Par Alice Beguet

 

Des mots pour les morts au dos courbé,
La taille et les hanches sciées,
Enfants d’enfants d’aliénés,
Formateurs d’enfants aliénés
Par les riches et puissants,
Armes de l’emploi à la main,
Duo de gros billets négligemment agités,
Devant des faces, bien avant l’âge, marquées.

 

Non, vous n’avez pas bien compris. C’est le peuple, jaune de maladies sociales renfrognées, qui s’est levé depuis un an vers toi, pouvoir ! Tremble !, tremble, pouvoir en col blanc ! Le jour de ta grande mort arrive, laissant émerger le crépuscule du nôtre : celui de la libération de tes soldats avilis ou déserteurs, les yeux enfin ouverts perçant l’enduit de belles paroles de tes actes mortifères. Là où ton bouton de manchette passe, c’est la famine qui sévit, assaisonnée de sel, gras et goûts aussi artificiels que ton monde lissé sur papier glacé. Il est fini, le temps des générations de condamnés lacérés par l’angoisse du maître, royal ou financier. Le petit jeu ne prend plus, la Vie a bien plus de valeur que le pari perpétuel au jeu de tombola de la « réussite sociale ». Un gagnant sur 5 milliards, plus grosse arnaque du système capitaliste. Il est fini, le temps où la caste du haut se sert impunément dans les vies de ses semblables pour satisfaire des besoins financiers aussi gigantesques que ceux de 100 000 de ses employés jetables comme des tampons usagés. Nous n’irons plus travailler dans ces boîtes au couvercle refermé sur nous-mêmes, sur lesquelles le patron dort sur ses deux oreilles pendant que les vies qu’il s’est payées au prix d’un salaire défiant toute concurrence ne ferment plus les yeux sans calmant, lorsqu’ils ont le droit de les fermer.

Non, vous n’avez vraiment pas compris que la désillusion nous anime depuis bien longtemps déjà, depuis le berceau, depuis toujours. Nés dans le rouge, la limite des frontières du possible économique toujours franchie pour rester enfermés dans ses ombres morbides. Nos enfances sous plan vigipirate suivies de nos adolescences rythmées par les programmes TV vantant une violence policière victorieusement meurtrière qui nous a gazés à chacune de nos revendications sortant des rangs syndicaux. Notre entrée dans la vie active marquée par des dettes : celles des emprunts pour étudier, celles des interdits bancaires et des appels incessants des huissiers, dès notre majorité. Seule erreur de notre part : n’être pas nés du bon côté de la barrière séparant dès la naissance le bien aisé du trimard que nous représentons si bien. Non, nous ne croyons plus à vos mensonges, forcés de dealer pour se nourrir, de se prostituer pour régler nos loyers jamais encadrés. Nous n’avons pas connu la guerre, non, mais la violence des vies qui nous servaient d’exemple : celles passées à l’usine, biologiquement détruites par des 3/8 ravageurs, celles dévouées au social et ponctuées de ce qu’on n’appelait pas encore le burnout ; celles durement vécues sous les coups de la hiérarchie ravageuse, raciste, rabaissante. Le temps d’une vie passé plus avec ses collègues qu’avec les précieux proches qu’on s’est choisis, cotoyés uniquement lors des repos gracieusement alloués par l’esclavagisme social, tandis que cernes et ulcères se creusent.

Non, nous n’envisageons pas notre existence comme une graine de chair à canon de la haute finance tant internationale que locale. Nous avons décidé de reprendre le droit sur nos propres individualités. Forcés de se nourrir dans les poubelles des supermarchés et d’aller trier les bons fruits au milieu des pourris sur le bitume des fins de marchés, d’aller quémander la tête baissée de quoi se ravitailler aux Restos du Cœur, de s’habiller chez Emmaüs et des poubelles des autres, quoique plus nobles à nos yeux que les nouveautés cousues de mains de femmes et d’enfants esclavagisés à des milliers de kilomètres de là. Nous avons fait des luttes de nos semblables nôtres. La misère est universelle, tout en s’alignant sur les PIB respectifs des nations. Là, nés dans un appartement délabré du 14ème étage d’une cité où la promiscuité est digne de la folie des fermes aux 1000 vaches ; ici vendues ou tuées pour être nées femelles ; ailleurs enfermé entre 4 murs d’une chambre embuée de la seule substance qui fera office de l’ailleurs nécessaire à la respiration de l’esprit, face au poste de télévision déversant ses divertissements gerbants pour offrir de fausses gaietés à une vie de tracas permanents, faite de chômage ou brisée par un travail harassant, la tête prise dans l’étau gris des façades froides réelles ou psychologiques.

