Plus de 500 personnes, Gangeoises, Gangeois et populations des communes alentours, bien souvent accompagnées de leurs élu.e.s locaux.ales se sont rassemblées jeudi 6 octobre devant la clinique Saint-Louis de Ganges pour exiger le maintient de la maternité.


 

Les déserts médicaux sont devenus un vrai mal de la société française. On le mesure concrètement quand on réalise, comme à Ganges, que le départ d’un gynécologue à la retraite peut soudainement faire disparaître un service public essentiel à 30 000 personnes. La mobilisation citoyenne unitaire qui a rassemblé hier plus de 500 personnes permet aussi d’observer comment la défense d’une maternité en zone rurale fédère les populations et les élu.e.s locaux.ales autour du droit à disposer d’un service public, quand bien même il est géré par une clinique privée.

L’établissement est menacé de fermeture faute de médecin : après qu’un gynécologue-obstétricien a fait valoir ses droits à la retraite, l’appel à candidature lancé en juin dernier par la clinique n’a jusqu’à présent reçu aucune candidature. La direction de l’établissement a annoncée qu’elle fermerait le service si elle se trouvait dans l’impossibilité de pourvoir le poste d’ici la fin de l’année.

Devant la maternité, les prises de paroles se sont succédé pour évoquer le droit d’être informé.e : « Pourquoi apprend-on cela dans la presse ? Dans une situation comme celle-là, le maire ne peut pas prendre les décisions tout seul dans son coin ; ceux sont tous.tes les citoyen.ne.s qui sont concerné.e.s. Ils.elles doivent prendre part aux décisions. »

Depuis le début de l’année, près de 200 bébés sont nés dans la maternité, 250 devraient voir le jour d’ici la fin de l’année. « Pense-t-on à toutes les femmes enceintes actuellement et à leurs familles qui ne savent pas ce qu’il va advenir ? Elles ne savent pas s’il faudra qu’elles se rendent à Montpellier, à Nîmes ou à Alès en prenant la route à la dernière minute. (…) Nos têtes sont pleines de questions sur les nombreuses conséquences qu’occasionnerait la fermeture », confie une membre du personnel, « va-t-on saturer les pompiers ? »

Un représentant syndical évoque l’impact d’une fermeture sur les salarié.e.s : « Que vont devenir des 14 salarié.e.s de l’étage de la maternité ? Conserveront-ils.elles leurs postes ? Vont-ils.elles être muté.e.s dans d’autres établissements loin de chez eux.elles ? »

 

Alerte des personnels sur les risques liés à la fermeture

 

Le témoignage des sage-femmes de la Clinique Saint-Louis pointe quand à lui les nombreux risques qu’induirait la fermeture. « Un centre IVG-maternité à plus d’une heure de transport accroît les risques d’accouchement inopiné, mais aussi s’il y a la nécessité d’une prise en charge d’urgence. La fermeture aura aussi des conséquences sur les IVG puisque les IVG médicamenteuses ne seront plus assurées par l’établissement. À plus d’une heure de route cela peut peser sur la décision des jeunes femmes. Cela peut également créer des situations de détresse pour les femmes enceintes qui seraient déplacées en ville sur 15 jours. Les accouchements seront-ils déclenchés ? — ce qui est considéré comme de la violence obstétricale. Enfin, il y a actuellement une recrudescence d’accouchements à domicile qui sont accompagnés par une sage-femme. Si la maternité ferme, cela ne sera plus possible. Certaines nous ont déjà fait savoir qu’elles accoucheraient sans assistance, ce qui représente un risque en cas d’hémorragie. »

 

Pour Lamine Gharbi, le président du groupe Cap Santé (en costume) « Ce n’est pas un problème d’argent »

 

Face à tous ces tourments parfois mêlés de colère, Lamine Gharbi, le président du groupe Cap Santé1 est apparu magnanime et pragmatique : « Le service nécessite trois gynécologues-obstétriciens, il est aujourd’hui clairement menacé. Durant 60 jours j’ai eu recours à des remplaçants qui viennent sur des missions courtes. Ils remplissent leur mission sans connaissance de l’établissement et du service, et repartent. On les appelle des mercenaires2. Je ne peux pas prendre le risque médical d’avoir une équipe avec laquelle je ne suis pas en confiance. »

Un appel à candidature a été lancé en juin dernier. M. Lamine Gharbi affirme n’avoir reçu aucune candidature pour des postes dont le salaire s’élève à 10 000 euros mensuel. « Je cherche des gynécologues-chirurgiens. Ce n’est pas un problème d’argent, précise-t-il, la maternité a toujours été déficitaire et c’est l’ARS (l’Agence régionale de Santé) qui compense. Il n’y a plus de médecin, c’est tout. C’est simple, c’est triste, affreux, mon devoir est de vous informer que si nous ne trouvons pas de candidats, le risque pour les femmes est plus important que celui de prendre la route… »

 

La politique de santé mise en question

 

Alors que le maire de Ganges, Michel Fratissier, et le sénateur Henri Cabanel s’attachent à gérer l’urgence en organisant un tour de table, les habitant.e.s du bassin de vie mobilisé.e.s distinguent les causes des conséquences. Au micro un élu met en question les politiques publiques de santé : « La question des déserts médicaux n’a pas été traité comme elle le devrait. Il faut analyser comment les choses se passent, comment elles se sont dégradées, et quelles sont aujourd’hui les solutions. »

Au delà du cas par cas qui consiste à gérer la pénurie, les solutions existent mais elles ne peuvent être que structurelles et nécessitent un changement de cap politique. L’absence de candidats ou le caractère isolé du territoire ne sont pas les seules explications. Le recours à la télémédecine, qu’il est nécessaire de développer, n’est en rien un remède à la désertification médicale, ce qui apparaît clairement dans le cas d’une maternité. La télémédecine ne remplace pas un service. Seule une réforme structurelle de l’ensemble du système de santé, à partir de ses valeurs fondamentales qui en ont fait son succès, résoudra la question des déserts médicaux. Cela passe par le renforcement de la responsabilité et de l’autonomie des professionnel.elle.s de santé et des usager.ère.s.

 

Rétablir l’équité territoriale

 

Partout dans l’hexagone, les inégalités territoriales d’accès aux soins ne cessent de se creuser. Une partie croissante de la population peine à organiser son parcours de soins. Les menaces qui pèsent sur la maternité de Ganges s’ancre très concrètement dans la réalité des habitant.e.s. Elles comportent aussi une dimension symbolique touchant à l’avenir du territoire.

Dans la soirée du 6 octobre, après la mobilisation, une réunion était programmée à huis clos sur l’avenir de la maternité, qui réunissait élu.e.s locaux.ales, parlementaires, patron de l’ARS et le président du groupe Cap Santé, mais aucun représentant des citoyens.

Le comité d’action a prévu de suivre l’affaire de près. Il n’entend pas baisser les bras et porte bien haut le slogan : “Une maternité qui disparaît, c’est un territoire qu’on stérilise”.

Jean-Marie Dinh

 

Notes:

  1. Le groupe Cap Santé comporte aujourd’hui 18 établissements, organisés en filières, avec des cliniques chirurgicales, une clinique psychiatrique, un service d’hospitalisation à domicile, des établissements de soins de suite et de réadaptation, des EHPAD, une crèche ainsi que des sociétés d’ambulances et un service de télémédecine. Il dispose de 900 lits dans la région, et emploie 1 552 salariés dont 300 médecins.
  2. Ces personnels exigent jusqu’à 3 000 euros pour 24 heures.
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.