Neuf mois après la célébration du 45e anniversaire de leur République, les Sahraoui.e.s de Toulouse, femmes, hommes et enfants ont manifesté de nouveau au monument aux morts contre les violations des droits humains dans les territoires occupés par le Maroc. Au même moment, se tenaient d’autres rassemblements dans les grandes villes de l’Hexagone.


 

Cette action du 13 novembre 2021 coïncide également avec la date, il y a un an, de rupture du cessez-le-feu à la frontière mauritanienne de Guerguerat, redémarrant la guerre entre le Front Polisario1, représentant légitime du peuple sahraoui, et les militaires du royaume marocain.

Le noir, le blanc, le vert et le rouge sont les couleurs du drapeau sahraoui qui décorent cette matinée grise et automnale toulousaine, aux côtés du drapeau algérien dont le peuple a payé dans sa chair sa lutte pour sa libération et se retrouve, donc, naturellement main dans la main avec ses frères et sœurs du Sahara occidental. Anissa et Mama, toutes deux algériennes, sont venues soutenir la lutte de ce peuple, ami, pour sa liberté. Elles témoignent de l’assassinat récemment par les militaires marocains de trois camionneurs algériens qui faisaient la route entre la Mauritanie et l’Algérie en passant sur le territoire sahraoui : « Le Maroc provoque encore l’Algérie pour aller vers une escalade et la guerre, opine Mama. L’Algérie a porté plainte contre le Maroc auprès de l’ONU. C’est une provocation car c’était le jour de la commémoration du 1er novembre 1954 », date du début de la guerre d’indépendance de l’Algérie. « C’est bête parce que nos deux peuples sont frères et amis. Une guerre pour nous, c’est inimaginable, on veut la paix ! », affirme-t-elle avec ferveur.

 

Des agressions physiques contre les femmes

 

Née à Boukraa (territoire occupé), Batul, Sahraouie, a connu trois jours de prison pour avoir demandé la liberté pour une amie emprisonnée, Leïla. Vexations, détentions arbitraires, tortures, disparitions forcées et assassinats sont le lot quotidien des Sahraoui.e.s qui défendent les droits de l’Homme et à l’autodétermination dans les territoires occupés par le Maroc. C’est le cas de Sultana Khaya2, de sa sœur Waara et de toute la famille qui vivent en résidence surveillée sans aucune base légale à Boujdour (territoire sahraoui occupé) depuis le 19 novembre 2020.

Un manifestant tient une photo de cette jeune militante au visage tuméfié et les larmes aux yeux. Salka, qui vient du camp de réfugié.e.s de Smara (dans la région de Tindouf, sud-ouest algérien), raconte les abus dont Sultana est victime : « La semaine dernière, des policiers sont entrés de force dans sa maison, ils lui ont attaché les mains derrière le dos pour lui injecter un produit qui l’a rendue malade. Elle était extrêmement fatiguée. Et, il y a quelque temps, des policiers lui ont mis quelque chose dans le nez, elle a eu de la fièvre, c’était le covid. Deux avocats et un médecin espagnols n’ont pas pu se rendre à son domicile, ils ont été empêchés de sortir de l’aéroport. » Fatima résume d’autres atrocités subies par Sultana, sa sœur et sa mère. « Les deux sœurs ont été violées. La maman a saigné après qu’un policier lui a pressé la poitrine. »

On se souvient de la période sanguinaire du règne de Hassan II, le père de Mohamed VI, contre les opposants marocains et sahraouis, femmes et hommes, le fils en est son « digne » héritier. Les rebelles du mouvement de contestation sociale du Rif (2016-2017) en savent quelque chose, leur porte-parole Nasser Zefzafi et trois de ses camarades ont écopé de 20 ans de prison ferme, en juin 2018, pour avoir dénoncé le mépris, l’arbitraire, les injustices et la dictature du « Makhzen », le pouvoir royal. Inquiète, la famille du journaliste sahraoui, Mohamed Lamine Haddi3, en grève de la faim depuis le 13 janvier 2021 contre ses conditions de détention et les nombreuses violations à son encontre, n’a plus aucune nouvelle de lui.

 

La France protège les exactions du royaume

 

Les Sahraoui.e.s se battent depuis quatre décennies pour vivre librement sur leur terre et contre, notamment, les spoliations des ressources naturelles. Au micro, le jeune Saïd évoque cette confiscation, en lisant le communiqué du Collectif des associations de la communauté sahraouie en France et de la plateforme pour la solidarité avec le peuple du Sahara occidental qui se réjouissent de « l’annulation par la justice européenne, le 29 septembre dernier, des accords agricoles et de pêche conclus entre l’Union européenne et le royaume du Maroc. Rappelant ainsi la primauté du droit international et du principe des droits de l’homme et des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Le texte invite également « le gouvernement français à arrêter de soutenir le pouvoir marocain dans ses prétentions expansionnistes (…) La France ayant sa part de responsabilité dans la situation qui prévaut au Sahara Occidental ». En effet, notre pays, sous ses différents gouvernements, qu’ils soient de droite ou socialistes, entretient depuis toujours de très bonnes relations avec la monarchie marocaine. Et, malgré les révélations de l’affaire Pegasus, cet été, qui a pointé du doigt le Maroc pour avoir espionné jusqu’aux plus hauts représentants de l’État ainsi que des journalistes, les liens un tant soi peu distendus entre ces deux pays se sont renoués grâce à l’intermédiaire d’une fidèle amie du royaume, la socialiste Élisabeth Guigou, révèle l’Humanité du 25 octobre 2021.

Cette coopération avec le Maroc va très loin : « Présidente de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale, Élisabeth Guigou fait adopter en 2015 un protocole d’entraide judiciaire franco-marocain qui oblige Paris, malgré son adhésion à la Cour pénale internationale, à abandonner sa compétence universelle. Il lui est, depuis, impossible de juger des crimes commis hors de ses frontières en matière de torture si les actes ont eu lieu au Maroc », écrit la journaliste Lina Sankari. Les tortionnaires marocains peuvent continuer leurs basses besognes avec la complicité des gouvernants de la soi-disante patrie de la déclaration universelle des droits de l’homme.

 

Les Sahraouis mobilisé.e.s à Toulouse Photo DR Corine Janeau

 

« ONU que fais-tu ? l’oppression continue »

 

Les manifestant.e.s sahraoui.e.s résistant.e.s et épris.e.s de liberté exigent aussi de l’ONU qu’elle fasse respecter ses engagements en organisant un référendum maintenant, celui de 1991 ne s’est pas tenu malgré la création de la Minurso4. Le Sahara occidental5 est inscrit sur la liste onusienne des territoires à décoloniser depuis 1963. L’Assemblée générale des Nations unies a réaffirmé dans sa résolution 34/37 du 21 novembre 1979 « le droit inaliénable du Sahara Occidental à l’autodétermination et à l’indépendance ». Dans le même temps, elle a recommandé que le Front Polisario « soit le représentant du peuple du Sahara Occidental, participe pleinement à toute recherche d’une solution politique juste, durable et définitive de la question du Sahara Occidental ». Aujourd’hui, le Sahara occidental est un territoire non-autonome, selon l’ONU et l’article 73 de sa charte.

Intrigué.e.s par ces drapeaux qu’ils ne connaissent pas, des passant.e.s font preuve de curiosité et veulent connaître les raisons du rassemblement, d’autres lâchent leur haine de l’étranger. « Les colons, ce sont les migrants », lance un grand jeune homme aux cheveux blonds et aux yeux bleus. La méconnaissance du public français du combat du peuple sahraoui est en grande partie liée à la censure et au blocus des mass media dominants qui ne sont pas du tout indépendants des pouvoirs politique et financier. Il en va autrement en Espagne où plus de trois mille personnes ont manifesté aujourd’hui même dans les rues de Madrid pour apporter leur solidarité aux revendications de tout un peuple pour un Sahara libre et indépendant. En juin dernier, 200 associations organisaient la marche pour la liberté du peuple sahraoui depuis toutes les régions espagnoles. Elles ont agi collectivement pendant un mois pour la réussite de cette grande manifestation qui a convergé vers la capitale.

En deçà des Pyrénées, on se sent responsable de la situation actuelle puisque l’ex-puissance occupante, l’Espagne franquiste, a donné, début novembre 1975, ce territoire à ses voisins le Maroc et la Mauritanie (qui se retirera en 1979) au lieu de le remettre à son peuple comme le préconisait l’ONU. Le roi Hassan II annexera le Sahara occidental au commencement de 1976. Les partisans du Front Polisario riposteront par les armes. Le despote va réprimer férocement la contestation sahraouie par des bombardements au phosphore et au napalm et des arrestations massives. La population sahraouie, réprimée, fuira la guerre, à partir de 1976, en se réfugiant à Tindouf, frontière algérienne. Fatima, dont la famille a fui Ausserd, ville (aujourd’hui occupée) très au sud du Sahara à 100 km de la Mauritanie, témoigne : « Je suis née en 1978 sur la route de l’exil, ma mère a accouché sous les bombes marocaines. »

Malgré la répression, les tortures physiques et psychologiques, les centaines de disparitions forcées, les enlèvements, les assassinats, la grève de la faim des prisonniers de Gdeim Izik6, les Sahraoui.e.s continuent leur combat pour la liberté. Jamais ces femmes et ces hommes ne renonceront à la libération des territoires colonisés et occupés par une monarchie marocaine prédatrice.

 

Piedad Belmonte

 

Voir aussi : Les Sahraoui.es debout pour célébrer leur République

 

Notes:

  1. Création du Front Polisario le 10 mai 1973 à Zouerate, ville frontière de la Mauritanie.
  2. Sultana Khaya préside la Ligue pour la défense des droits de l’Homme et contre le pillage des ressources naturelles à Boujdour. Elle plaide pour la fin de l’occupation marocaine et dénonce la violence contre les femmes sahraouies. Elle a participé deux fois au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies.
  3. Mohamed Lamine Haddi fait partie du groupe de Gdeim Izik. Arrêté le 20 novembre 2010 suite au violent démantèlement du camp de Gdeim Izik. Condamné à 25 ans de prison sur la base d’aveux obtenus sous la torture, il est détenu à l’isolement à la prison de Tiflet 2 (Maroc), à plus de 1 200 km de chez lui, Laâyoune (ville occupée). Il n’est autorisé à sortir de sa cellule qu’une heure par jour, toujours seul. Pendant l’hiver, il n’a pas le droit de prendre de douche chaude contrairement aux autres prisonniers. En décembre 2020, le directeur de la prison ordonne la confiscation de ses effets personnels. Au bout de 69 jours de grève de la faim, les matons le nourrissent de force avec une sonde nasogastrique et des injections de vitamines sans qu’aucun soin médical ne lui soit apporté. Son état de santé est critique. Aux dernières nouvelles, en juillet, on lui a interdit tout contact avec l’extérieur. Source : Association des Chrétiens pour l’abolition de la torture, (ACAT)
  4. La Minurso est la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental, créée par la résolution du Conseil de sécurité du 29 avril 1991. Les États-Unis qui sont les principaux rédacteurs de la résolution pour le renouvellement de la mission de la Minurso, en évoquant la nécessité de trouver un compromis réaliste, soutiennent le positionnement marocain. Le Maroc, qui occupe 80 % du Sahara occidental, propose un plan d’autonomie sous sa souveraineté. Tandis que la Russie, le Kenya et d’autres pays africains veulent intégrer la référence au droit à l’autodétermination du peuple sahraoui.
  5. Le Sahara occidental, c’est 266 000 kilomètres carrés. Environ 80 % du territoire est occupé par le Maroc, 20 % est administré par le Front Polisario. Un mur de sable les sépare, militarisé et miné, construit entre 1980 et 1987 par le Maroc avec l’aide des États-Unis, la France, Israël et l’Arabie Saoudite. Les Sahraoui.e.s l’appellent « le mur de la honte ». Avant la colonisation espagnole, ce territoire n’a jamais fait partie du Maroc. La Cour européenne du Luxembourg l’a répété en 2018 : Le Maroc et le Sahara occidental sont deux pays séparés et distincts.
  6. Le 10 octobre 2010, les jeunes sahraoui.e.s marginalisé.e.s et au chômage dressent un campement à Gdeim Izik, situé à 12 km de Laâyoune. Au début, ils.elles seront plusieurs dizaines pour ensuite être près de 20 000 personnes. Malgré des pourparlers des représentant.e.s sahraoui.e.s avec les autorités marocaines, le 8 novembre les forces de sécurité du régime alaouite démantèlent violemment ce camp. Il y aura 13 morts, dont 11 policiers marocains et 2 Sahraouis.
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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin