Pendant trois jours début novembre à Montpellier, six cents Gilets jaunes de tout l’Hexagone ont pris part à la quatrième Assemblée des assemblées qu’a connu le mouvement.


Après ce succès, une fois la pression retombée, La Marseillaise en commun a recueilli les réflexions de Franck et Christophe, qui comptèrent parmi les organisateurs les plus actifs de l’événement.


 

Effectuons d’abord un retour sur l’histoire :

 

Qu’est-ce qui a déterminé tout un groupe de Gilets jaunes montpelliérains à relever cet énorme défi qu’était l’accueil dans leur ville de la quatrième AdA – « Assemblée des assemblées » – des Gilets jaunes de tout le pays ?

Christophe : Aucune des trois précédentes AdA (à Commercy en Lorraine, puis Saint-Nazaire et Montceaux-les-Mines) ne s’était réunie dans le sud. Ce qui fait que les Gilets jaunes des régions méridionales y étaient sous-représentés. Montpellier paraissait bien située géographiquement pour corriger cela, et sa réputation était bonne au sein du mouvement. Je m’étais rendu à Saint-Nazaire, en bénévole pour l’organisation, puis en observateur pendant l’es travaux. Les organisateurs m’ont approché. La proposition est redescendue à l’AG du Peyrou à Montpellier, où elle fut adoptée quasiment à l’unanimité. On était là au mois d’avril. Et même si nous souhaitions organiser le rassemblement dans un lieu officiel, nous avions une idée de la possibilité de réquisitionner la Soucoupe d’Agropolis.

Franck : Nous avons effectué les démarches pour être accueillis dans un lieu officiel. Sans aucune suite positive. Mais de l’avoir fait a joué favorablement. Quand nous avons discuté avec le Président d’Agropolis, il s’est bien rendu compte que nous n’étions pas des fous furieux. Et en définitive, les autorités ont bien dû accepter que ça se déroule.

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Puisque plusieurs Montpelliérains avaient suivi de précédentes AdA, quelle caractéristique particulière avez-vous souhaité apporter pour cette nouvelle édition montpelliéraine ?

 

Franck : Nous avons souhaité abandonner le vœux pieux du consensus à tout prix, qui s’incarne dans la production d’appels à l’issue des travaux. De fait, ce souhait n’a pas empêché qu’il y ait des appels (au nombre de trois, NDLR : l’un, naturellement, pour une mobilisation exceptionnelle ce week-end, marquant le 1er anniversaire de l’Acte 1 des Gilets jaunes ; un autre saluant les grands soulèvements populaires en cours en de nombreux endroits de la planète ; et enfin un autre en faveur de la convergence dans le cadre des appels à la grève le 5 décembre prochain). On a senti ce besoin parmi les participants, on a été flexible, on a proposé que se fassent ces votes, consultatifs.

Christophe : On a eu la chance d’avoir entretenu de très bons rapports avec les organisateurs des trois précédentes AdA. Ils nous ont conseillé. On a pu passer l’été à en examiner le bilan, nourri par les avis recueillis auprès des participants. On a constaté ce qu’était la frustration de gens traversant toute la France, souvent mandatés avec des propositions à faire connaître, et qui ne trouvaient pas un temps de parole pour s’exprimer. D’où notre choix de proposer le maximum de groupes de travail restreints, avec un large temps disponible. Cela a été unanimement apprécié.

Après quoi les assemblées plénières sur des thématiques étaient censées ne servir qu’à vérifier la validité des comptes rendus du travail préalable en petits groupes. Ça été beaucoup plus compliqué, avec des difficultés dans la modération, et des débats qui nous ont un peu échappé. En tout cas une énorme matière à réflexion a été réunie, accessible à tou.te.s. Les gens pourront en ressortir ce qui les intéresse, en fonction de leur particularité.

