Changement de calendrier. Les débats et le vote sur le plan de déconfinement se tiendront le mardi 28 avril à l’Assemblée nationale. Le vote est jugé prématuré par l’opposition qui dénonce une manoeuvre gouvernementale. Les parlementaires s’estiment bafoués. La stratégie gouvernementale crée des remous au sein même de la majorité où certains membres du groupe LREM s’interrogent sur l’opportunité de discuter de ce plan « devant 13% de la représentation nationale » tandis que les collectivités territoriales exigent des clarifications. Une nouvelle preuve de l’incapacité du gouvernement à gérer la crise sanitaire tout en maintenant un fonctionnement « normal » de la démocratie ?


 

Deux débats étaient à l’origine prévus à l’Assemblée : un premier le 28 avril, sur le traçage numérique et l’application StopCovid et le second, planifié le 5 mai sur la stratégie de déconfinement. Mais le gouvernement en a décidé autrement. Ces deux débats auront lieu le même jour et en même temps. Le vote est jugé prématuré aussi bien à la France insoumise où Jean-Luc Mélenchon, juge qu’il n’ y a pas place pour un véritable examen critique que chez les « Républicains » où Christian Jacob réclame « un vrai débat au Parlement » et « un vrai travail en commission ». 

Certes, l’affaire n’est pas simple mais depuis plusieurs semaines, le sentiment que le pouvoir navigue à vue s’est imposé dans bien des esprits. Et pas seulement chez « les oppositions » dûment structurées à l’Assemblée nationale.

L’annonce de la reprise de l’école (d’abord pour les élèves de grande section de maternelle, les CP et les CM2) par Jean-Michel Blanquer a déjà suscité plus d’interrogations que d’assurances, au sein du principal syndicat d’enseignement (la FSU) comme de la Fédération des Conseils de parents d’élèves (FCPE). Bien des parents vont se retrouver dans un choix impossible entre reprise du travail et inquiétudes (légitimes) sur la santé de leurs enfants. « Chaque jour apporte son lot de changements concernant le déconfinement à venir. Le Ministre de l’Education nationale a expliqué qu’il y aurait un plafond de 15 élèves par classe, des demi-groupes en présentiel  ou en distanciel, une rentrée échelonnée selon les classes. Et le président de la République a quant à lui, annoncé que la rentrée se ferait sur la base du volontariat des parents. Autant dire que, pour l’heure, les messages sont brouillés, voire embrouillés » souligne la FCPE dans sa lettre nationale.

 

L’Association des Maires de France : « pour un protocole précis »

 

L’exigence de clarifications vaut aussi pour les collectivités locales. Lors d’une visio-conférence entre le Premier Ministre, Edouard Philippe et les responsables d’associations de collectivités locales qui s’est tenue le 16 avril, l’Association des Maires de France (AMF) présidée par l’ancien ministre LR, François Baroin, a jugé « indispensable que la réouverture annoncée des écoles (…) se fasse dans le cadre d’un protocole précis élaboré conjointement par l’Etat et les collectivités locales, que les décisions soient annoncées dans des délais permettant aux collectivités de prendre les dispositions pratiques nécessaires et conditionner les réouvertures à la mise à disposition effective des matériels et des dispositifs de protection sanitaire pour les élus, les personnels des collectivités et les enseignants ».

Sur la question des masques, l’AMF propose que  leur distribution « soit confiée aux mairies pour ce qui concerne la population et les professionnels libéraux de santé et aux intercommunalités pour les entreprises ». Elle précise cependant que « le coût d’une distribution générale de masques à la population ne pourra pas être porté par les collectivités locales » et qu’une discussion « doit s’engager sur ce point avec l’Etat, pour tenir compte des efforts déjà fournis par de nombreuses collectivités ». 

On peut avoir quelque inquiétude à ce sujet quand on entend le ministre Sébastien Lecornu ressortir la formule déjà employée en son temps par Emmanuel Macron : « il n’ y a pas d’argent magique ». Le Président de la République s’adressait alors à une soignante et son propos prend une résonance particulière aujourd’hui. En tout cas, si l’Etat accède à la revendication de l’Association des Maires de France en faveur d’un déconfinement mis en place en coordination avec les collectivités locales (et on voit mal comment il pourrait en être autrement), cela signifie que ce qui a été pompeusement appelé « le pacte de Cahors » est (heureusement) caduc. Cette contractualisation des dépenses de fonctionnement entre l’Etat et les collectivités ressemblait fort à une mise sous surveillance pour des communes de moins en moins dotées au fil des ans. Dans ce domaine comme dans d’autres, la même logique est à l’oeuvre, au moins depuis Nicolas Sarkozy et sa suppression de la taxe professionnelle. Mais si la promesse de ne pas revoir à la baisse la dotation globale de fonctionnement (DGF) est bien tenue l’an prochain, cela prouvera bien qu’en temps de crise, on peut se libérer de certains carcans. Question subsidiaire : pourquoi faut-il attendre une crise grave et meurtrière pour qu’il en soit ainsi ? 

Face à la nécessité de venir en aide aux commerces de centres-villes et à l’artisanat dont les difficultés sont accrues par la crise du coronavirus, « on a besoin de contrats  entre Etat et collectivités, notamment le pacte action coeur de ville, dont l’objectif est précisément de revitaliser les centres-villes » (1) souligne André Laignel (PS), vice-président de l’AMF. Maire de Vénissieux, dans la région lyonnaise, Michèle Picard (PCF) a, elle, interpellé Edouard Philippe dans un courrier où elle demande  un « plan de soutien aux collectivités, associations et à l’économie sociale et solidaire ». (1). On le voit, les collectivités-que ce soit les communes qui oeuvrent notamment pour l’aide alimentaire avec les associations, les départements ou les régions ont la volonté d’être entendues, et encore plus dans cette situation d’exception. Les régions ont commandé 65 millions de masques.

Et si cette situation inédite permettait enfin de faire sauter certains verrous idéologiques, de mettre à bas les dogmes, là où d’autres veulent relancer la machine économique au plus vite en mettant à mal le droit du travail (voir l’état d’urgence sanitaire prévu jusqu’au 31 décembre) et même les congés des salarié-e-s ?.  » J’ ai entendu depuis de nombreuses années des critiques sur les économies à faire par les collectivités locales » (1) relève Carole Delga, présidente PS du Conseil régional d’Occitanie, « on leur a même imposé un contrat financier que j’avais refusé de signer à l’époque (…) Si cette crise pouvait permettre à certains de voir des visages au lieu de statistiques, je crois que ce serait salutaire pour notre pays ». 

Morgan G.