En France, Les personnes âgées ont été touchées de plein fouet par l’épidémie de Coronavirus dans les lieux les plus visibles que sont les Ehpad. Mais pas partout de la même manière. Les données sur la situation sont divulguées au compte goutte par la Direction générale de la santé.


À l’heure actuelle, en Occitanie, la Haute-Garonne semble être épargnée au plus grand soulagement des personnels qui travaillent aux côtés de nos aîné-e-s. Cependant, le nombre d’établissements touchés par le Coronavirus est passé de trois à une dizaine. Sur le terrain, les salariés se sentent agressés par les conditions de travail et tirent la sonnette d’alarme.


 

Il y a deux ans, le rapport d’information de Monique Iborra et Caroline Fiat présenté par la commission des affaires sociales soulignait « une prise en charge insatisfaisante face à laccroissement de la dépendance des résidents » et un besoin de 20 milliards pour être à la hauteur de la situation. Aujourd’hui, alors que les décès atteignent un niveau record au niveau national, les personnels doivent se débrouiller avec les moyens du bord pour soulager leurs pensionnaires.

« Nos conditions de travail sont liées aux conditions de vie des résidents »

Confinée, empêchée de se rendre sur son lieu de travail parce que de santé fragile, Aurore Vendoze, aide-soignante à La Houlette de Pibrac ( 8 298 habitant-e-s ), un Ehpad (1) de 80 résident-e-s du groupe Edenis (2), fait tous les jours le point avec ses collègues par visioconférence. « Elles partent au travail la boule au ventre », révèle la déléguée CGT. « Nos conditions de travail sont liées aux conditions de vie des résidents », souligne Aurore. La décision du confinement a été prise en concertation avec les représentant-e-s du personnel. La direction leur a d’abord demandé, sur la base du volontariat, s’ils voulaient bien se confiner avec les résident-e-s. « En désaccord, les salariés sont revenus vers moi pour savoir si on avait le droit de leur demander ça. On comprend l’urgence de protection, poursuit-elle, mais notre responsabilité s’arrête à la porte de la maison de retraite. Les salariés refusent de se confiner à l’intérieur parce qu’ils ont peur même s’il y a des masques et des gants. Ils ont aussi besoin de se ressourcer, de rentrer chez eux pour être avec leur famille ». La syndicaliste évoque les interrogations qu’ont suscitées les directives gouvernementales : « Restez confinés. » « Mais dans l’entreprise, est-ce vraiment pour nous protéger ? Qu’est-ce que nous sommes en fait ? Et si la vague arrive et qu’il y a beaucoup de morts ; tout barricader pour que les résidents ne meurent pas ? Et pourquoi ils mourraient puisque des protections ont été mises en place ? ».

« Elle s’accroche à moi comme à une bouée de sauvetage »

En dépit de mesures de précaution prises à l’entrée de l’établissement avec la mise en place de sas de décontamination, « elles regagnent leur foyer la peur au ventre », raconte Aurore. Ce sentiment est profondément humain. De retour à la maison, les garages deviennent des lieux improvisés de décontamination. Les vêtements du jour sont lavés afin de protéger les familles. « On n’a pas eu de décès dus au Covid mais des décès liés à la vieillesse » ; la représentante du personnel qualifie de « pas trop mauvaises » les mesures prises, mais reste vigilante sur la quantité de matériel disponible. Les gants et le gel hydroalcoolique n’ont jamais manqué : « Au début, on a eu droit à un masque chirurgical par soignant et par femme de ménage, puis deux masques pour tout le monde. » Ensuite, « La direction a commandé des masques et des visières. Elle a stocké, au siège, des masques FFP2 et des sur-blouses en prévision d’une vague ». Le matériel a été mis sous clé par crainte d’envolée : « Il y a eu des pertes. Gants et masques sont donnés sous enveloppe », explique Aurore qui travaille comme aide-soignante depuis 14 ans. Il y a quatre ans qu’elle fait les nuits. « La nuit, je ne reconnais pas les résidents avec leurs angoisses de ne pas pouvoir se réveiller. Une résidente s’accroche à moi comme à une bouée de sauvetage. Du coup, elle appelle toutes mes collègues Aurore. Je viens à chaque bip, elle sait que je suis là, je la rassure, je lui parle de sa famille, de son arrière petit-fils qu’elle aime beaucoup. » Un autre résident passait ses nuits à crier, il suffisait qu’une personne lui gratte la tête pour qu’il s’apaise. Sauf qu’elles ne sont pas assez nombreuses à pouvoir passer du temps auprès de chacun-e, à pouvoir s’adapter à leur rythme.

