Billet de Sasha Verlei

 

Il paraît qu’il faut voir le positif, profiter de l’instant présent, on entend ça partout, comme une question de survie… Je ne sais pas vous, mais moi j’ai du mal avec l’instant présent tel qu’il est, je n’arrive pas à vivre sans regarder le monde ou mon prochain, et quand ça me percute, je sors ma plume.

Linda de Suza est décédée, le Roi Pelé aussi. Et Vivienne Westwood, qui disait : « défendre des idées me rend heureuse ». Mais il n’y a pas qu’eux, il y a aussi les invisibles, ceux qui n’ont pas pu être soignés, ici, en France, à cause de l’effondrement du système de santé.

Ce matin, j’ai croisé ma copine Nat’, qui m’a raconté une série d’histoires vraies qui l’ont horrifiée. Une septuagénaire de sa connaissance est décédée dans le Val-de-Marne, ni les pompiers, ni le Samu ne se sont déplacés. Nat’ était à la recherche d’antibiotiques pour une voisine alitée, un vrai parcours du combattant, quand elle a assisté dans une pharmacie à une scène surréaliste. Sur le sol de la boutique, une femme allongée se tordait de douleur. Il a fallu une heure trente pour que la protection civile intervienne. Ni les pompiers, ni le Samu ne sont venus : « emmenez-la aux urgences, si ça va mal », ont-ils dit au pharmacien qui leur a répondu « mais monsieur, je suis pharmacien ».

Ensuite, elle m’a parlé d’une de ses amies qui a attendu de 8h du matin à 16h qu’on s’occupe de son bras cassé à l’hôpital. 8h d’attente pour un bras cassé, c’est rien tu me diras, y’a pire. Avec le Covid et un risque d’embolie pulmonaire on peut patienter, enfermé dans un cagibi sale et sans fenêtre pendant 9 heures, avant d’être examiné par un médecin des urgences. On peut mourir 15 fois. Ça c’était avant la grippe, bien après le pic de l’épidémie de Covid et pas pendant les vacances.

Des histoires comme ça, et des pires, il y en a à la pelle, mais le but n’est pas de vous achever. Le système de santé et l’hôpital public s’effondrent, ce n’est pas nouveau, et avec eux les soignants et l’humanité. Seuls ceux qui n’y vont jamais ou qui veulent l’ignorer ne le savent pas. On va en arriver là : « Le Samu ne répond plus, bip bip bip… Tapez 1, tapez 2… Veuillez patienter, cet appel vous coûtera 2,75 euros par seconde… Très bien, nous vous envoyons au plus vite une ambulance privée en direct de l’hôpital américain, sortez votre carte bancaire et surtout, tenez le coup, tenez le coup … »

Aaatchoum ! Je m’examine : mal de tête, bronches prises, 1 heure de doctolib, pas de médecin avant une semaine et à 20 km. Je me dis « qu’aurait dit Hippocrate sur la grève des toubibs et les 25 euros d’augmentation qu’ils réclament présentement ? ». Je me dis « purée, pourvu que mon état n’empire pas, là, maintenant ». J’ai pris ce que j’avais, tisane de thym, cannelle, citron, huiles essentielles, le dernier comprimé de paracétamol, me suis enduit le torse de baume du tigre jaune, grrrr, et j’ai prié au fond de mon lit que ça aille mieux demain. Rien de grave, ce n’est qu’une grippette.

Le lendemain, toujours vivante, j’ai eu la mauvaise idée d’allumer la télé pour voir les infos. France TV annonce : plus une place en réanimation dans toute l’Île-de-France. « Hier, il y en avait deux, ça se libère quand quelqu’un meurt », précise le médecin invité de la rédaction ; ça m’a remonté le moral illico, en termes de probabilité de s’en sortir en cas de problème grave. Après, il a ajouté  : la cause, c’est le manque d’infirmières et de lits.

Du coup, ça m’a énervée, j’ai allumé l’ordi’, et là, je vois : on meurt sur des brancards. Glaçant, malgré la température très clémente due au réchauffement climatique.
Mercredi dernier, Le Canard Enchaîné publiait que « des dizaines de patients étaient morts seuls sur des brancards dans les services de l’AP-HP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris) » (lien collectif de l’hôpital de Rambouillet).
L’Est éclair cite aussi quelques décès à Troyes, des personnes âgées, « en fin de vie ».

Là, me sont remontés de très mauvais souvenirs. L’épidémie de grippe de l’hiver 2017-2018. Quand il a fallu se battre pour que ma tante soit transférée aux urgences alors qu’elle était dans un état critique à l’Ehpad. Heureusement qu’elle n’était pas seule. Non, ce n’était pas son heure, elle était malade. Il y a comme une tendance à confondre, à partir d’un certain âge, soin et acharnement thérapeutique et ça fout sacrément les jetons. Dire que nous avions l’un des meilleurs systèmes de santé du monde et qu’elle y avait contribué.

Deux bonnes nouvelles, deux explications et une question qui n’a pas de réponse : je commence par quoi ?
Par les bonnes nouvelles. La bronchiolite c’est pratiquement réglé, et le Covid ça va mieux.

Les explications. La grippe fait des ravages, a déclaré le ministre de la Santé il y a trois jours, voilà pourquoi tous les lits de réanimation sont occupés, alors, svp, faites-vous vacciner. Quant à la pénurie des médicaments dits basiques (notamment amoxicilline, paracétamol…), elle s’explique principalement par une dépendance à la Chine et à l’Inde (sous-traitance, délocalisations…), la situation étant aggravée par la résurgence de l’épidémie en Chine (article de France 24).

La question. Doit-on s’inquiéter du nouveau variant, nommé BF.7, qui serait bien plus contagieux que Omicron ? Difficile de passer au travers du débat sauf si tu te coupes du monde. On en cause partout, « oui, mais non, mais peut-être… ». Là, même un être normal se met à avoir peur et pense à la totale : confinement, passe-sanitaire, couvre-feu… et les « complotistes » ajoutent à la liste, réformes, lois…

Rassurez-vous, le risque d’une nouvelle pandémie est faible, car nous sommes majoritairement vaccinés. Mais « face à des chiffres plus qu’alarmants en Chine, les experts demeurent prudents ».
Douche chaude, douche froide, en continu. C’est ça, la communication.

Déjà que l’ambiance est légèrement tendue question étrangers, ça ne va pas arranger la situation. Et si Houellebecq nous fait une déclaration, là, c’est la cata.

Tu m’étonnes que les psys sont débordés. Heureusement, le discours de fin d’année chaleureux et bienveillant du Président m’a rassérénée. Surtout quand il a fait la longue liste des pires menaces imprévisibles, en finissant par « y compris nucléaire ». L’inflation, à côté, c’est de la gnognote. Et il a dit : « les cérémonies ont quelque chose de particulier qu’elles nous obligent à parler d’un futur qu’on ne connaît pas. » Tout s’est éclairé et j’ai repris espoir.

Le Père Noël vous a t-il offert une bonne complémentaire santé ? Sinon, prions ensemble mes frères et sœurs pour rester en forme, avant et après 65 ans. « L’hôpital public fait ce qu’il peut, bip, bip, l’hôpital public, n’en peut plus, bip. L’hôpital public ne répond plus. »

La santé, c’est essentiel. Arrêter l’info en boucle, les plateaux de spécialistes, tous ces trucs qui font peur. Saisir le moment présent, le chant d’un oiseau, un rayon de soleil, un sourire, une musique… ça n’empêche pas l’entraide, au contraire. Ni de regarder le monde, d’y réfléchir, l’apprécier ou le refaire. Ni de s’exprimer. La vie est belle, choyons-la, les yeux bien ouverts.

Courage aux valeureux soignants sur le pont, par tous les temps.

Et bonne année 49,3 pardon, 2023. « Le pire n’est jamais certain1 ».

Dessin de Charb paru dans La feuille de chou

Notes:

  1. (Harold Bernat, Vieux réac ! – Faut-il s’adapter à tout ?, 2012)
Sasha Verlei journaliste
Journaliste, Sasha Verlei a de ce métier une vision à la Camus, « un engagement marqué par une passion pour la liberté et la justice ». D’une famille majoritairement composée de femmes libres, engagées et tolérantes, d’un grand-père de gauche, résistant, appelé dès 1944 à contribuer au gouvernement transitoire, également influencée par le parcours atypique de son père, elle a été imprégnée de ces valeurs depuis sa plus tendre enfance. Sa plume se lève, témoin et exutoire d’un vécu, certes, mais surtout, elle est l’outil de son combat pour dénoncer les injustices au sein de notre société sans jamais perdre de vue que le respect de la vie et de l’humain sont l’essentiel.