Le Sénat a rejeté lundi soir le plan de déconfinement du gouvernement qui prévoit une réouverture des commerces et une reprise progressive de l’activité économique dès le 11 mai. Ce plan, mis en place dans le cadre de l’état d’urgence, dévoile les contradictions d’un gouvernement de plus en plus fragilisé.


 

L’exercice s’avère de plus en plus difficile pour le premier ministre qui s’est octroyé les pleins pouvoirs pour des raisons de sécurité sanitaire. Mais le plan de déconfinement, considéré par Édouard Philippe « comme un redoutable exercice technique », vise en premier lieu à relancer la croissance française — dont la chute est plus prononcée que dans le reste de la zone euro (1). Si le calendrier de déconfinement coïncide partiellement avec la reprise d’activités dans plusieurs pays d’Europe, la méthode française apparaît très contraignante en termes de libertés publiques. Elle soulève aussi de nombreuses questions sur la répartition du pouvoir et des responsabilités entre l’État et les collectivités territoriales.

L’attitude du « en même temps » imprimée par Emmanuel Macron devient très difficile à tenir lorsqu’il s’agit de réaliser des objectifs contradictoires, et davantage encore lorsqu’on entend les faire réaliser par d’autres. Les Français, les travailleurs sociaux et hospitaliers, les élus et les collectivités territoriales… sont invités à « s’adapter pour que l’on avance tous ensemble », alors que sur le terrain chacun constate le manque de cohérence des orientations poursuivies et l’absence de l’État. Sur fond d’une dégradation générale des principes de notre démocratie et de baisse de tous les indicateurs de production, le sentiment d’une action menée au mépris des règles, en termes de santé publique, dans la précipitation et le manque de cohérence est partagé par de nombreux acteurs.

En première ligne, les professionnel.le.s de santé et du médico-social, premières victimes collatérales de la gestion calamiteuse de cette crise sanitaire, ne se font pas entendre pour se faire plaindre mais pour dénoncer le système économique et politique à l’origine de la crise. À leurs côtés, des couturières interpellent le gouvernement pour que le temps consacré à la confection de masques soit rémunéré.

 

La théorie se heurte à la pratique

 

Les régions comme les Départements ou les collectivités qui ont anticipé les besoins depuis plusieurs semaines en équipant leurs agents pour faire face à la crise sanitaire appréhendent désormais les répercussions de la crise économique. Après avoir contribué financièrement, souvent volontairement, pour faire face à l’urgence, ils demandent un plan d’aide aux collectivités pour prévenir les effets du tsunami social et économique attendu, sans obtenir la moindre réponse. « Nous nous trouvons face à un raisonnement technocratique qui nous plonge dans une incompréhension totale », constate le Président du Conseil Départemental de l’Hérault, Kleber Mesquida.

Tenus après le débat à l’Assemblée du 28 avril, les propos du maire de Vauvert (Gard) et conseiller régional, Jean Denat, illustrent bien l’état d’esprit des élus locaux : « Le Premier Ministre a posé des mots, nous attendons des actes. Après les injonctions contradictoires qui ont animé le débat public sur l’utilité des masques, l’existence et la nécessité de tests, le confinement de nos aînés, les conditions d’ouverture des écoles, le redémarrage de l’économie, les règles en matière d’évènementiel, on attendait beaucoup, et surtout de la clarté, du discours du Premier Ministre sur le plan de déconfinement. Les réponses apportées, si elles apparaissent dans bien des cas nécessaires, restent toutefois insuffisantes, données sous forme de conseils ou de recommandations et dénuées de tout pragmatisme opérationnel » (2).

La réouverture rapide des écoles, soutenue hier par Édouard Philippe, continue à susciter de l’inquiétude. « Le plan du gouvernement s’appuie sur les collectivités, le préfet et les associations. C’est l’implication de tous qui fera la réussite du déconfinement. Jouons collectifs pour éviter de revenir à des conditions plus drastiques. » Mais alors qu’Édouard Philippe venait à peine de présenter son plan de déconfinement devant le Sénat, Emmanuel Macron s’emparait du sujet appelant, depuis l’Élysée, les Français à aborder cette phase avec « beaucoup d’organisation », de « calme », « de pragmatisme et de bonne volonté », en assurant « comprendre toutes les inquiétudes », en particulier sur la réouverture des écoles. On peut faire mieux en termes d’exemple de jeu collectif…

 

Des maires contre la réouverture rapide des écoles

 

Plus tôt dans la journée, Édouard Philippe avait profité de la présentation de son plan de déconfinement devant le Sénat pour peser de tout son poids en faveur d’une réouverture rapide des écoles. Une mesure décriée par de nombreux maires inquiets de relancer une deuxième vague d’épidémie de Covid-19.