« On les licencie avant 50 ans, ça me met hors de moi ! »

 

Céline Astugue animatrice du collectif Ehpad 31. Photo DR NVO

« Ça fait des années qu’on crie : un résident, un soignant ! », s’exclame Céline Astugue, animatrice du collectif Ehpad 31. « C’est pas le cas, on a 0,40 équivalent temps plein au pied du lit du résident. » La responsable départementale de la branche santé-action sociale CGT dresse un tableau sombre et inquiétant : « 90 % des établissements, publics et privés, embauchent du personnel non diplômé, on les appelle des faisant-fonction d’aide-soignante. Sur 20 aides-soignantes, 10 ne sont pas diplômées, cela permet aux directions d’économiser sur les salaires. L’État et l’ARS (3) cautionnent cette politique. » Des salaires à 1 400 euros après 20 ans de carrière, 1 200 euros pour les agents de nettoyage, les ASP (4). Les conditions de travail éprouvantes et le manque de reconnaissance, à tous les niveaux, rendent ce métier peu attractif, d’où la pénurie.

« La majorité sont des femmes étrangères élevant seules leurs enfants et qui travaillent 13 heures d’affilée avec 2h de coupure pas payées. Elles ont des tendinites aux épaules, le dos cassé. On leur dit à 48 ans, changez de métier, on les licencie avant 50 ans, ça me met hors de moi ! 1h30 pour faire manger 84 résidents, pour les coucher, c’est un jeté de lit ! 2 aides-soignantes pour la nuit, c’est un abandon !, dénonce la cégétiste. Dans quelques Ehpad, il n’y a pas d’aide-soignante la nuit. On est démunies. La consigne est de ne pas appeler le 15 pour ne pas engorger les urgences et d’attendre le matin l’arrivée de l’infirmière. Une amie a été convoquée par sa hiérarchie pour avoir appelé le 15. »

 

Des moyens humains pour accompagner dignement les résident-e-s

Aurore est révoltée par le double discours des dirigeants du pays : « Il y a quelques mois on nous cassait du sucre sur le dos, maintenant on nous traite de héros alors qu’on travaille avec très peu de munitions. On a besoin de personnel pour accompagner dignement les résidents, or l’objectif de nos directions, c’est de maîtriser la masse salariale. » Les salarié-e-s vivaient mal l’insécurité de nuit, car s’il fallait appeler le Samu pour un patient, l’attente de l’ambulance faisait peser un danger sur les autres résidents, donc décision a été prise de recruter un infirmier de nuit : « Pour le moment, il travaille de jour à former l’ensemble des personnels en cas de Covid-19 , explique Aurore. Mon établissement est prioritaire pour les recrutements. Depuis janvier dernier : deux aides-soignantes et une agent de nettoyage par jour. Avant, c’était deux. Les autres maisons de retraite seront concernées à partir de juillet prochain. Au total, on est 60 salariés, un animateur, un psychologue et 2,5 infirmières par jour pour 80 résidents, c’est pas assez. On nous dit qu’on est bien lotis parce qu’ailleurs c’est moins. » Aurore aime son métier : « Je suis viscéralement aide-soignante. Plus on se battra pour qu’on respecte nos conditions de travail, plus on respectera le rythme des personnes âgées ».

Depuis le début du confinement dans l’Ehpad de la Houlette de Pibrac, les résident-e-s restent dans leur chambre. Ils prennent les quatre repas de la journée isolé-e-s les un-e-s des autres. Quatre à cinq tablettes leur permettent de rester en relation avec leurs familles, ainsi que les portables personnels. Des courriers sont régulièrement envoyés aux familles. Malgré ces dispositions, ils interrogent de manière lancinante les raisons pour lesquelles ils ne voient plus leur famille et ne peuvent plus sortir. La psychologue et la personne chargée de l’animation font tout pour rendre plus supportable aux anciens cette vie confinée.

 

Le confinement a commencé tôt en raison d’une suspicion

Ehpad Edenis de Saint-Gaudens

Dans cet Ehpad de 82 résident-e-s du groupe Edenis de Saint-Gaudens ( 11.327 habitant-e-s ), il y a un grand jardin où tous ceux et toutes celles qui ont envie de prendre l’air sortent quand il fait beau. Avec les chapeaux et en chantant pour égayer les cœurs. Son médecin-coordonnateur, dont le rôle est de coordonner les soins en équipe, évoque l’anticipation du confinement avant les mesures gouvernementales et celles du siège : « Nous étions inquiets dans la mesure où nous avions une suspicion avec des signes de fièvre et de toux. Dès le 7 mars, nous avons commencé à confiner tout le monde en chambre. » Les familles, les kinés et les orthophonistes pouvaient encore rentrer dans l’établissement. Des gestes barrières comme la friction hydroalcoolique, le port du masque et la prise de température ont été adoptés. Puis dans un second temps, seul le personnel soignant a pu entrer, par un sas pour les hommes et un autre pour les femmes. Le temps de laisser les habits de ville dans un sac et d’endosser des tenues spéciales, lesquelles sont mises dans une poubelle à la sortie. « Il y a 8 aides-soignantes par équipe, en cuisine 4 ou 5 intervenants, 3 ou 4 agents de nettoyage, 2 infirmières, plus la cadre infirmière. La nuit, une aide-soignante et une personne non diplômée ».

Le médecin reconnaît la dureté de ce métier : « Elles ont des journées difficiles et sont exposées malgré le masque car elles sont au plus près quand elles aident à la douche ou aux toilettes. » Qu’est-il prévu en cas de détection du virus ? « En lien avec le laboratoire sur notre territoire, quand deux malades sont détectés positifs au Covid-19, on arrête les tests, on isole dans un secteur spécial. On est en pleine réflexion pour trouver l’endroit où ce sera le mieux ».

 

L’ARS demande de vérifier si les masques qu’elle a envoyé ne sont pas moisis

Olivier Véran, ministre de la Santé, a annoncé le lancement d’une grande opération de dépistage du Covid-19 dans les Ehpad à partir du 13 avril. Dès qu’un cas est confirmé parmi le personnel ou les résident-e-s des Ehpad, l’ensemble des personnes de l’établissement est testé : « Ça a été fait dans une maison de retraite à côté de la nôtre parce qu’il y avait un cas positif, bien que la personne est décédée d’autre chose. 173 personnes ont été testées pour un résultat négatif », raconte le médecin un brin sceptique. Il trouve « idiote » la décision de Laurent Wauquiez, président (LR) de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, de faire dépister massivement toutes les personnes des maisons de retraite médicalisées. « C’est faussement rassurant, argumente le professionnel. Si c’est négatif à J+4, cela peut être positif 2 jours plus tard en fonction de la période d’incubation qui va jusqu’à 14 jours. Vous êtes négatif, on va relâcher l’attention avec le risque de faire entrer l’épidémie dans la maison de retraite ». Il utilise des masques chirurgicaux, un le matin, un l’après-midi : « L’ARS nous a envoyé, via les pharmaciens, des masques périmés. Je suis passé à ma pharmacie pour récupérer des masques FFP2, ils dataient de 2014. L’ARS s’est ensuite excusée et a demandé de vérifier que les masques n’étaient pas moisis. » Le médecin passe dans les chambres en restant à distance pour voir comment vont les pensionnaires, s’ils n’ont pas de douleur, s’ils mangent.

 

La toilette mortuaire pour dire au revoir à la personne

Maisons de retraite et Ehpad Edenis à Pibrac

Comme ailleurs, les résident-e-s supportent mal le confinement : « Ils se plaignent, sont mécontents. Certains ne comprennent pas pourquoi on les sépare des familles et pourquoi ils sont enfermés dans leur chambre. Il y en a trois qui sont libres de déambuler dans les parties communes comme ils l’ont toujours fait. »  Du côté des familles, « il y en a de très gentilles qui mettent des petits mots en déposant des pâtisseries devant la porte. D’autres ne comprennent pas qu’on ne soit pas tout le temps là à rassurer les parents ». Les activités ne sont plus communes, mais individuelles : « On a mis en place « Zoom » pour qu’ils aient les familles en direct en visioconférence pour ceux qui le souhaitent. L’animatrice et la psychologue content des histoires. Une fois par semaine, les aides-soignantes leur consacrent bénévolement 1h30. » Comment les personnels réagissent devant l’épidémie possible ? « Ils ont peur de ce qui va se passer. Je ne suis pas devin, je ne peux pas dire si demain on ne sera pas atteints ici. On fait tout pour être prêt à affronter le problème ».

La situation pourrait devenir douloureuse si l’épidémie survenait dans son Ehpad à Pibrac avec ses conséquences dramatiques : « La toilette mortuaire, confie Aurore, c’est notre façon à nous de pouvoir lui (au résident-NDLR) dire au revoir. En cas de décès par coronavirus, on ne doit pas lui faire la toilette. Je souffre pour toutes les collègues des maisons de retraite qui seraient confrontées à cette situation : mettre le corps dans un sac sans cet accompagnement essentiel. J’espère ne pas avoir à entendre de mes collègues ces paroles ».

 

Piedad Belmonte

Notes:


  1. Établissements d’hébergement des personnes âgées et dépendantes.

  2. Edenis, groupe associatif à but non lucratif, gère 20 maisons de retraite, dont un foyer-logement, à Toulouse, Saint-Gaudens, Montauban et Revel.

  3. Agence Régionale de Santé, dans son communiqué du 3 avril.

  4. ASP : les agents de service polyvalents assurent la propreté et l’entretien des locaux et aident à la prise du petit-déjeuner.


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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin