Le Parlement européen doit adopter mercredi 13 mars la « loi sur la liberté des médias », première législation de ce type destinée à protéger les journalistes, lutter contre les ingérences dans les décisions éditoriales et renforcer la transparence sur la propriété des organes de presse.


 

« Nous ne devons pas fermer les yeux sur le fait que la liberté de la presse est menacée dans le monde entier, y compris en Europe. Le meurtre de Daphne Caruana Galizia1 à Malte, les atteintes à la liberté et au pluralisme de la presse en Hongrie, et bien d’autres choses le montrent clairement », a déclaré l’eurodéputée allemande Sabine Verheyen, rapporteure du texte.

« La loi européenne sur la liberté des médias est notre réponse à cette menace », a poursuivi l’élue, issue du PPE2 (droite), mardi lors d’un débat en session plénière à Strasbourg.

Ce projet de règlement avait été présenté en septembre 2022 par la Commission européenne pour protéger le pluralisme et l’indépendance des médias face à une détérioration de la situation dans des pays de l’UE comme la Hongrie et la Pologne, mais aussi aux logiciels espions type Pegasus ou Predator utilisés contre des journalistes.

« Cela n’a pas été facile d’en arriver là. La loi avait beaucoup d’opposants, si ce n’est d’ennemis », a rappelé la vice-présidente de la Commission, Vera Jourova, chargée des valeurs et de la transparence, alors que des eurodéputés d’extrême droite ont accusé l’UE d’avoir excédé ses compétences en légiférant sur le sujet.

Le texte porte notamment sur le respect du secret des sources journalistiques et sur l’interdiction de déployer des technologies de surveillance telles que des logiciels espions dans des appareils utilisés par des journalistes.

 

La France pour une vision moins exigeante de la liberté

Pendant les négociations, la France notamment avait insisté pour inclure une possibilité d’exception « au nom de la sauvegarde de la sécurité nationale », suscitant l’inquiétude de la profession et des défenseurs de la liberté de la presse.

Des possibilités d’exception sont prévues mais elles ne mentionnent finalement pas la sécurité nationale et sont strictement limitées.

L’utilisation de logiciels espions dans des appareils utilisés par des journalistes n’est possible que si elle concerne des « crimes graves », elle ne doit pas être liée à l’activité journalistique de la personne concernée ni aboutir à un accès à ses sources, et doit être autorisée au préalable par une « autorité judiciaire indépendante et impartiale ».

La législation fixe aux pays de l’UE des obligations pour mieux garantir l’indépendance éditoriale et fonctionnelle des médias publics, notamment par un financement « durable et prévisible ».

Le texte contient aussi des garde-fous pour protéger les contenus journalistiques d’éventuels abus dans la modération par les plateformes en ligne. Afin d’éviter que ces plateformes ne suppriment ou ne restreignent arbitrairement des articles ou des reportages vidéo, la loi prévoit un traitement à part pour les médias respectant un certain nombre de conditions d’indépendance notamment.

La loi introduit par ailleurs des obligations de transparence sur la propriété des médias. Elle prévoit ainsi la création d’un nouveau Comité européen indépendant pour les services de médias, composé des représentants des autorités nationales de régulation des Vingt-Sept. Cet organisme devra assurer un encadrement plus strict des concentrations dans ce secteur : il sera chargé d’émettre un avis — non contraignant — sur ces opérations du point de vue de leur effet sur le pluralisme.

L’eurodéputée néerlandaise Sophie in’t Veld (Renew Europe3, centristes et libéraux) a souligné que la législation « ne marcherait que si la Commission européenne s’assure de sa stricte application », en sévissant contre les gouvernements qui exercent des pressions sur des médias.

À l’inverse, l’élue française Catherine Griset (groupe ID, extrême droite), a accusé l’UE de tenter de « s’accaparer une compétence nationale qui dépend exclusivement des États membres », et de vouloir établir « un ministère de la vérité ».

Le texte devra encore être formellement adopté par le Conseil (États membres).

Photo Investigate Europe

Notes:

  1. Journaliste d’investigation et blogueuse maltaise. Elle accède à la notoriété pour ses enquêtes et révélations d’informations sensibles, notamment sur la corruption. Elle est assassinée le 16 octobre 2017 à Bidnija (hameau rural dans la région nord de Malte).
  2. Le Parti populaire européen est un parti politique européen, regroupant à l’échelle du continent un ensemble de partis du centre, de centre droit et de droite d’inspiration démocrate chrétienne et libérale-conservatrice, disposant d’un groupe au Parlement européen et à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
  3. Renew Europe est un groupe politique du Parlement européen constitué en juin 2019 et destiné à étendre le groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe aux partis qui ne souhaitent pas la mention du libéralisme dans leur nom, notamment le parti français Renaissance.