« Cinq mois de décrochage scolaire, pour des dizaines de milliers de jeunes, c’est probablement une bombe à retardement », a ajouté Édouard Philippe en rappelant le plan de « réouverture très progressive des maternelles et de l’école élémentaire à compter du 11 mai, partout sur le territoire et sur la base du volontariat », et à partir du 18 mai pour des collèges dans les départements en vert, peu touchés par le virus. Concernant les collèges, le Premier ministre a indiqué que le port du masque ne serait obligatoire que si les règles de distanciation sociale ne peuvent être respectées.

De très nombreuses inconnues perdurent sur l’après 11 mai, en premier lieu sur la réouverture des écoles qui devront respecter un protocole sanitaire très strict : lavage de mains à répétition, jeux proscrits, désinfection du matériel. Un vrai casse-tête, surtout en maternelle, font valoir certains enseignants. De nombreux maires ont fait savoir qu’ils ne rouvriraient pas les écoles le 11 mai quand d’autres ont demandé un report.

 

Amnistie préalable

 

Le Sénat a par ailleurs donné son feu vert lundi soir, contre l’avis du gouvernement, à un dispositif visant à aménager le régime de responsabilité pénale des employeurs, élus locaux et fonctionnaires qui seront amenés à prendre des mesures pour permettre la sortie du confinement. Le dispositif adopté stipule que pendant l’état d’urgence sanitaire « nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée » pour des contaminations par le coronavirus, sauf en cas d’intention délibérée, imprudence ou négligence. Cet amendement embrasse un champ extrêmement large comprenant employeurs, élus locaux, fonctionnaires…

Il apparaît notamment légitime pour les élus locaux dans la mesure où ils n’ont été ni associés ni consultés  sur les orientations de l’État. Il instaure cependant une amnistie préalable qui dédouane de toute décision inadaptée et risque de renvoyer, in fine, les futures victimes de la société civile à la formule ministérielle restée dans les mémoires dans le cadre du scandale sanitaire du sang contaminé : « Responsable, mais pas coupable. » À près de quarante ans d’écart, cette affaire qui a mis en lumière le manque de stratégie des décideurs politiques dans le domaine de la santé publique résonne avec la crise du Covid-19. Elle a fait s’écrouler le principe d’un État garant du bien-être public aux yeux de l’opinion publique et ouvre à nouveau aujourd’hui un large champ de réflexion.

 

Difficile prise de conscience gouvernementale

 

L’organisation précipitée du débat à l’Assemblée le 28 avril dernier, suivi d’un vote, avait déjà soulevé une levée de boucliers. Les parlementaires, de la droite à la gauche jusque dans la majorité, avaient protesté contre cet examen à la hussarde. Ce même processus s’est poursuivi hier au Sénat au sein d’un hémicycle qui n’a pas digéré l’examen lui aussi précipité du deuxième projet de loi de finance rectificative.

Un rejet qui symbolise la fin de l’union nationale dans la gestion de l’épidémie de Covid-19. En s’abstenant ou en votant contre le projet de déconfinement du gouvernement, une grande majorité de sénateurs ont pris leurs distances, lundi 4 mai, avec une stratégie qui suscite de nombreuses interrogations, notamment chez les élus locaux inquiets d’une recrudescence des infections au coronavirus.

Six jours après avoir été validée par l’Assemblée nationale, la « stratégie nationale de déconfinement » n’a été approuvée que par 81 sénateurs (89 contre) lors d’un vote consultatif marqué par l’abstention du parti Les Républicains et une opposition de la gauche. Ces deux votes, en application de l’article 50-1 de la Constitution, ont surtout une valeur symbolique et pas d’impact sur le lancement du déconfinement prévu à partir du 11 mai. Ils entaillent néanmoins très significativement la concorde nationale, support essentiel à Emmanuel Macron pour maintenir ce qu’il lui reste de crédibilité, et marquent un point de rupture.

Le Sénat a également entamé l’examen du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, fermement décidé à y « inscrire des garanties essentielles » en vue du déconfinement, notamment sur le suivi des malades du coronavirus et leurs contacts. L’examen dans l’hémicycle du Sénat se poursuivra mardi après-midi et éventuellement le soir. Le texte ira ensuite à l’Assemblée nationale, en vue d’une adoption définitive avant la fin de semaine.

Jean-Marie Dinh avec AFP

 

(1) La variation trimestrielle du PIB français est de -5,8% au premier trimestre contre -3,8% dans le reste de la zone euro. Le recul du PIB français pourrait atteindre 20% au deuxième trimestre, selon l’INSEE.

Mise à jour 6 mai. Dans la nuit du mardi 5 au mercredi 6 mai, le Sénat a adopté en première lecture ce projet de loi sous conditions.

Illustration Ito Jakuchu Coqs

SOURCE(2) Source Objectif Gard
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.