Le Centre International de Musique Médiévale (CIMM) fait appel à des archéo-luthiers pour fabriquer des instruments anciens. Rencontre avec Raphaël, encore jeune, mais dont l’approche de son métier est déjà très mature.


 

C’est dans son atelier de Saint Thibéry, près de Pézenas, que Raphaël nous reçoit. À 27 ans, il débute en tant qu’indépendant. Pourtant, c’est dans un groupe de rock qu’il s’est initié à la musique et qu’il s’amusait à découper et démonter sa guitare basse pour en comprendre le fonctionnement. Déjà, il s’intéressait à la forme et à la structure des instruments. À 17 ans, parce que l’école ne l’intéresse pas trop, il se dirige vers Frédéric Chaudière, luthier à Montpellier, pour découvrir le métier. Mais ce dernier fabrique surtout des instruments à cordes pour quatuor, et il en repart en n’ayant « pas vraiment été convaincu », mais en gardant cependant cette option dans un coin de sa tête. C’est par l’intermédiaire de sa mère qu’il découvrira les instruments plus anciens.

Raphaël Clément-Dumas, archéo luthier à Saint Thibéry

 

« J’ai de suite été touché par l’esthétique sonore des musiques médiévales et c’est comme ça que j’ai accroché avec ces instruments. Ce qui m’a le plus plu, c’est leur beauté et leur diversité »

 

 

 

Comme il n’y a pas d’école ni de formation officielle, et par conséquent pas de diplôme, c’est « sur le tas » que Raphaël s’initie à l’art délicat de l’archéo-lutherie. « Je me suis  adressé à plusieurs professionnels en leur disant : je veux faire ce métier, est-ce que tu veux bien m’apprendre ? ». Il effectue des stages auprès de Jeff Barbe, en Ardèche, « très enthousiaste et bavard », spécialiste des flûtes médiévales et d’instruments préhistoriques, Claude Bioley, en Suisse, facteur de harpes, « qui m’a appris les bases du travail du bois », ou encore Bruno Salenson1, à Nîmes, qui était spécialisé dans le hautbois, le basson et la cornemuse languedocienne.

Un peu à la façon d’un compagnon du devoir, il veut accumuler les expériences. Il comprend que l’hébergement pose un problème, mais qu’à cela ne tienne, il trouve la parade. « Je me suis dit : je vais m’aménager un camion pour habiter dedans, je vais partir sur la route et je vais toquer chez les luthiers ». Il a déjà quelques contacts, rencontrés dans des festivals ou fournis par des proches, et direction la Bretagne… où il passera deux ans. « Je pensais faire un tour de France, et finalement, j’ai fait un tour de Bretagne. »

L’Armorique va lui offrir des possibilités, alternant des stages d’une semaine à plusieurs mois, amenant aussi de belles rencontres. À Dinan, il découvre Olivier Pont, un luthier aux compétences éclectiques, qui vont de la vièle au violon électrique, et Nelly Poidevin, archetière, qui lui ouvre tout un monde : « l’archèterie est une science incroyable ! ». Ces deux rencontres vont être essentielles dans son apprentissage : « ce sont parmi ceux qui m’ont le plus appris ».  S’il a commencé par créer des flûtes, notamment la pivana corse taillée dans la corne de chèvre, un peu pour se faire la main, il va surtout apprendre à fabriquer des vièles, des luths et des harpes.

 

Raphaël Clément-Dumas, archéo luthier à Saint Thibéry
Restitution d’une vièle à partir d’une image sur laquelle Raphaël à tracé ses cercles de proportion. DR altermidi NP.

 

Pythagore, le retour

La facture instrumentale étant maintenant acquise, il est temps pour lui de se lancer dans ses propres créations. Dans une base de données, il repère un parchemin représentant une vièle à archet du début du XIIe siècle, et décide de la reproduire. Mais comment fabriquer des instruments médiévaux quand il n’en reste plus aucune trace ? Contrairement aux instruments baroques ou classiques, ceux du Moyen Âge ont disparu depuis longtemps.

Seules les sources documentaires peuvent encore fournir des éléments : ce sont les sculptures (tympans des églises comme à Moissac par exemple), les enluminures, les vitraux ou les fresques (notamment celles de Buffamalcco du Campo Santo de Pise). C’est donc un travail d’archéologue qui guide la démarche de Raphaël.

Mais si on possède l’iconographie, les informations restent cependant parcellaires : « on n’a aucune idée sur la construction d’un instrument. Par exemple on ne sait pas quels bois étaient utilisés. Probablement aussi que le musicien fabriquait lui-même son instrument, donc adapté à lui, en l’occurrence à la grandeur de sa paume en ce qui concerne les vièles ». Il s’appuie sur le travail de recherche d’Yves d’Arcizas2, une référence mondiale en organologie3, qui s’est intéressé aux proportions pythagoriciennes4. Pourquoi Pythagore, dont le célèbre théorème donne des sueurs froides aux collégiens ? : « il a construit une gamme en remarquant que quand on tend une corde et qu’on la fait sonner, on obtient une note qu’il appelle fondamentale, disons un do. Si on la coupe en deux et qu’on fait sonner la moitié, on obtient un do à l’octave supérieure. Si on prend un rapport de 3/2 c’est la quinte et un rapport de 4/3, c’est la quarte. Du coup, tout l’instrument est construit par rapport à ces proportions ».

Tel un parchemin ésotérique, il montre la photo de la vièle, sur laquelle il a tracé plusieurs cercles de différentes couleurs qui lui servent à reporter les mesures. La corde fondamentale lui donne un diamètre à partir duquel il va obtenir toutes les courbes et les distances de l’instrument. Le cercle orange a pour diamètre la fondamentale ou sa moitié, le rouge représente la proportion de la quarte et le vert la proportion de la quinte  : « Je constate qu’il y a trois chevilles, donc je suppose qu’il y avait trois cordes. Les cercles vont me permettre d’établir la distance entre la tête et le sillet, la distance entre les chevilles, la taille des ouïes et la distance entre elles… »

Comme beaucoup d’archéo-luthiers, il n’utilise qu’un seul bois pour l’instrument, et pour les pièces ajoutées comme la table d’harmonie, le chevalet et les chevilles il choisit un bois différent. Mais il faut faire aussi des arbitrages, ce qui n’est pas toujours évident : « par exemple, est-ce que je vais mettre une touche ? Sur l’enluminure, on n’en voit pas une clairement. Donc c’est moi qui vais décider d’en mettre une ou pas ».

 

« Il faut recouper les informations »

Pour être le plus fidèle dans sa restitution, Raphaël échange avec des musiciens médiévistes, des artisans, des chercheurs et des musicologues. Un instrument est différent suivant les époques et les régions. « Si on a des vièles de la même période et géographiquement proches, et qu’on constate que 9 sur 10 n’ont pas de touche, on n’en mettra pas. Il y a des banques de données qui sont très bien faites sur internet. Il faut recouper les informations, discuter avec d’autres luthiers pour restituer au mieux l’instrument ».

Raphaël Clément-Dumas, archéo luthier à Saint Thibéry
Démonstration du hautbois languedocien. DR altermidi NP.

 

 

« Ce que je vais proposer, ce n’est pas la vérité, c’est ce que ça pourrait être »

 

 

 

 

 

En l’écoutant, on découvre qu’il y a d’abord une démarche d’ethnomusicologue, avec la volonté de comprendre l’environnement du musicien et de son instrument, tout en ayant à cœur de retrouver les gestes et les techniques qui avaient cours durant tout le Moyen Âge. Il y a aussi une forme d’ascèse doublée d’une certaine humilité : « ce que je vais proposer, ce n’est pas la vérité, c’est ce que ça pourrait être. On n’a pas de données assez certaines pour dire “voilà comment était cet instrument, et j’en suis sûr”. C’est impossible ! Il manque trop d’éléments  pour affirmer que l’instrument était comme ça. D’ailleurs, les luthiers parlent de “proposition”. Ce qui est chouette dans ce métier-là, et ce pourquoi je le choisis et ce pourquoi il m’intéresse, c’est aussi qu’on va toujours discuter autour de l’instrument. Moi je vais faire une proposition de cet instrument-là, et si un autre luthier le refait, il sera forcément différent. Et on pourra échanger sur les choix de chacun ».

Raphaël espère maintenant que les conditions sanitaires seront favorables au mois de mai, afin de participer, avec le Centre International de Musique Médiévale, à une nouvelle programmation du festival Les marteaux de Gellone, qui n’a pas pu se tenir l’an dernier. Depuis la seconde édition, un salon de lutherie a vu le jour, dont il est l’organisateur, grâce au réseau qu’il s’est constitué. On peut aussi assister à des journées de conférences et colloques sur les instruments, des moments d’échanges ou on présente les dernières découvertes de chacun. Cette année sera consacrée à la cornemuse languedocienne.

Son autre souhait, c’est de pouvoir collaborer, toujours avec le CIMM, à une proposition de restitution de la vièle de Saint-Guilhem « parce que je la trouve jolie ! Et aussi, parce qu’à ma connaissance, aucun luthier ne l’a restituée ». Et en guise d’au revoir, Raphaël propose de sortir de l’atelier, « parce que ça va être trop fort » , et offre, sur la place, une petite démonstration de hautbois languedocien…

 

Nathalie Pioch

Sur le même thème :  La musique médiévale prend ses quartiers d'automne à Montpellier

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Notes:

  1. Décédé en mars 2018
  2. Maître en matière de harpes médiévales 
  3. Science et étude des instruments de musique à partir de sources iconographiques ou manuscrites 
  4. En déplaçant le chevalet d’un monocorde, nous observons que plus la longueur de corde que l’on fait vibrer est courte plus le son qu’elle émet est aigu, c’est-à-dire plus sa fréquence de vibration est élevée. Nous pouvons en conclure la loi importante que la fréquence de vibration de la corde est inversement proportionnelle à sa longueur. Pythagore divisa la longueur de la corde en 12 parties égales. Ainsi, lorsque l’on place le chevalet de façon à faire vibrer les ¾ de la corde, le son obtenu correspond à un intervalle de quarte par rapport à la note fondamentale. La gamme dite pythagoricienne aura une importance fondamentale dans l’histoire de la musique occidentale.
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Reprend des études à chaque licenciement économique, ce qui lui a permis d'obtenir une Licence en Histoire de l'art et archéologie, puis un Master en administration de projets et équipements culturels. Passionnée par l'art roman et les beautés de l'Italie, elle garde aussi une tendresse particulière pour ses racines languedociennes.