France – Migrant

 


Feu vert : le Conseil constitutionnel a très largement validé la loi asile et immigration adoptée le 1er août par l’Assemblée nationale au terme de plusieurs mois de débats. La non-conformité partielle de la décision porte sur des points de procédure parlementaire.


Le texte final, qui sera publiée au Journal officiel dans les prochains jours, reste dans la lignée du projet présenté en Conseil des ministres fin février par le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb.

 

Depuis 1980, il s’agit de la 28e loi sur l’immigration – soit en moyenne une réforme tous les seize mois. La dernière loi sur l’asile remonte à juillet 2015, et celle sur les étrangers à mars 2016. Cela pose des problèmes d’appropriation pour les premiers concernés, les étrangers, et pour les professionnels (travailleurs sociaux, avocats, magistrats, …), et soulève la question de la lisibilité et de l’effectivité du droit.

Selon le gouvernement, cette loi poursuit trois objectifs : la réduction des délais d’instruction de la demande, le renforcement de la lutte contre l’immigration irrégulière et l’amélioration de l’accueil des étrangers admis au séjour pour leurs compétences et leurs talents. En réalité, derrière l’affichage entre « humanité et fermeté », c’est le recul des droits des étrangers qui domine, organisé autour de mesures dissuasives (voir notre article).

 

Asile : procédures expéditives et garanties moindres

Les délais pour demander l’asile sont écourtés : au lieu de 120 jours pour déposer sa demande une fois arrivé en France, un étranger ne disposera plus que de 90 jours. Passée cette échéance, il courra le risque d’être placé en « procédure accélérée », une procédure dérogatoire dont les délais sont plus serrés et où la Cour nationale du droit d’asile statue à juge unique (et non en formation collégiale de trois juges). Cette mesure ne répond pas à l’engorgement des dispositifs d’asile et fragilise les demandeurs. D’autres délais sont raccourcis, comme celui pour demander l’aide juridictionnelle (souvent nécessaire pour se faire accompagner par un avocat) en cas de recours contre une décision de l’Ofpra, l’organisme qui instruit les demandes d’asile.

Plusieurs catégories de demandeurs d’asile pourront se voir expulsées du territoire français avant d’avoir épuisé toutes les voies de recours (y compris devant la Cour nationale du droit d’asile). Cela concerne notamment les demandeurs issus de pays d’origine dits sûrs.

La langue d’échange pourra être choisie par l’administration et la notification des décisions pourra se faire sur tout support (y compris par SMS ou email).

La Cour nationale du droit d’asile pourra imposer la visio-conférence pour l’audience du demandeur, sans son consentement. Cela soulève des questions par rapport au droit à un procès équitable (article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme) et à l’organisation de l’audience (l’avocat sera aux côtés de son client, mais du coup, loin du juge).

La loi prévoit un schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés, soit une répartition des demandeurs d’asile sur le territoire. Ce schéma existe en réalité déjà, mais est peu appliqué. En cas de non-respect, l’administration pourra suspendre l’allocation du demandeur d’asile (6,80 € par jour pour une personne seule).

 

Immigration : plus d’enfermement et une limitation du droit du sol à Mayotte

La durée de la rétention, un dispositif qui n’a en principe pas vocation à punir, mais à permettre à l’administration d’organiser l’éloignement d’un étranger, est doublée : aujourd’hui de 45 jours maximum, elle pourra demain aller jusqu’à 90 jours. La rétention n’a pourtant pas fait la preuve de son efficacité (voir ici également). La rétention des enfants n’est pas interdite, alors que les dommages psychologiques d’un enfermement, même court, sont considérables à cet âge. D’autres enfermements sont prévus (assignation à résidence pour 45 jours renouvelables une fois pour un étranger ayant reçu une obligation de quitter le territoire français).

Le délit de solidarité subsiste avec quelques aménagements.

A Mayotte est instaurée une dérogation au principe du droit du sol : un enfant né de parents étrangers ne pourra acquérir la nationalité française à la majorité qu’à condition expresse que l’un de ses parents ait résidé en France de manière régulière et ininterrompue pendant plus de trois mois avant sa naissance.

Le texte porte le projet d’une immigration choisie qui attire les plus diplômés : le passeport talent est étendu aux « salariés d’entreprises innovantes » ainsi qu’à toute personne « susceptible de participer au rayonnement de la France ». Il favorise la mobilité des étudiants et chercheurs entre leur pays d’origine et la France.

 

Intégration : des améliorations peu nombreuses

Vraie amélioration : les bénéficiaires de la protection subsidiaire (une protection complémentaire au statut de réfugié qui représentait 42 % des décisions d’accord Ofpra et CNDA en 2017) se verront accorder une carte de séjour pluriannuelle de quatre ans et non plus un titre d’un an renouvelable par périodes de deux ans. Le statut de réfugié, lui, ouvre droit à une carte de résident de dix ans.

Les demandeurs d’asile pourront travailler à partir de six mois après leur entrée sur le territoire, contre neuf mois aujourd’hui. Mais en pratique, l’autorisation de travail restera soumise à un régime restrictif.

La réunification familiale est étendue aux frères et sœurs pour les mineurs non accompagnés ayant obtenu une protection : les parents les rejoignant pourront désormais venir avec les enfants mineurs dont ils ont la charge. En 2017, seuls 381 mineurs non accompagnés ont obtenu une protection.

Alors que pour la première fois, la loi évoquait l’enjeu des déplacés environnementaux, cette disposition a été déclarée non conforme à la Constitution pour des raisons de procédures.

Le texte entrera en vigueur en trois étapes : pour certaines dispositions, dès la publication au Journal officiel, dans les prochains jours ; pour d’autres, au 1er janvier ; pour d’autres encore, au 1er mars 2019.

Céline Mouzon