Le premier festival des sciences sociales, organisé par l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), s’est déroulé du 25 au 29 septembre à Marseille. L’interrogation centrale de la manifestation, « En finir avec la nature ? » y était déclinée à travers de multiples réflexions et propositions. Illustration avec un passionnant forum sur le thème  » : « Se mobiliser pour le climat : dialogues citoyens », où la parole de jeunes militant-e-s a occupé le devant de la scène.

« En finir avec la nature ? La formule peut paraître provocatrice, à un moment où il semble que l’urgence soit de la défendre et de la sauver » reconnaissent Antoine Lilti et Valeria Siniscalchi, présidents du Comité scientifique du festival « Allez savoir », « la nature est en péril, menacée par l’industrialisation massive, la destruction des écosystèmes, la réduction drastique de la biodiversité. C’est ici que les sciences sociales peuvent apporter un regard différent, décalé et précieux, en étudiant les liens complexes et subtils qui attachent les sociétés à leurs environnements. La nature n’est pas extérieure aux sociétés humaines, elle est produite, travaillée, transformée. Les menaces qui pèsent sur elle ne sont qu’une des modalités des relations complexes qu’elle noue avec les humains ». Ces relations complexes, le festival, gratuit et ouvert aux non spécialistes, s’est efforcé de les explorer à travers plus de quarante événements (débats, tables rondes, spectacles, expositions…) au fil de cinq jours d’échanges.

A la Vieille Charité, monument historique et siège de l’EHESS en plein coeur de  Marseille, le forum sur le thème « Se mobiliser pour le climat : dialogues citoyens » a réuni plusieurs dizaines de personnes sous un chapiteau: chercheurs, enseignants du secondaire, citoyens d’âges divers…et surtout jeunes, acteurs locaux d’un mouvement mondial, à bien des égards inédit, pour la défense du climat. Collégiens, lycéens et « militants pour le climat » (membres de Greenpeace, de Youth for Climate, d’Extinction Rébellion, etc…) ont fait souffler un véritable vent de jeunesse sur cette initiative. Dire cela, ce n’est pas faire preuve d’un quelconque jeunisme mais accueillir des paroles authentiques là où le vieux  monde politique donne souvent le spectacle dérisoire du vide. Des raisons qui ont amené ces « jeunes » au militantisme dans des associations écologistes (à la fois Greenpeace et Alternatiba pour Emma par exemple) au rôle des sciences sociales qui serait de « rendre visible l’invisible » selon un intervenant- en passant par le récit d’une immersion dans le parc des calanques remarquablement assuré par un groupe de collégiennes- l’initiative a balayé un large champ de questions. Non pas en écoutant un panel d' »experts » parler doctement d’un mouvement qu’ils regardent de plus ou moins loin, mais en écoutant la parole des acteurs-actrices.

En ces jours de surenchères ignobles de la part de journalistes, « philosophes » et autres commentateurs, « il y a quelque chose qui fait obstacle à la conscientisation de la part de certains médias,  à la suite du discours de Greta Thunberg » relevait un jeune militant, « on se fait prendre de haut par M. le Président et ses ministres qui sont arrogants au possible et méprisants : « c’est bien gentil de manifester mais vous pourriez faire quelque chose, par exemple aller ramasser des déchets » alors qu’ à chaque manif,  il y a des ramassages de déchets (…) Aujourd’hui, ce qu’il faut voir, c’est cette propagande qui se met en place : je ne mets absolument pas en cause l’ensemble des médias mais certains éditoriaux. En plus, il y a un mois, ils disaient : « c’est super ces jeunes qui manifestent, mettez nous la pression » et maintenant que l’ on agit un peu plus fort,  que la France est poursuivie en justice, que les actions de désobéissance se multiplient, là, tout d’un coup c’est : « mais non, on agit déjà ». Emmanuel Macron est allé jusqu’à demander  aux jeunes d’aller plutôt manifester en Pologne !

Une foule de questionnements

Comme d’autres avant elles, la visée écologique se trouve confrontée à une des questions majeures posées lors de ce forum : la délimitation entre « intérêt individuel » et « intérêt général« . Même si elle peut être jugée très timide,  l’ idée du périmètre de sécurité autour de champs où sont utilisés des pesticides, proposée par le gouvernement, a suscité des réactions de colère de la part de certains agriculteurs. Ce qui amène Emma à exprimer cette conviction : «  quand on s’attaque à des problèmes systémiques comme ça, il faut toujours s’attaquer aux idées et pas aux gens. Le rôle des associations, c’est aussi d’apporter des solutions à la mesure de l’effort qu’on demande aux gens, de leur apporter un accompagnement ». 

Le mérite de cette initiative a été d’apporter, non pas des réponses toutes faites, mais une foule de questionnements : faut-il s’appuyer d’abord sur des luttes locales et construire une sorte de réseau, comment aborder la question de l’emploi dans les secteurs économiques particulièrement concernés par la transition écologique (l’automobile par exemple), comment penser la « violence » et la non violence dans les luttes…

Le fait qu’une « institution » comme l’EHESS ait décidé d’ouvrir les fenêtres sur ces réflexions, d’accueillir ces paroles, est déjà un signe des temps.

N.P.

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Reprend des études à chaque licenciement économique, ce qui lui a permis d'obtenir une Licence en Histoire de l'art et archéologie, puis un Master en administration de projets et équipements culturels. Passionnée par l'art roman et les beautés de l'Italie, elle garde aussi une tendresse particulière pour ses racines languedociennes.