On les croyait disparu.e.s, effacé.e.s de la circulation, des manifestations, des ronds-points, les Gilets Jaunes ont remis leur chasuble, le 20 novembre 2021, aux couleurs du soleil comme dans le très beaux film de Gilles Perret et François Ruffin, ils et elles veulent du soleil, un monde plein d’humanité, de solidarité et de liens.


 

« Rejoignez la colère le 20/11 à Jean-Jaurès » avaient posté sur les réseaux sociaux les Gilets jaunes des Ronds-points du Muretain (agglomération de Muret – 31) et de Villefranche-de-Lauragais (Haute-Garonne). Fin octobre, avec leurs camarades du Lauragais, elles et ils recevaient des Zapatistes, venu.e.s du Mexique pour échanger sur les luttes menées ici et là-bas. Marie, Gilet jaune de Muret, se souvient que les Zapatistes, par leur pratique autogestionnaire, sont au service des communautés et ne sont pas là pour se servir.

Pour rien au monde, ces femmes et ces hommes n’auraient raté ce troisième anniversaire. Les mêmes raisons qu’il y a trois ans les poussent à sortir dans la rue : hausses explosives du gaz, de l’électricité, de l’alimentation, du carburant et comme par hasard pas d’augmentation des salaires, des minima-sociaux et des pensions qu’exige la situation sociale. Sans oublier toutes les lois liberticides comme la dernière en date avec l’instauration du passe sanitaire. Les Gilets jaunes avaient déployé, en amont, sur les ponts toulousains de la rocade leur banderole : « GJ3 Les précaires en pleurent le capitalisme en rit ».

 

« Dans ma famille, je suis la seule à manifester »

 

Vu le contexte global, on aurait pu s’attendre à plus de foule dans le cortège toulousain d’autant plus que les terrasses et les boutiques sont pleines. Annie constate tout en le déplorant le ras-le-bol des gens qui ne s’exprime pas dans la rue. « Pendant quelque temps, j’ai arrêté les manifs. J’en ai eu marre de mouiller la chemise alors que d’autres ne font rien. Dans ma famille, je suis la seule à manifester, pourtant ma nièce est à la CGT », lance cette retraitée d’EDF.

Électricité de France1, une entreprise qui était, dans un temps pas si lointain, 100 % publique comme gaz de France (GDF), toutes deux en voie de privatisation il y a une vingtaine d’années pour finir en 2007 totalement ouvertes à la concurrence. D’où les factures salées qui tombent régulièrement dans les foyers et le gouvernement de répondre par une prime de 100 euros (chèque énergie)2, une aumône.

Certain.e.s ont touché à peine 50 euros cette année alors qu’en 2020 le chèque avait été un peu plus conséquent. Pas plus hier qu’aujourd’hui, la réponse gouvernementale n’est pas à la hauteur de l’urgence sociale pour des millions de personnes en précarité énergétique et celles qui risquent de rejoindre le cercle des précaires. Ces énergies vitales devraient sortir de la loi du profit. Mais la route est longue pour parvenir à la « Justice sociale, justice fiscale », comme le réclament de nombreuses pancartes. Sans oublier « l’assurance-chômage, la réforme des retraites, la sécurité sociale en danger », alerte une autre.

 

« Je n’aime pas comment ce monde devient »

 

« Marre de payer ? Remets ton gilet ! » , invite Frédéric, auto-entrepreneur en maçonnerie venu du Gers avec sa fille Chana, 19 ans, et une amie. « Je suis là pour l’avenir des enfants. Je n’aime pas comment ce monde devient. J’ai toujours voulu que ça bouge. Le déclic, ça a été la vie chère et le commencement des Gilets jaunes, ensuite les lois liberticides ».

Auxiliaire de vie à la retraite, Sylvie, du Muretain, manifeste cette fois encore et toujours « pour mes enfants et mes petits-enfants. On n’est pas assez mobilisés. Les gens attendent les élections et moi j’agis pour qu’on ait une meilleure société ». Beaucoup portent une affichette autour du cou « Je refuse le pass sanitaire ». C’est le cas d’Hélène, aide soignante à l’Association pour la sauvegarde des enfants invalides (ASEI). « Je le refuse parce que je veux être libre de mes gestes. Sur 300 salariés, trois ont refusé de se faire vacciner, l’une a été licenciée, elle est aux prud’hommes. Les gens suspendus sont menacés de licenciement. Moi, je vais être obligée de passer par la vaccination pour ne pas perdre mon travail ».

Sur une blouse bleue, on peut lire : « Dentiste interdit d’exercice ». « Je suis un Gaulois réfractaire », se présente Wilfrid qui exerce dans le quartier populaire toulousain d’Empalot. On voulait m’obliger à me faire injecter un produit expérimenté, ce que j’ai refusé. Suite à mon interdiction d’exercer, mon cabinet est fermé depuis le 15 septembre dernier, mais en plus on m’interdit de prendre un remplaçant. 27 % de ma patientèle a la CMU3 ». Wilfrid envisage, avec d’autres, de monter un collectif soignants-citoyens, avec toutes les professions impactées pour aider les personnes suspendues. Un échange de contacts a lieu sur la place publique avec un militant du collectif déjà actif, Résilience 82 (Tarn-et-Garonne). La jeune Ariane dénonce la politique sanitaire qui « obéit à des intérêts financiers. On monte les gens les uns contre les autres et on les rend malheureux. C’est le cas de mon papa qui ne peut plus rentrer dans une bibliothèque. On détruit aussi l’hôpital public au lieu de le renforcer ».

Des blousons portent un autocollant blanc avec le symbole rouge de la patte d’oie. Au Moyen Âge, dans le Sud-Ouest de la France et le Nord de l’Espagne, on obligeait les « Cagots »4 à coudre ce signe distinctif sur leurs vêtements pour les séparer du reste des populations parce qu’on pensait qu’ils.elles véhiculaient la lèpre. Les opposant.e.s au passe sanitaire se sentent totalement marginalisé.e.s.

 

« L’argent public doit revenir aux citoyens »

 

Des voix convient à la révolte : « Toulouse, Toulouse, souulève-toi ! ». Muni d’une canne à pêche, un homme au visage perlé va a la pêche aux masques. « La police m’a interdit de pêcher un jour à Verfeil. J’ai alors ramassé des masques qui traînaient pour les mettre au bout de ma canne à pêche parce qu’il y en a marre des interdictions, on se joue de nous. Mon amie m’a dit le jour du confinement :On va mourir”. On a décidé depuis le premier jour d’aller donner à manger aux gens de la rue et aux étudiants. » Notre pêcheur qui se prénomme, Merveilleux, est la générosité incarnée. Une sono crache son 99 Red Balloons5, un air à succès des années 80, en passant par le chant populaire et de résistance italien Bella Ciao. Un homme, déguisé en Astérix, tambourine sur son tambour au rythme de cette chanson révolutionnaire.

Rodolphe porte le gilet jaune, estampillé cégétiste, de l’aéroport de Blagnac. Le délégué CGT dénonce « les aides publiques perçues par l’aéroport alors que sa trésorerie a des fonds propres pour fonctionner. L’aéroport est une société privée entre les mains d’Eiffage et de la CCI. Cet argent qui appartient aux citoyens doit leur revenir ». D’argent, il est aussi question sur ces bouts de carton : « Pandora papers, soyons complotistes, État complice rends le pognon » et le « 1 % qui pille la planète Réveillez-vous ! Politiciens complices jugeons-les ».

 

« Que poussent toutes les graines de la révolte ! »

 

Une banderole « Pour une Europe des peuples Pas des multinationales » est déployée sur le rond-point du boulevard Lascrosses près du quartier Arnaud-Bernard, terminus de la manifestation avant qu’elle ne reparte dans la direction opposée. Depuis le micro de l’Agora Rap, un jeune exprime sa solidarité avec les luttes du peuple algérien contre le pouvoir oligarchique. Christiane, retraitée de l’Éducation nationale, a récemment répondu à une enquête sur le fait de savoir si le mouvement des Gilets jaunes allait reprendre. « J’ai répondu oui. J’ai fait toutes les manifs et si un samedi j’étais empêchée ça me manquait comme une drogue », affirme celle qui n’a jamais touché à un produit stupéfiant. De l’humour, il y en a : « 1 dose, 2 doses. Allez une petite 3e, vous reprendrez bien une 4e pour la route ! », on voit, à coté du slogan, un bonhomme au visage rougi et le corps tout “piquousé” par des aiguilles.

Gilet jaune de la première heure, Sylvie coopérativiste dans la cité du Mirail, aime battre le pavé : « On est des revenants. Entretemps, il y a eu les manifestations contre le pass sanitaire et là on se connecte entre les deux mouvements. Il faut bien faire pousser toutes les graines de la révolte ».

Piedad Belmonte

 

Voir aussi : État d’esprit des Gilets jaunes qui ont rejoint le cortège

Notes:

  1. L’électricité et le gaz, considérés comme des produits de première nécessité, ont été nationalisés le 8 avril 1946, soit onze mois après la Libération (le 8 mai 1945).
  2. Le nombre de bénéficiaires du chèque énergie s’est considérablement élargi, passant de 3,6 millions en 2018 à 5,8 millions en 2021. Le gouvernement a annoncé qu’en décembre 2021, les bénéficiaires — le revenu fiscal de référence (RFR) annuel du ménage doit être inférieur à 10 800 € par unité de consommation — du chèque énergie, dont le montant varie de 48 à 277 euros recevront automatiquement une aide supplémentaire de 100 € pour les aider à payer leur facture d’énergie.
  3. La Couverture maladie universelle (CMU) a été remplacée par la Complémentaire santé solidaire (CSS) en octobre 2019.
  4. Au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, personne mise à l’écart de la société. Considérés comme descendants présumés des lépreux, les cagots ou groupes d’habitants semi-nomades exerçant des métiers itinérants du bois, et aussi des professions touchant le fer, étaient placés sous la juridiction de l’Église et soumis à des mesures d’exception, qui furent abolies à la fin du XVIIe siècle.
  5. La musique a été composée par Uwe Fahrenkrog-Petersen, le pianiste du groupe Nena, tandis que le guitariste Carlo Karges a écrit les paroles de la version originale en allemand. Lors d’un concert des Rolling Stones à Berlin en 1982, auquel assiste Carlo Karges, des ballons de baudruche furent lâchés dans le ciel. Il imagine alors que ces ballons pourraient franchir le Mur et être pris pour des ovnis par les gardes est-allemands. La version anglaise de la chanson, intitulée 99 Red Balloons, a été écrite par Kevin McAlea qui a conféré au texte un ton plus satirique que l’original.
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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin