C’est dans une ambiance militante, revendicative, joyeuse et festive que les manifestant.e.s ont exigé la libération de Georges Ibrahim Abdallah, samedi 23 octobre à Lannemezan (Hautes-Pyrénées). Le lendemain, c’est un triste anniversaire : 37 ans de privation de liberté1 pour ce combattant communiste libanais de la cause palestinienne.


 

Alors qu’il devrait être libre depuis vingt-deux ans, le plus vieux prisonnier politique d’Europe reste enfermé arbitrairement en terre française. Tout le monde s’accorde à dire qu’il y a une foule impressionnante, plus de 1 000 personnes, venues d’un peu partout : Annecy, banlieue parisienne, Paris, Marseille, Aubagne, Albi, Bordeaux, Toulouse, l’Ariège, Montpellier, Belgique, Suisse, etc.

Devant la gare, sous un beau ciel bleu ensoleillé, les drapeaux rouge donnent le ton, les banderoles proclamant la liberté pour Georges Ibrahim Abdallah sont déclinées sous différentes formes, aux couleurs de la Palestine, mais aussi estampillées du marteau et de la faucille bien jaune sur fond pourpre pour le Secours rouge de Genève. Les militant.e.s du Collectif Palestine Vaincra arborent en hauteur son immense portrait. Les Algérien.ne.s de la grande couronne banlieusarde parisienne rejoignent sa lutte anticoloniale et anti-impérialiste, avec un message limpide : « 17 octobre 1961 – 8 mai 1945 : crimes d’État colonial ! ».

 

Un combattant pour la liberté enfermé, « inadmissible ! »

 

Des voix clament : « Il est de nos luttes, nous sommes de son combat, libérez Georges Abdallah ! ».  Sohinee et Sunayana, 27 ans, font partie du Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP) : « Le combat qu’il a mené est toujours d’actualité, c’est la libération de la Palestine historique. » Les Marseillais.e.s tiennent à bout de bras le drapeau palestinien cousu main lors de la campagne de jumelage des universités d’Aix-Marseille et de Beir-Zeit (Ramallah, Cisjordanie), précise Marius, jeune communiste. Avec son gilet jaune, Marie-Claude trouve « inadmissible qu’il soit enfermé pour son combat pour la liberté ». Flora Nicoletta a vécu onze années à Gaza : « Je soutiens la révolution palestinienne depuis 1972. La France fait comme l’entité sioniste : tu rentres en prison mais tu sais pas quand tu sors. Au pays des droits de l’homme, c’est un scandale, c’est la honte ! »

En effet, depuis 2004, date du rejet en appel de la première demande de libération conditionnelle, le militant libanais s’est vu refuser sa libération à neuf reprises. Sous la présidence du socialiste François Hollande, Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, est directement intervenu pour bloquer sa libération en refusant de signer son arrêté d’expulsion. Les pressions états-uniennes et israéliennes y sont aussi pour quelque chose. Pour ces deux États, Georges Ibrahim Abdallah est un terroriste ; pour des millions de personnes à travers le monde, il symbolise le droit des peuples à se révolter et à résister.

Condamné pour complicité dans l’assassinat, en 1982, de l’attaché militaire de l’ambassade des États-Unis, Charles Ray, et d’un agent du Mossad (services secrets israéliens), Yacov Barsimentov, tous les deux en poste à Paris, le prisonnier politique rejette toutes les accusations lors de son procès en 1987. Ses camarades de la Fraction armée révolutionnaire libanaise, dont il est le fondateur, ont eu beau revendiquer leurs actes, rien n’y fait, les gouvernements successifs français sont sur la même longueur d’ondes que les États-Unis et Israël.

