La clarification des compétences des collectivités territoriales est l’un des thèmes sur lesquels l’ex-ministre de Nicolas Sarkozy, Éric Woerth, travaille avec l’épineuse question de la fiscalité locale et celle moins évoquée de la participation citoyenne. Mais peut-on vraiment gagner en indépendance politique ?


 

Dans le laborieux débat portant sur la réorganisation territoriale, un des sujets qui anime les collectivités porte sur la clause générale de compétence, concept juridique qui traduit la capacité d’initiative des collectivités territoriales sur le fondement de son intérêt territorial en la matière. Son principe donne une capacité d’intervention générale à une collectivité s’il existe un intérêt public local et si le domaine d’intervention ne relève pas d’une compétence exclusive de l’État ou d’une autre collectivité territoriale. La clause générale de compétence ayant été supprimée pour les départements et les régions avec la loi NOTRe (7 août 2015), seules les communes peuvent se prévaloir de ce principe aujourd’hui, mais dans différents domaines les régions et les départements demandent un élargissement plus autonome de leur cadre d’intervention.

Mais on ne se défait pas aisément du jacobinisme historique. Depuis la révolution, la tradition étatiste et républicaine implique également la centralisation administrative et politique. Repousser les cultures régionales et les langues minoritaires au service de l’unification républicaine fait partie de cette tradition. Comme le souligne l’historien Matthias Waechter, à l’origine, les jacobins se faisaient les avocats d’une politique économique libérale mais, sous la pression des mouvements populaires, ils mirent de plus en plus en avant la valeur de l’égalité et mirent en œuvre un certain nombre de mesures pour protéger les pauvres.

Si le débat sur la décentralisation semble s’enliser depuis plusieurs décennies c’est qu’il touche au modèle de société français, mis en question par la mondialisation et le processus de l’intégration européenne. Le pouvoir quasi absolu que donne notre Constitution aux présidents de la République, n’arrange rien à ce statu quo. Il n’a jamais été mis en cause par les présidents de la Ve République. Toutes tendances politiques confondues, les heureux élus jouissent de leur immense privilège et profitent par ailleurs du modèle social français caractérisé par l’interventionnisme de l’État dans les domaines économique, social et culturel. Et qu’importe les contradictions, comme celle que l’on observe aujourd’hui avec un chef de l’État qui s’applique à défaire le réseau de protection sociale et tous les services publics en se positionnant en faveur du recul de l’activité étatique, alors qu’il est le premier à profiter du modèle français pour se maintenir au pouvoir.

 

Garantir une liberté d’initiative aux collectivités territoriales

 

Dans son livre Le modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme, l’historien et sociologue Pierre Rosanvallon considère comme un événement clef de l’histoire moderne française la loi Le Chapelier de 1791 qui interdit toute sorte d’organisation professionnelle, d’association d’artisans et d’ouvriers en général. Cette loi reflétait l’hostilité des révolutionnaires envers tout « corps intermédiaire » entre les citoyens et l’État. Le mépris affiché par Emmanuel Macron à l’égard des corps intermédiaires ferait-il de lui un révolutionnaire jacobin ?

Le Gouvernement d’Édouard Philippe avait déposé un projet de loi constitutionnelle pour un renouveau démocratique qui comportait la possibilité pour une collectivité territoriale d’élargir ses compétences au-delà de sa catégorie et le droit pour une collectivité territoriale de déroger aux dispositions législatives et réglementaires. La révision constitutionnelle n’ayant pu aboutir, il n’est pas possible de satisfaire la revendication souvent exprimée par les élu.e.s locaux.ales de permettre à une collectivité territoriale d’adapter des règles à sa connaissance du territoire.

En septembre dernier, le sénateur Républicain André Reichardt a déposé un projet de loi au Sénat pour le rétablissement de la clause de compétence générale des départements. « La clause générale de compétence est simplement la formulation et la formalisation intellectuelle d’une liberté d’initiative qui est au fond la garantie réelle d’une véritable décentralisation, parce qu’elle permet sans obliger, elle donne leurs chances aux collectivités et à leurs élus de faire plus et autre chose que ce que l’application littérale des textes autorise », lit-on dans l’exposé des motifs.  Si le Conseil constitutionnel a jugé, qu’en principe, la compétence générale des collectivités territoriales n’était pas une conséquence nécessaire de leur libre administration, il a néanmoins estimé que les collectivités devaient disposer de compétences effectives pour garantir le respect du principe de libre administration, et jugé, s’agissant des départements, que tel était bien le cas, argumente l’ancien président du Conseil régional d’Alsace.

 

Une démocratie plus à l’écoute des citoyen.ne.s

 

Depuis le premier acte de la décentralisation en 1982, le combat continu mené par les collectivités territoriales pour gagner en indépendance politique se heurte à l’idéologie jacobine. À un autre niveau, celui de la société civile, la demande d’une démocratie plus à l’écoute des citoyen.ne.s et plus participative connait le même sort. Elle s’est exprimée lors du grand débat national, initié par le président à la suite du mouvement de contestation des « gilets jaunes ». Le débat s’est clos par l’annonce de plusieurs mesures dont le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau démocratique. Un projet valise où le volet « revitaliser la démocratie à partir des principes de participation et de proximité » n’a produit aucune avancée. Pas plus que la Convention citoyenne pour le climat, ou les 19 899 cahiers de doléances que près de 2 millions de Françaises et Français se sont appliqué à noircir il y a cinq ans et qui ne sont toujours pas accessibles.

Le modèle d’État jacobin, avec son zèle de centralisation et son hostilité à l’auto-organisation de la société, continue malgré les nombreux changements de gouvernement. Ainsi, aujourd’hui encore, la décentralisation n’a essentiellement été effectuée que sur le plan administratif et non pas sur le plan politique. L’État intervient dans les domaines les plus divers de la société pour influer sur la vie des citoyen.ne.s et pour la réglementer, et ceci au dépens d’une société civile en évolution libre.

Répondre à la demande démocratique des citoyen.ne.s et faire face à la défiance d’un État hypercentralisé vis-à vis des élu.e.s et des institutions décentralisées appelle une vision renouvelée du rapport entre les collectivités territoriales et la société civile. La mise en œuvre de la transition écologique peut être le moteur de cette cohésion inclusive et démocratique. Une occasion à saisir pour faire émerger un nouvel essor de formes pluralistes et délibératives de détermination du bien commun.

Jean-Marie Dinh

 

 Gravure de 1844 – Une séance au club des Jacobins, pendant la Révolution de 1789

 

A lire en complément de cet article :  Repenser l’architecture territoriale en 2024 ? altermidi Mag#10 (5 € en kiosques)

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.