En tout cas, nous avions constaté que le grand mythe des appels se fait infernal quand il faut se mettre d’accord entre sept cents participants sur leur rédaction. On y passe trois jours. Notre choix alternatif a rendu possible plein d’autres choses, tout en enlevant beaucoup de tensions, et en évitant les manœuvres d’entrisme politique. Néanmoins, trois appels ont été approuvés par voie consultative, sans problème, dont deux issus de groupes de travail qui se sont organisés de manière libre, grâce au temps laissé disponible. Certes, des militants ont voulu porter celui de la grève du 5 décembre sur le mode du passage en force, alors qu’en fait nous laissions ce passage très ouvert.

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Quels principaux enseignements retenir de ces trois jours de débats ?

 

Franck : Alors que les trois premières AdA cherchaient une cohérence d’ensemble pour le mouvement des Gilets jaunes, il nous semble qu’une caractéristique très forte est au contraire la diversité d’actions qu’il permet. On a voulu mettre cela sur la table. Ne pas se voiler la face. Aux Gilets jaunes de se saisir de cette richesse extraordinaire, sans forcément le désir de tout articuler. Prenons en compte les aspects contradictoires y compris. C’est assumé. Cette réalité est hétérogène. Je pense que c’est très intéressant. Partons du terrain, et laissons les assemblées qui y sont actives se déterminer dans leurs actions, leurs contacts, leur organisation.

Christophe : Très significativement, l’une des thématiques les plus débattues a été celle qui traitait du rôle de l’AdA elle-même. On est six cents. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Des réflexes politiciens et médiatiques voudraient que l’AdA soit structurante et nivelante. Ça n’est pas le projet. Le projet est de recueillir la parole venue de la base. Ça ne peut pas commencer en disant « non, votre parole ne convient pas ». Dans la réalité des contextes, des actions, un Gilet jaune de Paris Belleville n’a pas grand-chose à voir avec un Gilet jaune du Vigan.

 

Il n’y aurait donc aucune ligne de force, ou enseignement global, à retenir de cette récente Assemblée des assemblées ?

 

Christophe : Je vois des lignes de force du mouvement des Gilets jaunes qui se maintiennent. Par exemple, l’unanimité en faveur d’une réforme des institutions, le fait de vouloir changer le système. Les modalités sont plus débattues : insurrection ? prise de pouvoir ? élections ? rapport de force permanent ?

Franck : Je perçois aussi la détermination à poursuivre avec d’autres AdA, mais sans que cette forme domine les autres. La base doit rester souveraine. Par exemple, l’idée est de respecter la diversité des tactiques pour les actions de ce week-end anniversaire de l’Acte 1, avec plus ou moins un accord sur la nécessité de s’attaquer au fonctionnement du système. Il y a aussi nécessité et désir à travailler avec les autres mouvements de protestation, mais sans renoncer à notre propre identité militante. Personnellement, j’espère aller vers des assemblées inter-professionnelles, mais tout le monde est d’accord pour privilégier le contact avec les bases actives sur le terrain, et ne pas s’inféoder aux directions.

Christophe : Je vois quatre piliers à ce mouvement, qui sont la nécessité de justice sociale, de justice fiscale, de justice environnementale et de justice démocratique. C’est un mouvement qui rend les problèmes visibles, et les gens visibles.

Franck : Notre parti très fort de ne pas viser le consensus, notre horizontalité et notre radicalité peuvent effrayer, en tout cas surprendre dans le cadre des fonctionnements établis. Nous devons donc nous expliquer, inlassablement.

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Un débat assez vif s’est développé pendant les trois jours, à propos d’un service de sécurité souvent jugé invasif.

Christophe : Ce service était constitué de Gilets jaunes très impliqués, souvent des femmes, se connaissant très bien, et dont plusieurs avaient une grande expérience professionnelles en la matière. On leur a donné un mandat, pour lequel il.les ont abattu un boulot titanesque. Les problèmes sont venus de nos propres décisions, et des difficultés de mise en application. Un grand nombre de participants ne se sont signalés qu’au tout dernier moment, sans respecter des délais, engendrant des problèmes de listings incomplets, compliqués encore par la fragilité de nos moyens techniques. Comment accueillir des centaines de personnes ? Les loger ? Les nourrir ? Les évacuer en cas de besoin ? Mais aussi s’assurer qu’ils représentent une assemblée ? Eviter des intrusions visant à provoquer des incidents ? Ou des mains mises politiques, du Rassemblement national par exemple ? Etc, etc.

