Sept ans après l’effondrement d’immeubles insalubres de la rue d’Aubagne, en plein cœur de Marseille, la justice a rendu son jugement lors du procès de 16 personnes morales et physiques pouvant être tenues pour responsable de ce drame qui avait emporté huit locataires des immeubles concernés.
Dans sa décision rendue hier, le tribunal judiciaire de Marseille a condamné trois des copropriétaires poursuivis — dont un élu régional et avocat du syndic de copropriété de l’immeuble où habitaient les huit victimes — à de la prison ferme, sous bracelet électronique. L’architecte-expert qui avait bâclé une visite de l’immeuble quelques jours à peine avant le drame et l’élu à la ville alors en charge du logement insalubre écopent, eux, de sursis.
Propriétaire d’un appartement du 65 rue d’Aubagne, mais également avocat du syndic de copropriété de l’immeuble, et à l’époque élu LR au conseil régional Paca, Xavier Cachard a, lui, été condamné à quatre ans de prison, dont deux ans ferme à effectuer sous bracelet électronique. Pour le président du tribunal correctionnel de Marseille, « les fautes commises par Xavier Cachard constituent les fautes les plus graves » dans ce dossier. Car en tant que copropriétaire et avocat du syndic, il a adopté « une stratégie d’obstruction de réalisation des travaux nécessaires » dans l’immeuble avec une « emprise manifeste sur les décisions et les votes », sans parler de son « indifférence déplorable » sur l’état du logement qu’il louait, a développé le magistrat.
Quant à Julien Ruas, le seul élu de la municipalité alors en place, sous la direction de Jean-Claude Gaudin (LR), maire pendant 25 ans, jusqu’en juin 2020, il a lui aussi échappé à la prison ferme, avec une peine de deux ans avec sursis. Dans son jugement, Pascal Gand a souligné « l’absence de stratégie politique visant à diligenter des procédures de périls » de la part de cet élu, qui avait ainsi « ignoré les enjeux en matière d’habitat dégradé marseillais ». Dernier des 16 prévenus, le cabinet Liautard, syndic du 65 rue d’Aubagne, a été condamné à 100 000 euros d’amende. Jean-François Valentin, ancien gestionnaire du cabinet en charge du 65 rue d’Aubagne, a lui été condamné à trois ans de prison avec sursis et à une amende de 8 000 euros.
Le fils de l’une des victimes a livré une réaction en demi-teinte après la relaxe de plusieurs prévenus. « Je pense que la justice a été rendue, même si a aucun moment on ne s’attendait à des relaxes dans cette affaire », a-t-il confié à la sortie du tribunal, en indiquant ne pas souhaiter faire appel. « Nos propriétaires ont été condamnés sévèrement, même si on souhaitait que ce genre de personnes aillent faire un tour aux Beaumettes (la prison de Marseille) comme tous les autres citoyens ».
Mise à jour le 8 juillet
avec Afp
La justice rend aujourd’hui son jugement dans le procès des effondrements de la rue d’Aubagne, pour dire si un ou plusieurs des 16 prévenus peut être tenu pour responsable de ce drame du logement indigne qui a traumatisé Marseille en 2018.
Qui de l’adjoint au maire, de l’expert, du syndic ou des copropriétaires a commis une éventuelle faute pénale ? De l’avis de tous, le débat juridique est extrêmement complexe et le président Pascal Gand, qui doit rendre sa décision à partir de 10h00, pourrait prendre un temps significatif pour expliquer une décision murie pendant sept mois.
« Le tribunal a une grande responsabilité, mais qu’il soit sûr que nous, les familles, on croit dans leur travail, on croit dans leur conscience », dit à l’AFP Liliana Lalonde, mère de Julien Lalonde, mort à 30 ans dans ce drame avec sept autres locataires du 65 rue d’Aubagne, en plein centre-ville. Elle espère « un message fort, à savoir des punitions, des condamnations qui puissent les faire réfléchir et surtout les convaincre qu’ils ne peuvent plus continuer (comme avant). Parce qu’à mes yeux ils sont tous responsables, à différents degrés, mais tous responsables ».
Le procès, qui s’est tenu pendant un mois et demi à l’automne, était bien plus qu’une simple affaire judiciaire et la « salle des procès hors normes » avait accueilli toute la colère et la tristesse de la ville. Au fil des audiences, les larmes avaient abondamment coulé face aux récits des parcours lumineux ou cabossés des victimes. Notamment à l’évocation du petit El Amine, fils d’Ouloume Saïd Hassani, « parti le matin avec son cartable et le soir, plus de maman, plus de vêtements, plus rien ».
Les débats ont permis d’établir que les effondrements des numéros 63 (vide) et 65 étaient inéluctables vu l’état du bâti. Mais aucune mise à l’abri des locataires du 65 n’avait été décidée et les travaux entrepris s’étaient avérés inefficaces voire contreproductifs.
L’instruction avait renvoyé devant le tribunal quatre personnes : Julien Ruas, adjoint du maire LR de l’époque Jean-Claude Gaudin, l’architecte Richard Carta qui avait expertisé l’immeuble moins de trois semaines avant son effondrement, et deux personnes morales, le syndic du 65, le cabinet Liautard, et le bailleur social propriétaire du numéro 63, laissé à l’état de ruine par Marseille Habitat.
Insuffisant pour certaines parties civiles qui avaient cité à comparaître une douzaine de personnes supplémentaires, dont des copropriétaires.
Au final, 16 personnes morales et physiques ont été jugées pour différents délits, notamment homicide involontaire par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité : cinq ans de prison maximum. Soumission de personnes vulnérables dont au moins un mineur à des conditions d’hébergement indigne : jusqu’à dix ans d’emprisonnement.
Quid des copropriétaires ?
Le tribunal va-t-il condamner les propriétaires, qui n’avaient pas été poursuivis par le juge d’instruction ? Le procureur Michel Sastre avait suivi les parties civiles sur ce point, estimant que les copropriétaires avaient bien « connaissance des problèmes structurels de l’immeuble », mais avaient « joué la montre » pour « dépenser le plus tard et le moins possible ».
Il avait même requis à l’encontre de Xavier Cachard, élu régional qui avait au moment des faits la double casquette de propriétaire et avocat du syndic, la peine la plus lourde : cinq ans de prison dont trois ferme.
Des peines significatives avaient aussi été réclamées contre Richard Carta, l’expert-architecte (trois ans de prison dont deux ferme) et Julien Ruas (trois ans de prison), seul élu municipal poursuivi dans cette affaire qui avait jeté une lumière crue sur l’inaction de l’équipe de Jean-Claude Gaudin, dont le parti perdra la mairie deux ans plus tard face à une coalition gauche-écologistes-société civile.
Durant les débats, les prévenus avaient contesté en bloc, les avocats plaidant des relaxes en cascade. Julien Ruas, chargé de la prévention et de la gestion des risques urbains, avait dit refuser « d’endosser toutes les responsabilités de la mairie de Marseille ».
À Marseille, où l’habitat indigne prospère sur la précarité, ces décisions comptent. Depuis le drame, la justice de la deuxième ville de France n’hésite d’ailleurs plus à envoyer les marchands de sommeil en prison, comme en mars le propriétaire d’une trentaine de studios insalubres dans une ex-résidence universitaire.
Afp
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