autorisant la création de monnaie. Elles le font en rachetant des dettes, et en laissant les banques faire plus de crédit, tandis que les nations s’endettent plus pour mettre plus de monnaie en circulation (créer de la masse monétaire). Car sachez le bien, pour créer de la monnaie avant 1980, la Banque de France en imprimait ou en prêtait sans caution ; mais depuis — bravo la financiarisation — un pays ne peut plus augmenter sa masse monétaire qu’en empruntant ! Ainsi, la dette de la France, de 22% de son PIB en 1980, 100 % en Janvier 2020, atteint en Décembre 125 %. C’est pareil pour l’Europe et les États-Unis. Cela n’a pas semblé créer de l’inflation parce qu’en même temps l’austérité poussait à mettre de côté notre argent plutôt que de le consommer : depuis Janvier — la pandémie — l’épargne liquide des Français a augmenté de 1500 à 1560 milliards qui continuent à ne rien rapporter, comme vous le savez bien. Où mettre son argent, alors ?

Les banques centrales le savent pour leur compte : elles achètent de l’or qui, lui, a augmenté de plus de 700 % de 2000 à aujourd’hui. C’est là que se trouve l’inflation… Les prix de gros des denrées alimentaires (FAO) ont augmenté de 70 % depuis 1980… mais de 10 % en un an. Les prix du pétrole ont peu augmenté, mais parce que l’austérité en réduit la consommation…

 

Que faire dans l’immédiat ? Que devraient faire nos gouvernants dans le long terme ?

Depuis les années 80, nos gouvernements successifs ont fait du replâtrage sans remettre en question notre politique fiscale. Le seul changement est allé dans le mauvais sens : la tentative d’abolition de l’ISF, la goutte d’eau qui a fait apparaitre les Gilets Jaunes… (À suivre le mois prochain.)

 

André Teissier du Cros


BIBLIOGRAPHIE: • Éditions Robert Laffont : L’innovation – Pour une Morale du Changement (1971). • Eyrolles : L’innovation malade de l’impôt (1980). • Xulon Press, USA, (traduction, bibliographie et introduction) The Fifth Rung on Jacob’s Ladder (Jacques Caubet, 2005) • Éditions L’Harmattan : La France, le bébé et l’eau du bain (2010), et La Taxe sur l’Actif Net ou Impôt Progressif sur le Patrimoine Dormant (2016). • Éditions Amalthée : Néander – 1-le peuple sans haine ni mépris (Juillet 2020)


 

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Président honoraire et fondateur du Comité Bastille, Membre de l' Académie des Hauts Cantons, fauteuil XXVI, André Tessier du Cros a vécu aux États-Unis de 1983 à 2008. Consultant en stratégie, économiste d’entreprise et dirigeant par intérim pour producteurs de biens industriels (1972-2008) ; il est intervenu dans 32 pays. Président, Alliance Française d’Atlanta (2007-2009). Président du Chapitre USA Sud-Est des Conseillers du Commerce Extérieur (1988-2001), Il a également enseigné au Georgia Institute of Technology l’Évaluation de compétitivité stratégique dans les industries manufacturières (1994-2001) • Ingénieur-Docteur SupMéca, ISMCM , il a été rapporteur auprès de la Commission Nationale pour l’Innovation (1967-1971).