Non, nous ne jouerons plus à votre petit jeu, celui de la défiance envers une origine différemment pigmentée, celui de la déshumanisation criante qui fait partie du quotidien : nous avons vécu, nous vivons, les contrôles au faciès chaque jour. Racisme, xénophobie, laïcité dévoyée, pauvrophobie ignoble pour mieux pointer du doigt à grands coups d’aboiements médiatico-politiques des têtes de turc, pendant que les maigres libertés chèrement gagnées par nos anciens diminuent avec subtilité comme peau de chagrin. Nous avons grandi dans la schizophrénie des insultes d’une société pourtant lumineuse de pensées, multiculturelle, faite de mille visages aux milliers d’histoires, qui nous a pourtant éduqués de précieux savoirs. Pas bêtes pour un sou, nous nous en sommes emparés sans jamais les lâcher. Et sur la large toile qui dépasse vos petits grands pouvoirs, nous avons ouvert le grand livre de l’Histoire, de nous-mêmes, alors même que l’école de la République a décidé de nous snober en nous en fermant les pages, à nous, au parcours scolaire écourté par les carcans imposés à nos esprits, nos corps, nos cœurs. Nos mains abimées et têtes imaginatives sont devenues conceptrices de technologies autodidactes bien plus avancées que celles faites d’appauvrissement des sols, de souillage de la pureté de l’air et de l’eau dont nous sommes faits.

Non, vous ne comprenez pas. Nous voulons du repos. Du vrai. Du simple. Du sain. Ce repos que nous ne connaissons pas, vu d’en bas. Harcelés, tiraillés par le temps volé qu’on voit fuir, impuissants. Les pensées fixées sur un début de mois à 900€ d’une paye pourtant de 1200€ : le découvert nous a fait chavirer pour mieux nous couler. Chaque mois dans le rouge, chaque mois prélevé d’agios, chaque mois à ne pas savoir comment on le passera. De classe moyenne à pauvre, il n’y a qu’un pas sur l’autoroute du découvert qui nous a ôté jusqu’à nos pudeurs. La voilà, la réalité de ce peuple souverain sans l’être. Il n’en est pas à 500€, ni même à 50€ : il en est à 5€ près, même 2, voire 1. Il en est fini de la mascarade tendue de prétextes bidons et insolvables, de l’éternelle dette à l’effort du peuple, des « ça va mieux qu’hier » aux « ça ira mieux demain ». Nous refuserons désormais de fouler de vos rouleaux-compresseurs les richesses des terres bien trop injustement réparties dont nous ne pouvons jouir pour remplir nos ventres sans sou. Non, vous ne nous diviserez plus : ce n’est parce que nos salaires de misère ne suffisent pas à accomplir l’idéal chèrement vanté que nous ne donnerons pas à celui qui a faim, nous ne ferons qu’un et refuserons de dénoncer cette âme en peine dans le monde trop fou aux rouages huilés par tant de générations.

Non, vous ne comprenez ce qui se joue : nous refuserons de frapper hommes et femmes à grands coups de tonfas inhumains et froids d’une obéissance inconsciente au service du riche industriel. Nous déposerons les armes, les outils et les caisses enregistreuses assourdissantes de bips incessants, les assiettes de ceux qui ne s’estiment pas à la bien basse hauteur de servir son prochain. Nous refuserons de brader pour quelques ridicules 8€ une seule précieuse heure du temps qui s’écoule et a écroulé tant de morals et squelettes sous le joug de la finance. Finis, les consensus où les seuls mêmes, les dociles soumis au temps de cerveau disponible, les amoureux du travail bien fait, les gentils, les pauvres, payent toujours leurs impôts à temps ou en totalité avec les pénalités, quand ils tardent à avoir suffisamment de blé pour s’offrir le luxe de les honorer à temps, se saignent aux quatre veines pour une société qui les exclus, toujours plus. Quitte à se saigner, autant que ce soit pour une belle cause plutôt que pour enrichir les costumes hautains et nous regarder couler les uns les autres en chiens de faïence. Et saignés du fond des tripes et du coeur comme nous le sommes, il sera difficile de rivaliser avec vos armes et brigades ; ni les gaz, ni les matraques ne retiendront plus la colère du peuple bafoué par tant de générations de maîtres.

Non, vous n’avez pas compris. Non, vous n’avez même rien compris du tout : nous sommes demain. Le demain qui s’invente par lui-même, celui qui lie les civilisations entre elles et s’inspire de toutes, pour tous. Nous avons plaqué une vie qu’on a voulu nous imposer rangée dans les couloirs des banques, des grands groupes au capital dévastateur et meurtrier, des institutions élevées au rang de la suprême « réussite », pour rejoindre la terre salissante, la nature repoussée loin de nos villes, embrassant les beautés que ce système n’a pas inventées. Nous nous épanouirons d’activités multiples et variées, forts de la solidarité de cette pauvreté imposée qui nous a unis, du plus petit insecte au plus fort de nos congénères. Il faudra donc être pauvre ? Mais pauvres, nous ne connaissons que ça, nous, débrouillards jusqu’au bout des ongles des plus coquettes. De l’effort national nous ne ferons rien, toutes nos forces partiront pour le monde dans son plus bel ensemble, loin des disparités qu’aiguise une société factice. Nous rebâtirons le pont qui nous unit les uns aux autres, ce fil de sens qui donne tout le sien à la substance même de notre raison d’être social, sans lequel nous mourrons aigris, apeurés, seuls et inconfiants, relégués au fond des cul-de-sac de la rue meurtrière, dans des chambres isolées en contact unilatéral avec la télé, ou asphyxiés au creux de la Méditerranée. Notre vie sera un travail pour le monde, pour perpétuer, avec tout le respect qu’on lui doit, la Vie de celui ô combien riche dont nous ne sommes que partie.

A.B.

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