Par René Naba

L’arme atomique une option ? Vraiment ?

Le ministre ultranationaliste israélien du Patrimoine, Amichaï Eliyahu (parti d’extrême droite Otzma Yehudit), a considéré qu’une attaque à la bombe atomique sur Gaza était une « option », suscitant un tollé tant en Israël que partout ailleurs dans le Monde, en ce que cette déclaration faite le 5 novembre 2023, soit près d’un mois après le début des représailles israéliennes contre l’enclave, révélait le désarroi de la classe politique israélienne face à la combativité du Hamas, mais desservait l’image de l’État Hébreu au sein de ses alliés occidentaux.

Fait plus grave pour la stratégie atlantiste, l’hypothèse d’une option atomique israélienne confirme indirectement la détention par Israël de l’arme atomique en contradiction du sacro-saint principe de la non prolifération nucléaire que les Occidentaux brandissent pour empêcher l’Iran d’accéder au rang de « puissance du seuil nucléaire ».

En fait le secret sur le nucléaire israélien était un secret de polichinelle. La déclaration du ministre israélien n’a en fait que révéler la supercherie. La feuille de vigne qui masquait la nudité de cet énorme mensonge. Un bobard diplomatique.

Sur le nucléaire israélien, passons sur la fable : « Israël, unique démocratie du Moyen-Orient, sentinelle du Monde libre face à la barbarie arabo-musulmane ne saurait, en premier, introduire l’arme atomique dans la zone », a longtemps tenue lieu de viatique, en dépit des supplices de Mordechaï Vanunu, qui a eu l’audace de briser le tabou, en dépit des fuites répétées dans la presse spécialisée occidentale.

Le motus était jalousement gardé par les cornacs d’Israël en Europe, particulièrement en France, un des grands pollueurs nucléaire de la planète, l’équipementier du régime d’apartheid d’Afrique du Sud et d’Israël, l’associé de l’Iran impérial dans le consortium Eurodif1 désormais, paradoxalement, en pointe dans le combat pour la dénucléarisation de l’Iran, mais singulièrement passif face aux raids destructeurs israéliens contre les installations nucléaires arabes d’Osirak (Irak) en 1981, à Al Kibar en Syrie en 2008, en passant par les réacteurs de Cadarache, avec l’aide des Sayanim2 dans le sud de la France.

AH… la fanfaronnade de Nicolas Sarkozy brandissant une alternative « catastrophique : la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran », ignorant, cet ignorant redoutable, que si l’Iran venait à détenir la bombe atomique, ni la France pas plus qu’Israël ne songeraient à en faire usage contre l’Iran. Un effet dissuasif absolu identique à celui de la Corée du Nord face au Japon et la Corée du sud où sont déployées d’importantes forces navales et terrestres américaines.

 

Dimona

Dimona est la centrale du complexe nucléaire israélien situé dans le désert du Néguev —dont le nom originel en arabe est An Naqab —, à 20 km à l’ouest de la mer Morte, à 25 kilomètres à l’ouest de la Jordanie, à 75 kilomètres à l’est de l’Égypte et à 85 kilomètres au sud de Jérusalem. Le site comprend non seulement une centrale nucléaire, mais encore d’autres installations essentielles au développement du programme nucléaire israélien.

En 1957, un accord secret fut conclu entre la France et Israël pour la construction d’un réacteur nucléaire équivalent à la pile G1 de Marcoule (production de 10 à 15 kg de plutonium par an). Le complexe a été construit en secret et en dehors du régime d’inspection de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Les autorités israéliennes font alors passer le site nucléaire pour une simple usine textile.

Le pot aux roses a été découvert par Richard Kerry — père de John Kerry, ancien secrétaire d’État de Barack Obama — en 1959, alors qu’il était en poste comme secrétaire d’ambassade à Oslo. Il rapporte alors plusieurs conversations sur la vente d’eau lourde3 par la Norvège à Israël. L’État hébreu qui disposerait d’au moins 80 bombes H produites à partir du plutonium.

 

La base d’Ourim de surveillance électronique

Toujours dans le Néguev, à une trentaine de kilomètres de la prison de Beer-Sheva, se trouve l’installation d’espionnage la plus importante d’Israël : la base d’Ourim.

Cette base, jamais dévoilée jusqu’ici, est constituée de lignes d’antennes satellites interceptant en secret appels téléphoniques, courriers électroniques et autres types de communications émis du Proche-Orient, d’Europe, d’Afrique et d’Asie. Le travail d’espionnage s’effectue majoritairement depuis cette installation située aux abords du désert du Néguev, à environ deux kilomètres au nord du kibboutz d’Ouri, qui abrite des lignes d’antennes satellitaires de tailles variées et, de part et d’autre de la route 2 333 qui conduit à la base, des bâtiments et des baraquements. De hauts grillages, des barrières et des chiens protègent le domaine.

Les images satellites de ce lieu ne sont pas brouillées et l’on distingue sans peine tous les éléments caractéristiques d’un poste de surveillance électronique. Un grand cercle dans les champs indique l’emplacement d’une antenne de recherche de direction (HF/DF), destinée à l’observation maritime.

La base d’Ourim a été établie il y a des décennies afin de surveiller les communications internationales.

 

Mordechaï Vanunu

Quant au lanceur d’alerte Mordechaï Vanunu, aussi connu sous le nom de John Crossman, né le 13 octobre 1954 à Marrakech, est un Technicien nucléaire israélien. Il s’est fait connaître du grand public en 1986 en révélant au journal anglais The Sunday Times des détails sur le programme militaire nucléaire israélien, dont notamment des photographies prises à l’intérieur de la centrale nucléaire de Dimona. Après son enlèvement par les services secrets israéliens, Vanunu a été jugé et condamné pour « trahison de secrets d’État ». Il a passé 18 ans en prison et à sa libération en 2004, il lui a été interdit de prendre contact avec tout journaliste étranger.

Le déploiement des forces spéciales américaines pour la protection du site de Dimona.

Le site de Dimona est protégé par des missiles Patriot. Toutefois, le 8 octobre 2023, au lendemain de l’opération « Déluge Al Aqsa », l’attaque du mouvement islamiste palestinien Hamas contre l’État hébreu, les États-Unis ont dépêché 2 000 membres des forces spéciales américaines en Israël en vue de protéger le centre nucléaire de toute attaque et « en même temps » empêcher son meilleur allié de se livrer à une attaque inconsidérée contre gaza à l’arme atomique.

Selon le quotidien en ligne « Ar Rai Al Yom », les Américains ont adressé un message au Hamas, via un officier supérieur libanais, lui donnant l’assurance que les forces spéciales américaines ne participeraient en aucun cas aux combats aux côtés de l’armée israélienne.

([NDLR: La « Delta Force », officiellement 1st Special Forces Operational Detachment-Delta (Airborne) — 1st SFOD-D (A)], est une unité des forces spéciales américaines appartenant à l’US Army et dépendant du Joint Spécial Opérations Command (JSOC). Une de ses caractéristiques principales est le secret qui l’entoure, ce qui explique le peu de renseignements disponibles sur l’unité. À son actif, Delta Force compte la capture de l’ancien président irakien Saddam Hussein, et l’élimination d’Oussama Ben Laden, le chef d’Al Qaïda. Une de ses missions annexes est sa participation à la libération des otages américains tant aux États-Unis qu’à l’étranger.

Sur le déploiement de 2 000 membres des forces spéciales américaines en Israël pour la protection du site nucléaire de Dimona : cf ce lien pour le locuteur arabophone

Quoiqu’il en soit de la mission de cette Force Delta, la preuve est faite qu’Israël n’est plus en mesure d’assurer sa propre défense par ses propres moyens : la concentration navale américaine à proximité de l’État Hébreu, de même que la présence d’officiers supérieurs du Centcom (commandement central américain) au PC de l’état major israélien, ainsi que la participation du secrétaire d’État Anthony Blinken à la réunion du cabinet restreint lors de sa visite en Israël, enfin l’activisme diplomatique qu’il a déployé au Moyen-Orient avec sa tournée en Jordanie, en Cisjordanie, en Irak et en Turquie en vue de prévenir une extension du conflit en témoignent, de même que les tensions au sein du cabinet de guerre israélien.

Pour Israël et son premier soutien, les États-Unis, l’attaque du 7 octobre 2023 conduite par le Hamas marque en effet une rupture historique, et non pas simplement l’ouverture d’un nouveau cycle de violence, comme Gaza en a déjà connu plusieurs. C’est une rupture par le mode opératoire, par la cruauté insensée, par la prise d’otages massive (y compris d’enfants et de personnes âgées), par la mise à bas des piliers de la sécurité nationale israélienne, reposant d’abord sur la dissuasion.

Au delà de la neutralisation du Hamas, objectif officiel de la guerre israélienne, le gaz est en fait le véritable enjeu sous-jacent de la bataille de Gaza. Israël craint en effet que les gisements gaziers découverts en 2000 au large des côtes de Gaza ne soient exploités, au double sens du terme, par le Hamas pour l’aider, sinon à construire un État palestinien indépendant, au moins à financer ses attaques contre l’État hébreu.

 

Le complexe de Samson

Sauf à être nourri du complexe de Samson — démolisseur des colonnes du temple de Dagon, acteur et victime de sa propre passion, retournée contre lui-même — le ministre ultranationaliste israélien ignore-t-il qu’en raison de la contiguïté et de l’exiguïté des territoires israélien et palestinien, l’usage du feu nucléaire israélien sur Gaza aura immanquablement des retombées atomiques sur le territoire israélien.

À moins qu’il ne s’agisse de l’uranium appauvri, déjà expérimenté à grande échelle par les États-Unis en Irak, en 2003. Le principal risque que pose l’uranium appauvri n’est pas la radioactivité, mais bien la toxicité chimique. L’Irak est à cet égard un pays profondément marqué d’un point de vue écologique du fait de l’usage massif de l’uranium appauvri par les États-Unis dans ce pays. l’Irak bat même les records des malformations congénitales, des cancers et des lymphomes.

Dans cette perspective, curieux est le comportement des États-Unis dans cette affaire : Unique pays au monde à avoir fait usage de l’arme atomique contre le Japon, (Hiroshima et Nagasaki, en 1945), unique pays à avoir fait usage massif de l’agent orange au Vietnam (1970-1975), et de l’uranium appauvri en Irak, le voilà qu’il se préoccupe de l’usage de l’arme atomique par son pupille israélien. Est-ce par ce qu’il s’agit d’une zone située à proximité du périmètre hautement inflammable du Golfe pétrolier, dont la combustion pourrait mettre à mal l’économie des pays occidentaux, protecteurs d’Israël ? Ah les tortuosités de la « carbon democracy ».

 

Épilogue : Les Palestiniens, ultimes victimes du nazisme ?

Près de cent ans après sa fondation, le Foyer National Juif apparaît ainsi rétrospectivement comme la première opération de délocalisation de grande envergure opérée sur une base ethnico-religieuse en vue de sous-traiter au monde arabe l’antisémitisme récurent de la société occidentale. Le refuge des juifs, des rescapés des camps de la mort et des persécutés, le pays du Kibboutz socialiste et de la fertilisation du désert, des libres penseurs et des anticonformistes, est devenu aussi, au fil des ans, un bastion de la religiosité rigoriste, des illuminés et des faux prophètes, de Meir Kahane (Ligue de la Défense Juive4) à Baruch Goldstein (l’auteur de la tuerie d’Hébron, le 25 février 2004), des gangs mafieux et des repris de justice, des Samuel Flatto-Sharon5, à Arcady Gaydamak6, à Marc Rich7, aux escrocs de la TVA sur la taxe carbone. Un phénomène amplifié par la décomposition de l’esprit civique, gangrené par l’occupation et la corruption affairiste des cercles dirigeants, matérialisé par le naufrage du parti travailliste (le « parti des pères fondateurs »), et la cascade de démission au plus haut niveau de l’État soit pour harcèlement sexuel, soit pour des faits en rapport avec l’argent illicite.

Et la Palestine, dans ce contexte, est devenue un immense défouloir de toutes les frustrations recuites générées des bas-fonds de Kiev (Ukraine) et de Tbilissi (Géorgie) au fin fond de Brooklyn (États-Unis), le plus grand camp de concentration à ciel ouvert pour les Palestiniens, les propriétaires originels du pays.

Les Occidentaux n’ont cessé de plaider pour les bienfaits de la paix. Maintenant que les Palestiniens ont rempli toutes leurs conditions, voilà que les Occidentaux les abandonnent à leur sort.

Dans cette perspective, Mayssa’a Abou Zeydane, chroniqueuse au sein du site « Ar Rai al Yom », se pose la question de savoir, face à l’indifférence des pays occidentaux à l’égard du drame palestinien et leur soutien continu à Israël du fait du génocide hitlérien, si les Palestiniens ne sont pas effectivement « les ultimes victimes du nazisme ».

 

Illustration

article publié en partenariat avec Madanya Info. Première parution le 15 novembre 2023

Lire aussi : En savoir plus sur la coopération militaire et sécuritaire France-Israël

Notes:

  1. Eurodif est une société spécialisée dans l’enrichissement de l’uranium.
  2. Les sayanim désigne des agents israéliens passifs appelés plus communément « agents dormants », établis en dehors d’Israël.
  3. L’eau lourde est l’un des deux modérateurs qui permettent d’utiliser l’uranium naturel comme combustible, l’autre étant le graphite.
  4. La Jewish Defense League (JDL) est un mouvement américain néosioniste, créé aux États-Unis en 1968 par Meir Kahane, fondateur deux ans plus tard du parti politique israélien Kach. la JDL est considérée par le FBI comme un groupe terroriste4 et une « organisation juive violente et extrémiste » et par le Southern Poverty Law Center comme un « groupe de haine » (« hate group ») anti-arabe.
  5. Industriel reconnu, Flatto-Sharon s’était installé en Israël en 1975, tentant apparemment d’échapper aux autorités françaises qui le soupçonnaient d’avoir détourné des dizaines de millions de dollars. En 1977, tandis que la France s’efforçait de le faire extrader pour lui faire purger une peine de prison, Flatton-Sharon avait fondé seul un parti politique et il était parvenu à gagner un siège à la Knesset, obtenant ainsi l’immunité parlementaire. Par la suite, il avait été dans l’incapacité d’intégrer le parlement lors d’essais ultérieurs et avait été plus tard condamné pour avoir acheté des votes au cours des élections de 1977. Il avait alors été condamné à la prison.
  6. Homme d’affaires franco-israélien, Arcadi Gaydamak avait écopé de trois ans de prison ferme en 2011 pour fraude fiscale et blanchiment dans l’affaire de vente d’armes en Angola (Angolagate).
  7. Marc Rich était un négociant international en matières premières , un financier et un homme d’affaires. Il a fondé la société de matières premières Glencore et a ensuite été inculpé aux États-Unis pour des accusations fédérales d’évasion fiscale , de fraude électronique , de racket et de conclusion d’accords pétroliers avec l’Iran pendant la crise des otages en Iran.
Avatar photo
René Naba est un écrivain et journaliste, spécialiste du monde arabe. De 1969 à 1979, il est correspondant tournant au bureau régional de l’Agence France-Presse (AFP) à Beyrouth, où il a notamment couvert la guerre civile jordano-palestinienne, le « septembre noir » de 1970, la nationalisation des installations pétrolières d’Irak et de Libye (1972), une dizaine de coups d’État et de détournements d’avion, ainsi que la guerre du Liban (1975-1990), la 3e guerre israélo-arabe d'octobre 1973, les premières négociations de paix égypto-israéliennes de Mena House Le Caire (1979). De 1979 à 1989, il est responsable du monde arabo-musulman au service diplomatique de l'AFP], puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, chargé de l'information, de 1989 à 1995. Membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme (SIHR), de l'Association d'amitié euro-arabe, il est aussi consultant à l'Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l'Homme (IIPJDH) depuis 2014. Depuis le 1er septembre 2014, il est chargé de la coordination éditoriale du site Madaniya info. Un site partenaire d' Altermidi.