Nous publions la contribution d’une ex-policière qui a eu de sérieux démêlés avec le fonctionnement interne du système policier aujourd’hui sur la sellette. C’est un témoignage humain qui rappelle les principes premiers de loyauté du métier de policier comme celui du devoir d’impartialité.


 

Commentaire de la rédaction

 

Ces mêmes principes ont conduit à une situation qui paraît inextricable dans l’hexagone. En Grande Bretagne où elle devrait bientôt être intégrée en tant que policière, il semble que les valeurs de loyauté aux principes du métier et d’impartialité soient plutôt considérées comme des atouts. L’exemple de cette femme n’est pas un cas isolé, il démontre la déviance préoccupante du système policier français. Alors que la police en tant qu’acteur du jeu politique se retrouve au centre du débat public. Le premier flic de France est lui-même en conflit ouvert avec les syndicats de police Alliance et Unsa-Police. L’interdiction de recourir à la « clé d’étranglement » comme technique d’interpellation équivaut, selon les syndicats, à les laisser sans moyen pour arrêter des personnes violentes ; la « tolérance zéro » pour les faits de racisme dans la police est quant à elle vue comme une accusation générale. Une récente enquête de Médiapart sur l’IGPN (l’inspection générale de la police nationale) met en évidence les techniques récurrentes permettant à la police des polices de blanchir massivement les forces de l’ordre. Face à ces multiples déviances amplifiées par un recours fréquent à l’état d’urgence, la responsabilité de l’État est engagée. Fidèle aux valeurs de la République, le témoignage de cette ex-policière ne se veut pas à charge. La démarche est courageuse. Son propos évoque la notion de « sûreté », entendue comme le droit d’une personne humaine contre les agressions, qui se distingue de celle de « sécurité », recouvrant la prévention des risques, y compris politiques. À partir de son expérience malheureuse, elle appelle ses anciens collègues à considérer les choses autrement, comme elle demande aux citoyens français de ne pas faire d’amalgame. Ce regard orignal nous transporte loin des stéréotypes habituellement véhiculés.

 


 

Témoignage

 


Je suis une femme avec un nom étranger, de nationalité française et d’origine sri-lankaise. J’ai rejoint la police nationale en 2015 après avoir été formée à l’école de la police nationale de Périgueux pour rejoindre le commissariat d’Auch. Et j’ai quitté la police nationale après un long conflit judiciaire avec l’administration policière suite à des propos discriminatoires de certains policiers.


 

Une des finalités de ce long procès est que le tribunal administratif de Pau a reconnu le non fondement de mon licenciement au motif reposant sur le fait que je serais psychologiquement dérangée et a ordonné ma réintégration dans mes fonctions de policière. Cependant, l’administration policière refuse d’exécuter les jugements et de me restituer les années de salaires qui me sont dues. Cette obstruction n’est pas sans conséquences sociales. Étant mère célibataire, je viens de déposer un dossier de surendettement dans l’attente de cette régularisation.

Dans mon affaire, suite aux accusations émanant d’agents de la police nationale, une expertise psychiatrique a été effectuée. La présence de la commissaire de police ou d’un représentant de ce corps était impérative, mais après m’avoir fait porter le fardeau de leurs accusations, ils se sont abstenus d’être présents pendant les séances d’expertises.

Ces accusations ont été infirmées puisqu’il est démontré que je conserve mes capacités de jugement et le contrôle de mes actes. Par ailleurs, l’expertise souligne que je ne me suis pas intégrée au collectif constitué et au fonctionnement interne parce que j’ai refusé de trahir les valeurs de notre République à la différence de certains policiers qui s’octroient le pouvoir de s’en écarter.

Je suis aujourd’hui dans l’attente de l’acceptation de ma renonciation à la nationalité française par le préfet du Gers. Pour m’en sortir, j’occupe de petits emplois et j’ai créé une auto-entreprise. Je m’étais engagée en tant que colistière sur une liste électorale municipale mais je me suis finalement retirée par refus d’agir contre mes convictions. Une partie de ces valeurs sont devenues miennes au cours de ma formation pour entrer dans la police nationale.

Parallèlement, j’intègre le « College of Policing » en tant qu’officier de police judiciaire — « détective » en anglais — avec une spécialité dans la criminalité organisée. Je rentre prochainement en formation pour intégrer la police internationale d’Oxford et prétendre dans deux ans au grade d »‘inspector », l’équivalent de capitaine de police. Ainsi, je n’aurais réalisé qu’à moité mon rêve de devenir officier de la police judiciaire et le 36 [Quai des Orfèvres] restera juste une illusion pour moi.

 

Double langage syndical

 

Crédit Photo Sylvain Binet

Dernièrement, on m’a remis un article de journal signé par le secrétaire général d’un syndicat de la police nationale. Ce dernier prétend que la police a le devoir de faire respecter les lois et les règlements de notre pays et affirme qu’on ne doit pas juger une personne en fonction de ses origines mais des actes qu’elle a commis.

Pendant ma formation j’ai adhéré à ce syndicat. Dans ce cadre, j’ai eu l’honneur de côtoyer des hommes fatigués d’exercer le métier de policier. Être policier est un travail formidable quand on participe à la paix sociale, mais c’est un métier qui peut vite se révéler très difficile lorsqu’on subit l’administration d’un coté et la violence de nos concitoyens de l’autre. Je pense que l’origine du ressentiment de nos concitoyens est souvent suscitée par les abus de pouvoir de certains policiers qui manquent de  professionnalisme.

Lorsque j’ai quitté ma première affectation, j’ai fait une promesse à mes collègues, que j’ai tenue malgré l’acharnement de certains d’entre-eux à mon encontre. Dans un second temps, j’ai rejoint le commissariat d’Auch et me suis retrouvée face à un mur lorsque je me suis adressée au représentant de mon syndicat. En effet, ce dernier a refusé de reconnaître mon adhésion comme il a refusé, plus tard, de m’aider à faire appliquer les jugements prononcés en ma faveur. À ce jour, il persiste à relayer des griefs à mon détriment en mettant en cause ma santé mentale. Afin d’éviter le conflit, j’ai continué à prendre conseil auprès de deux mentors de mon ancienne école de police jusqu’à ce que ces personnes ne répondent plus.

Le 31 mai dernier, j’ai été l’objet de nouvelles persécutions, liées à mes anciennes fonctions de policière, dans le cadre de ma vie privée. Deux hommes ont tenté de m’intimider en m’agressant et m’ont ordonné : « Arrête de t’acharner sur tes responsables hiérarchiques, ils te surveillent… », avant de prendre la fuite en voiture à l’approche d’un véhicule. Ma fille, âgée de 11 ans, est une victime collatérale de ce harcèlement… À l’origine des faits, le syndicaliste, qui donne des leçons de moralité, a « couvert » la violence de son collègue contre un jeune. Malgré tout, je ne lui jette pas l’opprobre car il reconnaît qu’il y a des électrons libres parmi ses hommes. Mais il n’est pas en mesure de proposer une solution au problème des dérapages qu’il faut faire cesser afin de regagner la confiance des citoyens.

Voilà pourquoi maintenant il m’est difficile de rester silencieuse. Ces derniers jours, j’ai lu dans la presse et sur les réseaux sociaux beaucoup d’absurdités à propos de la police. Malgré le conflit qui m’oppose au système policier français, je souhaite faire état de mon point de vue sur la question du racisme au sein de la police.

 

Est-que la police est raciste ?

 

Prétendre que la police est raciste et en faire une généralité revient à affirmer que tous ces hommes et femmes qui viennent de tous les horizons sont moulés dans le même embryon. Or, il n’en n’est rien. Nous venons tous d’horizons différents : de parents étrangers, de quartiers difficiles, de zones urbaines sensibles. Qui sont les policiers ? Vous trouvez dans nos rangs des gens qui sont vos voisins, vos camarades de classe, des personnes avec qui vous avez grandi et qui connaissent comme vous la discrimination, le racisme. Nous n’appartenons pas à la haute sphère des intouchables, loin de là.

Ce n’est pas un hasard si j’ai décidé de rejoindre la police nationale. J’aime cette deuxième famille. Le choix de devenir policier-e est souvent lié à notre expérience de vie personnelle ou à un rêve de jeunesse. Il comporte des devoirs. Nous sommes censés agir de matière impartiale, maintenir une réserve et entretenir une relation avec nos concitoyens. Notre devoir est aussi de vous protéger, de vous respecter, de vous porter assistance, de vous aider lorsque vous êtes victimes.

En s’engageant dans la police nationale, on s’engage à ne pas faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fasse. Par ailleurs, nous recherchons et interpellons les personnes qui ont enfreint les lois et les règlements de notre pays, quelles que soient leur couleur de peau, leur origine, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques. De fait, ces personnes qui ont outrepassé les lois subissent les conséquences de leurs actes. Cependant, certains auteurs d’infraction se victimisent dès que les circonstances le permettent en invoquant le « racisme » ou « l’abus de pouvoir ».

Certes, il y a bien une minorité de collègues au sein de notre service qui abusent de leur statut ou qui sont racistes. Mais il nous est difficile d’agir à leur encontre car ils sont généralement couverts soit par la hiérarchie, des syndicats ou la magistrature elle-même qui étouffe les affaires afin d’éviter tout scandale médiatique.

Au lieu de remettre en cause ce dysfonctionnement, certains parmi nous appliquent la politique de l’autruche ou intériorisent leurs souffrances.  Et celles-ci font leur chemin, conduisant parfois jusqu’au suicide. L’augmentation du taux de suicide dans la police est liée aux dégradations continues de nos conditions de travail. Les textes de lois et la loi du silence n’évoluent pas avec l’air du temps. Et ceux qui décident de s’exprimer ou de dénoncer mettent en péril leur carrière au sein de la police nationale. L’administration de la police nationale, les syndicats de police et des magistrats ont recours à un véritable arsenal stratégique, et parfois à des agissements illégaux pour les faire taire.

 

Appel à mes ex-collègues et aux citoyens

 

Lorsqu’une personne humaine est victime d’une agression, la police est là pour la protéger. Le gouvernement édicte des textes de loi pour assurer votre sûreté. Mais lorsqu’un policier souhaite dénoncer un dysfonctionnement ou l’abus de pouvoir d’un collègue, il ne trouve personne pour le soutenir ce qui permet à sa hiérarchie de se débarrasser de lui. Les citoyens devraient pouvoir s’organiser pour se doter d’une capacité d’information et d’action dans le domaine de la sûreté publique.

Étant de peau noire et de par mon vécu au sein de la police nationale, je vous assure que, malgré certains électrons libres, notre police n’est pas constituée de personnes racistes. Il m’est facile de constater et de témoigner que nous sommes tous des pions ; notre gouvernement manipule ses cavaliers comme bon lui semble afin de parer à ses incompétences et de se soustraire quand cela l’arrange à la « bonne » gestion de notre pays.

Étant moi-même victime des préjugés de certains policiers, je les invite à se remettre en question sur leur attitude à l’égard des citoyens qu’ils qualifient sans discernement de  « cas soc. » [cas sociaux]. Je conseille à mes chers ex-collègues qui jettent leurs menottes de participer à la restauration des valeurs de la police plutôt que de couvrir systématiquement l’attitude déviante de leurs collègues. Et vous, mes chers concitoyens, je vous invite à remettre en question vos jugements qui tendent à mettre tous les policiers dans le même sac. Il faut reconnaître que les torts sont des deux côtés si nous voulons faire évoluer la situation. Car celle-ci profite politiquement au gouvernement qui en use selon ses intérêts du moment, mais cela ne profite pas à notre démocratie.

 

Je dédie cet article au sergent James Urwin qui m’a encouragé à rompre le silence.

Illustration Frans Masereel L’ange noir 1950

Remerciements à Sylvain Binet artiste peintre

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