Nous testions les capacités d’une AdA à s’ouvrir. Mieux : jusqu’au tout dernier moment, nous pensions organiser un festival, où les réunions de l’AdA n’auraient été qu’un aspect. Il a fallu y renoncer, dans un lieu aussi précaire, réquisitionné en dernière minute. Mais les portes étaient ouvertes en soirée, une fois clos les débats, puis tout le dimanche après-midi, alors que les trois précédentes AdA étaient restées closes.

 

Quel avenir envisager à présent pour les suites du mouvement ?

 

Franck : Nous ne sommes ni des devins, ni des leaders. Nous n’avons été qu’organisateurs d’un événement important dans ce mouvement. C’est donc à titre personnel que je peux envisager surtout une lutte inter-mouvements. Rien ne se décrète. On agira et on observera à l’occasion de ce week-end anniversaire, puis le 5 décembre – est espérons-le, au-delà du 5 décembre. La période des Fêtes permettra à nouveau de tirer des bilans pour la suite.

Un mouvement réussi doit combiner un travail d’éducation populaire (sur la répression, la loi, la désobéissance civile, etc), des actions vigoureuses instaurant un rapport de force dans la durée, avec des grèves, des blocages de structures d’information, de production, de distribution par lesquelles le système s’entretient. Faut-il espérer en une grève générale ? Faisons tout pour son succès, tout en sachant qu’on n’est plus dans une grande société industrielle à l’ancienne, avec des moyens de production massifs et concentrés…

Christophe : Nous ne sommes ni un syndicat, ni un parti, ni une mode. Nous sommes un mouvement populaire, spontané et massif, qui se dresse contre des injustices qui atteignent un niveau insupportable depuis une ou deux générations. Ce mouvement est ce qui rend visible l’impossibilité de fonctionner de cette société telle qu’elle est conduite : nous sommes la preuve qu’en travaillant et en ayant une famille, ça ne fonctionne pas. C’est un moment de vérité, sur des problèmes à régler sur le fond, et non en distribuant quelques milliards par ci, par là.

L’illusion collective que voudrait entretenir le gouvernement ne tient plus qu’à un fil, le gouvernement ne tient que par la police. Tout est extrêmement volatile. Tout peut basculer dimanche, ou bien le 5 décembre, ou bien pour un gamin tué par les forces de l’ordre. La situation reste explosive de toute façon. Le rôle des Gilets jaunes est de rester présents et d’agir, dans un tel contexte.

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Les Gilets jaunes ont rendu visible ce que les gens pensaient déjà, sans savoir qu’ils étaient si nombreux à le penser. Un grand déconditionnement des esprits a été lancé. Il va se poursuivre. Le régime est vide de l’intérieur. N’oublions pas non plus de tirer tous les enseignements possibles des révoltes partout sur la planète en ce moment : beaucoup de ces gens vivent dans des situations plus précaires que nous, avec des gouvernements moins bien préparés que le nôtre.

 

Propos recueillis par Gérard Mayen

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Gérard Mayen (né en1956) est journaliste, critique de danse, auteur. Il est titulaire d'un master 2 du département d'études en danse de l'université Paris 8 Saint-Denis-Vincennes. Il est praticien diplômé de la méthode Feldenkrais. Outre des chroniques de presse très régulières, la participation à divers ouvrages collectifs, la conduite de mission d'études, la préparation et la tenue de conférences et séminaires, Gérard Mayen a publié : De marche en danse dans la pièce Déroutes de Mathilde Monnier (L'Harmattan, 2004), Danseurs contemporains du Burkina Faso (L'Harmattan, 2005), Un pas de deux France-Amérique – 30 années d'invention du danseur contemporain au CNDC d'Angers(L'Entretemps, 2014) G. Mayen a longtemps contribué à Midi Libre et publie maintenant de nombreux articles pour"Le Poing", Lokko.fr ... et Altermidi.