Nous ne menons pas ici une campagne de promotion électorale. De nombreux candidats s’affrontent dans nos villes et nos villages, nous le savons tous, mais nous ne vous engagerons pas à voter pour l’un d’entre eux plutôt que pour un autre. Alors, franchement, quel est donc l’intérêt d’un article qui ne prend pas parti ?


 

C’est à un quatrième personnage que nous allons nous intéresser, celui dont on parle peu, mais qui est pourtant le plus important : l’électeur. Le voilà mis à rude épreuve face à une offre troublante : des candidats, tous à la fois attractifs et repoussants, par rapport auxquels on peut considérer que le choix est bien embarrassant. Entre intérêt personnel et collectif, le choix est difficile. Mais alors, qui est cet électeur, qu’en sait-on aujourd’hui, que va-t-il finalement décider, sur quels critères, quel Maire va-t-il préférer, sachant que l’identité politique du candidat est parfois difficile à percevoir ?

Dans le but d’identifier notre électeur, le comprendre, et ce à partir du corpus de travaux déjà menés et disponibles, sait-on au moins si son niveau de revenus détermine son choix électoral ? A-t-on là le point de départ d’une taxonomie électorale ? Toutefois, on sait bien que les revenus peuvent être très différents pour une même catégorie sociale (Mirlicourtois A. 2016). On sait aussi que le statut professionnel explique bien mieux le vote que les revenus : les indépendants votent plus à droite (qui prône la liberté d’entreprendre, la baisse des loyers et factures pour les entreprises) que les salariés qui eux votent à gauche (animés d’un souci de justice sociale). En France, le vieil ouvrage d’André Siegfried est souvent tenu pour être l’acte de naissance de l’étude des comportements électoraux. L’auteur constate, en 1913, qu’avec « un peu d’attention l’on distingue qu’il y a des régions politiques comme il y a des régions géologiques ou économiques ». Et bien après lui, nous retrouvons les mêmes images, par exemple celles du vote à droite dans les banlieues les plus cossues (Coulmont et al., 2019), ainsi qu’à l’extrême droite dans les territoires périurbains (Girard V. 2012).

La détention personnelle de patrimoine joue donc un rôle : plus elle est consistante, plus notre électeur est riche, plus il votera à droite (Pinçon M., Pinçon-Charlot M. 2011), cette même droite qui promeut l’épargne, le travail et la réussite individuelle. À titre d’exemple, l’effet patrimoine (Capdevielle, Dupoirier, 1981) distingue les non-possédants qui votent plus régulièrement à gauche de ceux qui détiennent plusieurs éléments de patrimoine qui optent plus souvent pour la droite.

« Les gens votent en groupe ». « Les gens qui travaillent ou qui vivent ou qui jouent ensemble tendent à voter de la même manière » (Lazarsfeld, Berelson, Gaudet, 1944). Cette conclusion de l’étude fondatrice de l’analyse sociologique du vote était pourtant contre-intuitive. Les sciences sociales sont à l’époque largement marquées par les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et l’idée que les masses ont été manipulées par la propagande.

En quelques décennies, les analyses électorales répètent à l’envi l’affaiblissement des variables lourdes et alignent leurs démonstrations avec une vision normative de la démocratie, celle d’électeurs qui départagent des programmes électoraux au moment de la campagne.

Le niveau de diplôme joue un rôle certain : plus il est élevé, plus il se stabilise à gauche ou vers une droite modérée, plus il est bas, plus il est volatil et penche vers l’extrême droite et / ou l’abstention (Statista.com 2017). La pratique religieuse, on le sait, a une influence forte : elle pousse à voter vers la droite, qui défend les valeurs les plus conservatrices (Cevipof Sciences-po 2017). D’autre part, on sait aussi que les jeunes votent plus à gauche que les personnes âgées, plus attachées à la protection de leur patrimoine.

Toutefois, il apparaît bien aujourd’hui que ces modes de raisonnement sont instables. Une partie de l’électorat, on l’a vu, décide de son vote au dernier moment, n’hésite pas à changer de bord politique, voire à s’abstenir. On retrouve cet électorat surtout chez les plus jeunes, les moins diplômés et ceux qui ont un faible intérêt pour la politique. Aujourd’hui, environ un tiers des ouvriers vote à l’extrême droite : « Il y a un basculement du vote ouvrier vers la droite et surtout vers l’extrême droite » (Lucile Soulier, Le Monde, 2019), alors que plus de cadres votent à gauche (cf. La république « bobo », Watrin L et Legrand T. 2014.).

Tout de même, il faut bien reconnaître qu’à deux ans de la présidentielle, ce scrutin municipal national fait office de test pour les principales formations politiques du pays. De l’extrême droite à la gauche radicale, trois verbes illustrent les enjeux des partis politiques : croître, survivre ou disparaître (El Hadj K., Lecornu P. et Béraud L., 2020).  Les partis politiques ou assimilés, soucieux de rester en course peuvent ainsi signer des ententes de collaboration sur une grande variété de sujets, notamment, comme sur la formation de coalition lors des élections. Les alliances, si délicates à mener et à présenter, seront pourtant « la clé du second tour », au-delà des résultats bruts pour chaque liste, affirmait Public Sénat le 15 mars 2020. Les candidats coalisés courent le risque d’être identifiés comme infidèles à leurs engagements initiaux, voire accusés de faire passer leurs ambitions personnelles avant les valeurs qu’ils avaient présentées au départ.

Si les maires restent les élus préférés des Français, la participation aux élections municipales est en baisse continue depuis plus de trente ans et sera l’une des clés du scrutin. Les enjeux locaux sont à la fois liés avec et disjoints de la politique nationale, les élus sont connus, on peut les rencontrer relativement facilement, ils sont incontournables dans bien des aspects de la vie quotidienne, logement, culture, circulation, etc. Mais ce sont aussi des élus qui peuvent jouer un rôle dans la vie de l’État, de par leur appartenance à ou tel parti ou groupe de pression, de par leur rôle économique qui intéresse bien sûr de près la Nation. Nous n’avons pas ici analysé les motivations des abstentionnistes, car c’est là un autre et vaste sujet, lui aussi très important, mais différent (les maires ne seront élus que par les suffrages exprimés, même si les abstentionnistes leur envoient un certain message). Un autre article peut-être…

Thierry Arcaix

Avatar photo
Thierry Arcaix a d’abord été instituteur. Titulaire d’une maîtrise en sciences et techniques du patrimoine et d’un master 2 en sciences de l’information et de la communication, il est maintenant docteur en sociologie après avoir soutenu en 2012 une thèse portant sur le quartier de Figuerolles à Montpellier. Depuis 2005, il signe une chronique hebdomadaire consacrée au patrimoine dans le quotidien La Marseillaise et depuis 2020, il est aussi correspondant Midi Libre à Claret. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages dans des genres très divers (histoire, sociologie, policier, conte pour enfants) et anime des conférences consacrées à l’histoire locale et à la sociologie.