Manifestation citoyenne à l’initiative des gilets jaunes du Vigan


Depuis presque un an les Gilets jaunes du Vigan tiennent quotidiennement leur rond-point. C’est assurément un souvenir qui restera gravé dans l’histoire de la ville et du territoire Piémont Cévenol connu pour sa culture de la résistance. Peut-être même nous laisserons-nous surprendre un jour, en tombant sur ces actes chaleureux, héroïques et déterminés, au détour d’une tablette relatant cet épisode de l’histoire de France.


 

Phase inattendue pour la notabilité urbaine, réveil agité et tenace pour les acteurs de ce mouvement social engagés dans une valse aux trois temps incertains. Ce qui change vraiment pour les femmes et les hommes aux gilets jaunes, c’est le sentiment de liberté et de force soutenu par la joie de l’entrain collectif. Parti du monde rural, ce mouvement social s’y poursuit. Comme si, victime de l’étrécissement identitaire des élites, la France des campagnes avait dit stop. Loin de l’arc de triomphe, soudainement, les oubliés du débat public ouvrent leurs fenêtres et se saisissent de leur responsabilité politique. Non sans heurt, car il faut cohabiter mais aussi trouver les moyens de décider au sein de cette curieuse communauté où chacun tente de s’écouter. Reste que cet assemblage de conceptions politiques pluralistes est parvenue à s’inscrire dans la durée en dépit de nombreuses tentatives de déstabilisations.

À quoi cela tient-il ? On peut formuler l’hypothèse que le ciment ait coulé autour d’un socle culturel fondateur que la mondialisation libérale appauvrit. Défendre l’idée que la conscience, individuelle et collective, s’est activée d’autant plus vite que le mouvement a été violemment réprimé. À Montpellier, Nîmes ou Avignon, les Gilets jaunes du Vigan ont abondamment été gazés, certains ont goûté de la matraque, mais il n’ont pas eu à affronter les forces du ministère de l’intérieur sur leur terrain. Dans l’arrière-pays, le rapport avec la gendarmerie et les élus reste courtois. Ce qui n’empêchera pas, une nuit sans lune, de voir la cabane du rond-point partir en fumée.

Puisqu’ils sont toujours là, comment faire sans eux ?

Jusqu’ici, à l’exception de quelques maires ruraux qui ont su enrichir le débat de leurs expériences, les élus locaux ont temporisé en campant sur leurs prérogatives qui se réduisent à peau de chagrin dans la majorité des petites communes, mais à l’approche des Municipales, les prétendants se retrouvent devant leurs concitoyens et la situation évolue.

Les 12 millions investis dans le grand débat, selon le ministre en charge de cette consultation nationale inédite, Sébastien Lecornu, l’ont été pour moitié par le ministère de la Transition écologique et solidaire, sans que cela ne produise de transition tangible dans la conduite des politiques économique, sociale et répressive du gouvernement.

Un quart de ce budget provient de Matignon qui l’a puisé dans les caisses du Service d’information du gouvernement*. Le tremplin auto promotionnel qu’a fait Emmanuel Macron du Grand débat aurait justifié que cette somme soit prélevée du budget de l’Élysée mais la Cour des comptes a révélé que celui-ci était dans le rouge. Au point où pour équilibrer les comptes, l’Élysée a annoncé le lancement d’une marque à son nom et la vente de produits dérivés. Autant d’argent qui ne sera pas investi pour apporter une assistance technique et faciliter le bon déroulement du référendum contre la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP), cher aux Gilets jaunes.

Si l’on considère le contexte dans lequel les Gilets jaunes ont émergé, l’évolution politique du mouvement est rapide. Elle balaie du moins les crispations réactionnaires qui qualifient les Gilets jaunes de gueux politiquement acculturés. Au Vigan et ailleurs, on n’est plus là pour contester le prix de l’essence à la pompe, mais pour défendre la République. Et on retrouve, après une courte trêve estivale, l’énergie de s’affranchir des pesants petits pas en avant et en arrière des cortèges domesticables.

Défendre les services publics

Samedi 21 septembre au Vigan, alors que la météo passe à l’orange, les Gilets jaunes du Vigan (Gard) scandent, sourire aux lèvres : « On est pas fatigué… Macron si tu savais…» Sous une fine pluie, le cortège qui est parti de la mairie se dirige vers la sous-préfecture. La population descendue au marché regarde passer le groupe d’environ 150 personnes avec bienveillance. Une demi-douzaine de gendarmes suivent discrètement le défilé. Pas de démonstration de force ou de volonté d’empêchement, rien de comparable avec les 7 500 policiers et gendarmes armés et vitaminés déployés dans la capitale au même moment.

Dans la petite ville cévenole, tout le monde se connaît. On peut ne pas souhaiter se joindre à la lutte mais on respecte la persévérance et la solidité de conviction. En tête de cortège, les femmes ouvrent la voie. Alignées derrière la banderole où est inscrit « Non à la fermeture de la trésorerie publique », elles plaisantent : « On est cévenoles, c’est pas quelques gouttes qui vont nous faire rentrer chez nous. » Depuis les premières heures du mouvement, les femmes ont fait preuve ici d’une détermination à toute épreuve, aussi bien par l’assiduité de leur présence sur le rond-point que lors des manifs où elles sont montées en première ligne.

 

Objectifs convergents

Comme toute initiative, cette manifestation citoyenne a été préparée collectivement. Au Vigan, l’acte 45 des Gilets jaunes s’oriente vers la convergence avec un double objectif : celui de rallier les Marcheurs pour le climat et de concerner la population locale sur les services publics qui disparaissent au même rythme que les abeilles (1). Ainsi, sur la place de la Mairie, Gilets jaunes, militants pour le climat, blouses blanches, stylos rouges, fonctionnaires, retraités, chômeurs… se retrouvent côte à côte pour la défense du climat et des services publics. Certains syndiqués sont présents mais pas le moindre sigle d’organisation syndicale n’est visible.

Côté perspectives politiques, les Gilets jaunes du Vigan se sont mobilisés pour faire entendre leur voix au sein de la Communauté de communes. « Une délégation a été désignée pour demander la création d’une commission citoyenne », indique Manu, un Gilet jaune élu dans un village voisin. « Nous avons été reçus et avons pu exposer notre proposition mais ils ont joué sur les contraintes légales en nous expliquant que la Com. com. est ouverte à la contribution de tous les citoyens. »

La concertation s’arrête où commence la loi. Mais qui fait les lois et pour qui sont-elles faites ..?

Malgré cette fin de non recevoir, les Gilets jaunes oeuvrant pour un rééquilibrage de la démocratie représentative au profit de la démocratie directe, persévèrent. « Nous ne souhaitons pas rompre le dialogue », explique Manu sans lassitude. « On reste en bons termes. On assiste aujourd’hui à l’ouverture de micros convergences. Il faut continuer ».

« C’est normal que les jeunes manifestent pour le climat », lance une femme au micro désormais accessible à toutes les personnes souhaitant s’exprimer, « si on n’intervient pas pour changer la donne on est foutu et on entretient le cynisme du gouvernement. Avec l’inversement du système de retraite, on peut se foutre du fait que les jeunes n’auront pas de retraite puisqu’ils ne mourront pas de vieillesse. » Entre le jaune et le vert, la boucle est bouclée. L’objectif des Gilets jaunes d’associer une marche pour la justice climatique à la justice sociale est atteint. Un petit pas, mais une avancée certaine pour l’intérêt général.

Jean-Marie Dinh

 


1) La ville du Vigan a vu disparaître en quelques années, le tribunal d’instance, la permanence de la CAF, de la Sécurité sociale et de la Carsat. La fermeture annoncée de la trésorerie, va pénaliser les citoyens du bassin viganais.

2) Le SIG dispose d’un budget de 12,4M€


Voir aussi : Rubrique Politique, Regard du maire du Vigan, Mouvement citoyen, Convergence,

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.