 

« Avec Georges Abdallah, on a parlé de la vie »

 

Quelques drapeaux algériens flottent fièrement dans l’air. Au fur et à mesure que le cortège s’approche de la prison, des voix entonnent à l’unisson « Georges Abdallah, tes camarades sont là ». Et pour se faire entendre, ils et elles tapent des pierres contre le grillage. C’est un rituel immuable, chaque année, pour que le prisonnier politique entende la clameur solidaire depuis sa cellule. Stéphanie Larregola vient de lui rendre visite : « Je l’ai trouvé en forme. On a parlé de la vie. Il nous a surtout conseillé d’enrichir nos vies personnelles pour nourrir la lutte. Il m’a fait pleurer. Il voit toujours la lumière dans chaque chose, tu sors de là t’es reboostée. » Pour la famille Larregola, Georges Ibrahim « c’est le tonton », même la petite Lina, 11 ans, lui écrit des lettres. Bientôt ce sera son tour de visite, elle en a très envie.

 

Georges Ibrahim Abdallah

 

Les politiques sont également au rendez-vous de la solidarité, comme le candidat aux présidentielles de Révolution permanente, Anasse Kazib, cheminot. « On est dans une période où il y a une montée de l’extrême droite, une volonté d’effacer l’histoire coloniale et impérialiste de la France, une volonté de revendiquer également les hommes les plus sanguinaires de l’histoire : Bonaparte, le maréchal Bugeaud2, aujourd’hui donc, soutenir la libération de Georges Abdallah c’est soutenir le combat contre l’impérialisme et le colonialisme. » Roland Foissac, élu communiste tarnais, a fait le déplacement en famille. Jean-Pierre et Miloud portent la banderole BDS3 reconnaissable à ses couleurs orangées et noires, affichant le slogan « contre l’Apartheid israélien, Boycott d’Israël, Justice en Palestine ».

Sur le trottoir, une dame, voisine de la prison, regarde passer la manifestation, elle connaît de nom Georges Ibrahim Abdallah, mais pas les raisons de son incarcération et encore moins le fait qu’on le maintienne en prison alors qu’il est libérable depuis 1999.

 

On manifeste aussi à Charleroi et à Istanbul

 

René Andersen, responsable des relations internationales au Parti communiste belge, n’était pas revenu à Lannemezan depuis neuf ans. Il annonce qu’au même moment se déroule une manifestation de soutien à Charleroi, idem à Istanbul annonce un jeune du DIP, parti des travailleurs de Turquie. Banderoles, slogans, pancartes et drapeaux sont accrochés au grillage de la prison, le sinistre mirador en est témoin. Une jeune femme ne peut retenir ses larmes à la lecture de la belle lettre du résistant et révolutionnaire communiste. « Votre simple présence ici suscite beaucoup d’émotion et d’enthousiasme. Camarades et ami.e.s, l’écho de vos slogans, de vos chants passe outre ces barbelés, il résonne dans nos têtes et nous transporte loin de ces sinistres lieux. »

Il entame sa « 38e année qui s’annonce déjà pleine de luttes et d’espoirs, face à un capitalisme barbare et moribond, la lutte de classes doit être implacable et c’est dans l’agir ensemble ici et ailleurs qu’on arrivera à construire des alternatives ». Et de conclure par « la solidarité avec tous les peuples en lutte, à commencer par la Palestine et sa prometteuse résistance ».

C’est au tour des soutiens de prendre la parole. Olivia Zemor, dirigeante d’Euro-Palestine, appelle à une mobilisation générale dans tout le pays, le 30 octobre à Paris, pour les libertés mises à mal en France et « ça se durcit en Palestine où  six principales organisations, dont Addameer4, ont été classées terroristes par Israël ». Pierre Stambul, porte-parole de l’Union juive française pour la paix (UJFP), affirme : « Il nous a fallu du temps pour comprendre que le sionisme était une idéologie criminelle contre les Palestiniens et mettant en danger sciemment les juifs. La lutte contre le sionisme et l’effacement de la Palestine sont plus que jamais indispensables, au nom du respect des droits humains fondamentaux on doit exiger la libération de Georges, sortons-le de là ! ».

 

Photo Corine Janeau

 

Plus de mobilisations pour obtenir sa libération

 

Candidat du NPA à l’élection présidentielle de 2022, Philippe Poutou exprime sa solidarité au peuple libanais en lutte et aux Palestiniens qui combattent l’Etat israélien « colonialiste et raciste ». « On espère pouvoir le prendre dans nos bras », lance Roland Cazeneuve du PCF 65. Saïd Bouamama5, cofondateur et animateur du FUIQP, entend partager une angoisse, « à  savoir que les classes dominantes de cette planète ont décidé de laisser Georges Abdallah mourir en prison. Il faut regarder à l’échelle mondiale : les peuples se réveillent et ça leur fout la frousse. Les classes dominantes n’hésitent pas à jouer la contre-révolution et la fascisation ». Le militant anticolonialiste invite les nombreuses organisations présentes à faire le lien des combats qu’elles mènent avec la figure militante de Georges Ibrahim Abdallah et pousse les politiques à se présenter devant les médias avec un tee-shirt à son effigie. Les voix turques du groupe Yorum6 s’élèvent pour chanter Bella Ciao ou l’Intifada. Bouleversant !

Le Marseillais Charles Hoareau, président de l’Association nationale des communistes (ANC), affiche son optimisme derrière un visage souriant : « J’espère que c’est la dernière fois que je manifeste parce qu’il sera libéré ». Pour le militant, « il faut que toute la gauche mette le paquet en se mobilisant massivement pour le faire libérer  ».

Piedad Belmonte

Notes:

  1. Georges Ibrahim Abdallah a été arrêté le 24 octobre 1984
  2. Le maréchal Thomas Robert Bugeaud, surnommé « l’homme de la terre brûlée et des enfumades ». L’objectif était de détruire les ressources du pays en effectuant des razzias et en volant le bétail pour soumettre les tribus affamées, explique son biographe, Jean-Pierre Bois. Des centaines d’Algériens, qui s’étaient réfugiées dans des grottes, mouraient asphyxiées à cause des feux que les militaires allumaient devant l’entrée des refuges, écrit le chercheur, spécialiste de son adversaire Abd El-Kader, Ahmed Bourneyede.
  3. Boycott Désinvestissement Sanctions est une campagne internationale préconisant le boycott politique, économique, académique, culturel, sportif et syndical d’Israël, jusqu’à ce que cet État respecte le droit international.
  4. Addameer est l’association de défense des droits des prisonnier.e.s palestinien.ne.s et Salah Hamouri, franco-palestinien, qu’Israël veut expulser de Jérusalem où il vit, en est l’un de ses principaux avocats. Lui-même emprisonné en 2005, à 19 ans, durant plus de 6 ans. Accusé et condamné, sans preuves, sur le simple fait d’avoir eu l’intention d’assassiner Ovadia Yossef, le fondateur du Shass, parti ultra-orthodoxe. En fait, Israël lui reproche son appartenance au Font de libération de la Palestine (FPLP). L’avocat a encore été arrêté, en août 2017, et placé en détention administrative pendant plus d’un an sans procès ni jugement.
  5. Saïd Bouamama est sociologue, engagé dans la lutte pour l’émancipation humaine. Il est l’auteur, notamment, de  L’Affaire Georges Ibrahim Abdallah, éditions PMN.
  6. Sa chanteuse, Helin Bölek, kurde alevi, est morte en avril 2020 des suites d’une grève de la faim de 300 jours contre la censure et la répression. Elle avait 28 ans. Un mois plus tard, c’était au tour du guitariste, Ibrahim Gökçek de succomber (lire sa terrible lettre que l’Humanité publie le 26/04/2020 « Hier j’étais guitariste, je suis devenu terroriste »). Le groupe ne peut plus jouer en Turquie. Il s’est exilé en Île-de-France en mai 2021 pour enregistrer un concert en direct en hommage aux deux artistes.
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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin