Ils étaient quelques gilets jaunes présents sur cette 84e édition de la fête de l’Humanité, où la question de la suite du mouvement, d’une convergence des luttes attendue, de la répression, ou encore des relations avec la presse se posait dans plusieurs débats organisés sur l’Agora de l’Huma.


Sur la question des suites du mouvement, le débat, animé par Diego Chauvet, journaliste à l’Humanité, faisait intervenir deux « figures » du mouvement, Priscilla Ludovski et Jérôme Rodrigues, ainsi qu’un sociologue, Laurent Jeanpierre auteur d’un livre sur le mouvement. À l’arrivée des deux figures du mouvement, la trentaine de gilets jaunes présents entonne le chant « on est là », faisant une sorte d’accueil triomphal.


La convergence est là

L’animateur du débat évoquant le temps fort du 21 septembre, alors que le mouvement s’approche d’une année, Priscilla Ludovski dit « attendre beaucoup de monde. C’est la continuité du mouvement. Et même s’il y a beaucoup de manifestations en septembre, et que c’est compliqué, il faut voir que les retraités, les pompiers, les urgentistes seront dans la rue. Ça compte, et le pouvoir ne peut pas ignorer toutes ces mobilisations. Il faut maintenant une réponse politique ». Se pose alors la question de la convergence « avec le mouvement de défense de l’environnement, les organisations syndicales dans le sud du pays, c’est en cours, y compris sur des sujets urgents comme les retraites. La mauvaise communication autour des gilets jaunes et la répression ont fait hésiter des gens. Nous on espère qu’ils seront là le 21 septembre ».

Pour Jérôme Rodrigues, « la convergence est là. Et samedi (le 21 septembre), il y aura de tout. C’est un mouvement apolitique et apartisan, mais aussi transpolitique et trangénérationnel, et des syndiqués sont souvent présents les samedis. C’est la base qui attend que les directions déclenchent les convergences ». Celui qui a été gravement blessé à l’œil par un tir de LBD aime à préciser : « Je suis critiqué par des gilets jaunes qui disent avec qui je dois parler. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de gilets jaunes ou de syndicats mais de citoyens lambda qui disent qu’on a besoin de tous, et que parmi vous ici, il y a des gens qui luttent depuis des décennies. J’ai une seule chose à vous dire : rejoignez-nous. Nos revendications sont proches, aller vers la fin du mois avec des salaires décents, être considérés comme les producteurs que nous sommes. Syndiqués ou non, organisations politiques, c’est un appel à tous ceux qui veulent mieux vivre, qui veulent la justice fiscale et sociale. Ensemble, on va faire tomber ce gouvernement ».

Se structurer pour mieux converger

Laurent Jeanpierre pose la question de l’avenir « quel horizon pour le mouvement ? C’est un mouvement très décentralisé, organisé localement, avec une temporalité dans la durée. La convergence est déjà là, il s’agit désormais de se projeter au-delà de chaque semaine. » Pour lui, les municipales sont un scrutin à l’échelle du mouvement : « C’est une année favorable pour le mouvement avec des élections locales, et des enjeux porteurs. De plus, l’échelon municipal est le maillon faible ces derniers mois. Macron l’a compris et soigne les maires, il s’inquiète d’un éventuel basculement vers le mouvement ».

Le journaliste animateur pose la question de la structuration – ou pas – du mouvement. Pour Priscilla Ludovski « il y a plusieurs tendances. Il y a des gens qui veulent s’engager pour les municipales, d’autres qui veulent créer un lobby citoyen pour continuer la lutte avec tous ceux qui ne sont pas encartés, sans but électoraliste. Il faut pousser les mobilisations vers la désobéissance civile, avec des actions comme le décrochage des portraits de Macron… Nous voulons de toutes façons faire les choses nous-même et communiquer avec l’exécutif ».

Pour Jérôme Rodrigues, il faudra aller « vers une forme d’organisation. Nos ennemis en face sont bien organisés. Les puissants savent converger, s’organiser pour parler d’une seule voix. Comme le gouvernement écoute les lobbies, nous avons pensé à faire un lobby citoyen. Nous voulons rester apartisans, mais faire de la politique ».

Laurent Jeanpierre considère que l’ancrage local aujourd’hui ne passe pas par la seule voie électorale : « Les gilets jaunes veulent peser sur les enjeux locaux. Ils ont une aspiration à l’autonomie, l’idée de tenir les choses par nous-même, rester fidèle à l’inventivité du mouvement. Ce mouvement n’a pas tout inventé, mais a repris les méthodes de lutte des militants en les transformant, en élevant le niveau de conflictualité. C’est l’originalité et la force du mouvement. Cela a permis de casser la routine du militantisme, cela nous renvoie à réfléchir aux changements nécessaires sur le front des luttes ».

« Et puis, rappelle Priscilla Ludovski, lors d’un procès de décrocheurs de portraits de Macron, un sociologue a répondu au juge sur la question de la désobéissance civile, que toutes les avancées provenaient d’actes de désobéissance, tandis que toutes les catastrophes étaient provoquées par le pouvoir et un excès d’obéissance. Si nous désobéissons, c’est dans l’intérêt général. On nous dit que nous sommes dans l’illégalité, cela veut dire qu’on est dans le vrai, nous allons intensifier ce type d’actions ».

En finir avec la défiance vis-à-vis des organisations syndicales

Diégo Chauvet interroge ensuite les participants sur leurs relations avec les syndicats, les partis : « Est-ce que trop de défiance ne serait pas un handicap ? ».

Pour Jérôme Rodrigues, les syndiqués sont avant tout « des citoyens. Mais ils sont dans l’attente, ils attendent qu’on leur dise « on y va ». Aujourd’hui les syndiqués de base disent qu’ils en ont marre des manifs merguez-camion. Le combat syndical s’est institutionnalisé et ne permet plus aux syndiqués de s’exprimer pleinement. J’ai travaillé à Renault, il y avait 55 % d’intérimaires, et rien n’avance. Il faut se battre ensemble pour tous. Il faut venir le 21, avec ou sans gilet ».

Laurent Jeanpierre pense que « le mouvement est décalé par rapport à ce qui se faisait avant. Il avance en marchant et ne cherche pas de débouchés politiques mais cherche encore ses propres formes. C’est aux organisations maintenant de savoir comment elles intègrent ce mouvement. C’est une question posée à toute la gauche. S’il doit y avoir une convergence, elle doit être durable, et elle n’aura lieu que si la gauche s’interroge ».

Converger pour taper plus fort

Priscilla Ludovski se rend compte que « depuis 10 mois, nous aurions du avoir une réponse de l’exécutif. Au lieu de cela, il donne des conseils au Vénézuela, à Hong Kong, ce gouvernement a oublié qu’il est à notre service. 12 millions d’euros pour un grand débat avec zéro débouché, quand la plateforme des gilets jaunes réunit un million de votes, pour un coût de 4000 euros… et que cette initiative est complètement ignorée du pouvoir… C’est une des raisons pour lesquelles nous devons intensifier la lutte et taper plus fort ».

Le débat avec la salle a montré que le souhait de convergence était partagé, même s’il y a des réticences à « manifester avec des drapeaux tricolores et des croix de lorraine, ou des slogans en gothique ». Tous sont d’accord pour dénoncer les dispositifs pseudo participatifs mis en place par le gouvernement et la répression contre le mouvement. Un syndiqué « depuis 30 ans » montre l’ennemi commun, le capitalisme : « Nous y arriverons si nous luttons ensemble, les syndicats ne sont pas qu’un corps intermédiaire et la CGT est un syndicat de lutte, nous aussi nous subissons une répression inégalée ».

 

Christophe Coffinier

 


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Passionné depuis l’âge de 7 ans, de photo, prise de vue et tirage, c’est à la fin d’études de technicien agricole que j’entre en contact avec la presse, en devenant tireur noir et blanc à l’agence avignonnaise de la marseillaise. Lors d’un service national civil pour les foyers ruraux, au sein de l’association socio-culturelle des élèves, c’est avec deux d’entre eux que nous fondons un journal du lycée qui durera 3 ans et presque 20 numéros. Aprés 20 ans à la Marseillaise comme journaliste local, et toujours passionné de photo, notamment de procédés anciens, j’ai rejoint après notre licenciement, le groupe fondateur de l’association et suis un des rédacteurs d’Altermidi, toujours vu d’Avignon et alentours.