Ce 6 avril, il semble que les 2 000 voix tonitruantes des manifestant.e.s venu.e.s d’un peu partout en France ont pénétré les murs épais de la prison où Georges Ibrahim Abdallah1, combattant de la cause palestinienne, est enfermé depuis quarante longues années. Le plus ancien prisonnier politique de l’hexagone et d’Europe a fêté ses 73 ans, le 2 avril, entre les murs de la prison de Lannemezan.


 

Insoutenable pour ses soutiens qui brandissent des calicots à son effigie, rouges flamboyants aux sigles de Samidoun2 ou ceux du Collectif Palestine Vaincra (CPV) sur fond blanc, mettant en valeur le portrait du militant communiste libanais aux couleurs de la Palestine.

Peu après 14h, le cortège part symboliquement du rond-point, Le Madrigal, des Gilets jaunes présent.e.s comme un clin d’œil à la résistance ici et là-bas, à Gaza et en Cisjordanie. Le chant emblématique est même harmonisé : « On est là pour l’honneur de la Palestine et pour ceux qu’on assassine, nous on est là. »

« La Palestine, c’est mon oxygène ».

Elles sont cinq marseillaises à tenir fermement la plus grande banderole de la manifestation avec les visages des gazaoui.e.s assassiné.e.s, « ce ne sont pas que des nombres ». À peine sortie de l’hôpital, sa colonne vertébrale redressée, Zoulika ne se voit pas être ailleurs. « Depuis six mois je suis dehors parce que la Palestine c’est mon oxygène. Quand les Palestiniens nous voient sortir, ça donne un sens à leur vie malgré les martyrs. » Les tambours rythment « le Vietnam et l’Algérie ont vaincu, la Palestine Vaincra ! ». La solidarité internationale est l’ADN de ces femmes et de ces hommes qui, à l’unisson, célèbrent les luttes de libération émancipatrices des peuples. Derrière la banderole du Comité de soutien à la Palestine 31, on entend des paroles scandées en arabe et en français : « De la mer au Jourdain Palestine arabia ». Les tee-shirts noirs et orangés affichent la campagne « Boycott Désinvestissement Sanctions » contre l’État sioniste, qui exige de mettre un terme à la livraison d’armes. Coiffée d’un keffieh, une jeune femme élancée, au visage ensanglanté, soulève un carton : « Colonisa-tueurs ».

Charles Hoareau se réjouit, cette année, de l’amplification de la mobilisation. Le responsable de l’Association nationale des communistes des Bouches-du-Rhône se souvient de la dizaine de manifestant.e.s au tout début des manifs qui remontent à 2009, selon ses souvenirs. Les syndicalistes, Olivier Mateu et Cédric Caubère, à la tête des unions départementales CGT 13 et 31, sont côte à côte contre la criminalisation du soutien à la Palestine. On remarque, c’est une première, la présence de cinq députées3, ceinture tricolore en vue, dont quatre insoumises et une communiste. Dénonçant la désinformation des médias dominants, une pancarte rectifie : «  Tout a commencé le 7 octobre », la date est remplacée par « 1948 ». Attendrissante, la farandole des bambins, qui se tiennent par la main, ressemble à un défilé de mode de petits maillots estampillés Georges Abdallah. Le paysage bucolique a choisi son camp, les moutons s’approchent en bêlant dès qu’une main peinturlure, sur le mur d’en face, sa solidarité avec le prisonnier politique.

« Honte à la France de le condamner à une mort lente »

Impactant et choquant le mirador qui surgit soudain derrière les grilles à l’approche de la prison, en arrière-plan et encore plus saisissante, l’image monumentale des Pyrénées avec ses sommets enneigés. Le joyeux tintamarre des pierres cognées le long du grillage retentissent de plus belle pour dire à Georges Abdallah : « Tes camarades sont là ! ».

Mira pose pour la photo, le drapeau du Liban d’un côté, le drapeau de Palestine de l’autre. Pour la jeune palestinienne du CPV31, qui a grandi à Saïda (Sud-Liban) : « soutenir Georges Abdallah, c’est soutenir la résistance du peuple palestinien qui fait face avec courage et détermination à l’une des dernières colonisations de peuplement de la planète alimentée politiquement, économiquement et militairement par l’impérialisme occidental, en premier lieu la France ».

Annie Ernaux, Prix Nobel de littérature 2022, envoie un message solidaire : « Il a passé plus de temps en prison que Nelson Mandela [27 ans]. C’est une honte française dans cette Europe dont la Convention des Droits de l’Homme stipule qu’il est interdit de maintenir quiconque en prison “sans espoir de sortie». L’écrivaine interpelle le président de la République : « Ne permettez pas que la France soit le premier pays européen qui aura condamné à une mort lente un combattant et un intellectuel dont la lutte pour l’existence de la Palestine sera reconnue et saluée comme légitime. ». « Douleur, colère et fierté », ces trois sentiments animent Khaled Hadadah, ex-secrétaire général du Parti communiste libanais. Le dirigeant politique a bien connu son camarade et ami Georges « qui a aiguisé son caractère dans les montagnes et les rochers de l’Akkar au Nord-Liban ».

Khaled rend hommage à ce résistant internationaliste resté « symboliquement libre durant ces quarante ans de prison ». Et c’est l’espoir chevillé au corps pour tous.tes les manifestant.e.s d’une prochaine libération à l’image de Jean-Louis Chalanset, son défenseur depuis 2013.

Les autorités feront-elles preuve d’indépendance politique ?

Le juriste a déposé, en juin dernier, une nouvelle demande de mise en liberté, la dixième à ce jour. « Il est enfermé pour ses idées. Il s’est battu contre l’invasion de son pays par Israël et les bombes des États-Unis qui ont tué 30 000 libanais et palestiniens en 1982. Exiger la libération de Georges Ibrahim Abdallah, c’est exiger la libération de tous les prisonniers politiques palestiniens. »

En mai ou juin, on saura si Emmanuel Macron, via son ministre de l’Intérieur, a le courage et l’indépendance politique de faire signer à Gérald Darmanin l’arrêté d’expulsion pour qu’enfin Georges Abdallah vive librement, auprès de sa famille, au pays des Cèdres…

Piedad Belmonte

Lire aussi : G I Abdallah : 37 ans de prison. Ça suffit ! – Sortons Georges Ibrahim Abdallah de sa prison ! Georges Ibrahim Abdallah, otage à perpétuité

Notes:

  1. Georges Ibrahim Abdallah est arrêté en 1984 et condamné à perpétuité en 1987 au prétexte qu’il aurait attenté à la vie de deux diplomates basés à Paris, l’un agent israélien du Mossad, l’autre attaché militaire nord-américain. Libérable depuis 1999 par la justice d’application des peines, l’État français ainsi que ceux des États-Unis et d’Israël s’acharnent à le maintenir en prison parce que le militant révolutionnaire communiste n’a jamais renié ses opinions anti-impérialistes.
  2. Réseau de solidarité aux prisonniers palestiniens.
  3. Karen Erodi (NUPES 81), Sylvie Ferrer (LFI 65), Andrée Taurinya (LFI-NUPES 42), Pascale Martin (LFI 24) et Elsa Faucillon (PCF 92). Soixante sénateurs-sénatrices, député.e.s et plus de soixante-dix personnalités ont signé une tribune pour la libération du prisonnier politique.
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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin