La perspective de construction d’un immense entrepôt d’Amazon à Fournès, à 5 kilomètres du Pont du Gard, mobilise depuis plusieurs mois associations de défense de l’environnement, altermondialistes et organisations syndicales. Samedi 30 janvier, toutes les énergies sont sollicitées pour faire une immense chaîne humaine sur le site choisi par la multinationale, et refuser le diktat du e.commerce et de la surconsommation.


 

Est-il nécessaire de présenter Amazon ? Pas vraiment, puisqu’il y aurait en France au moins 22 millions de personnes qui achètent des produits sur Internet, et parmi tous les commerces en ligne, le groupe américain truste la première place (22,3 % en 2019). Ses parts de marché sont même devenues exponentielles avec la crise sanitaire et son lot de confinements et de couvre-feux qui ont fait exploser les achats en ligne. Mais pour ATTAC, il s’agit surtout de démystifier ce qu’il appelle « le monde d’Amazon »… qui n’est pas vraiment celui des « Bisounours » (pour reprendre une expression qui a fait florès). L’association dénonce les nombreuses entorses à la législation fiscale : le groupe n’est pas assujetti à la TVA — ce que Bercy a pointé — et pratique l’évasion fiscale en délocalisant ses revenus au Luxembourg, dissimulant ainsi 57 % de son chiffre d’affaires dans le pays. L’entreprise mondiale a payé 8,2 millions d’euros d’impôts en 2017, et dans le même temps, a touché 5,6 millions d’euros au titre du CICE.  ATTAC déplore aussi l’impact climatique (Amazon Web service – AWS aurait émis 55,8 millions de tonnes de CO2, soit l’équivalent des émissions du Portugal), les manquements au droit du travail et les atteintes au droit syndical, les pressions sur les élus et le lobbying, les abus de subventions publiques, le renforcement de la société de surveillance et de contrôle…

Ça, c’est l’entreprise au niveau global, la mondialisation rêvée par Jeff Bezos, le très influent fondateur d’Amazon qui n’a aucun problème à défier les États vu son emprise financière et ses 882 milliards de dollars de capitalisation boursière en 2019.

 

« Amazon avance masqué auprès des élus »

 

Comment se décline ce monde au niveau local ? « D’abord, ce n’est pas Amazon qui achète directement, il passe par la société Argan qui démarche les collectivités pour savoir s’il y a des terrains disponibles pour installer des entreprises. De ce fait, il avance masqué auprès des élus, qui acceptent le marché, parce que tout l’argumentaire est basé sur les possibilités d’emplois locaux. Mais en grattant, on a découvert le lien entre Argan et Amazon, et on a décidé de ne pas laisser faire », explique Josiane Flattet, membre animateur d’Attac Nîmes. En fait d’emploi, si au départ il était annoncé 600 embauches, on serait en fait plus près de 150, « et encore, ce n’est pas évident, car Amazon prévoit qu’une grande partie du travail soit robotisé ! Et de quel emploi on parle ? Travail délétère, rétrograde, en dehors des lois, dans des conditions très pénibles, qui entraînent burn-out et turn over importants. Encore une supercherie qui a été décrypté par Attac et les Amis de la Terre, grâce aussi à des anciens salariés qui témoignent de leur expérience », poursuit Josiane Flattet.

Dans une note datée de novembre 2019, l’ancien secrétaire d’État chargé du Numérique, Mounir Mahjoubi, accuse la multinationale de détruire plus d’emplois qu’elle n’en crée, en affirmant qu’elle serait responsable de 7 900 emplois perdus depuis 2018… soit en seulement un an. Selon lui, 1 emploi chez Amazon provoque la destruction de 2,2 emplois dans le commerce proximité. Si c’est un député LaRem qui le dit….

 

38 800 m2 sur 13 hectares

 

Plusieurs associations ont donc décidé de réagir : Attac Nîmes, Les Amis de la Terre, la Confédération paysanne, ANV-Cop 21, Solidaires 30, Extinction-Rébellion, et deux associations du village de Fournès, Primavera, et ADERE (Association pour le Développement de l’Emploi dans le Respect de l’Environnement). L’amplitude du projet les inquiète grandement : 13 hectares de terres agricoles seraient artificialisés, et donc définitivement impropres à la culture. Un entrepôt de 38 800 m² sur 3 étages, au moins 110 portes de chargement, d’immenses parkings, et une circulation supplémentaire a minima de 500 camions par jour (soit plus de 20 camions par heure), sur une route empruntée à 90 % par des touristes. Augmentation de la pollution — qui impacterait d’ailleurs Fournès —, une biodiversité détruite (pour les défenseurs de l’environnement, la « compensation » n’existe pas, les animaux ne peuvent pas être déplacés) et le grand site historique du Pont du Gard défiguré. Mais pour Josiane, ce qui est aussi en jeu, « c’est le patrimoine immatériel, le vivant, tout le sens d’un village, son histoire, ses savoir-faire qui se perdent dans cette globalisation exponentielle ». Il faut dire aussi que depuis plusieurs mois, Fournès a pris des airs de Clochemerle. Il y a les « pour », les « contre », et les accusations de prises illégales d’intérêt quand ADERE a découvert que des élus ou leurs proches avaient vendu des terrains à Argan. Mais les opposants ont trouvé quelques soutiens : Carole Delga, présidente de la Région Occitanie, a fait savoir qu’elle « n’approuvait pas le modèle économique d’Amazon ». La grande partie (sauf 2 abstentions) des députés du département du Gard ont voté contre, et le président de la communauté de communes du Pont du Gard n’y est pas favorable.

Deux recours ont aussi été déposés devant le Tribunal administratif de Nîmes : un contre le permis de construire « pour excès de pouvoir » avec demande de nullité, un contre l’autorisation environnementale délivrée par la préfecture du Gard.

Le rassemblement de samedi aura donc pour les organisateurs plusieurs objectifs : dénoncer les agissements d’Amazon, le consumérisme généré par la vente en ligne, la concurrence déloyale, la fraude massive à l’impôt… Il est prévu de planter 1000 arbres, pour signifier que la terre n’est pas à bétonner, et de former une chaîne humaine sur le périmètre prévu de l’entrepôt. Il y aura aussi différentes prises de paroles par les associations qui mènent la bataille, puis un pique-nique sorti du sac en présence de HK, qui chantera quelques chansons… mais, précise-t-on, ça ne sera pas un concert ! Juste le soutien d’un artiste connu pour avoir des engagements politiques auprès des militants altermondialistes ou solidaires.

Cette mobilisation rentre dans le cadre d’une initiative nationale, puisqu’il y aura également des actions à Carquefou, Rouen, Ensisheim, Metz, Quimper et Senlis.

                                                                                                        Nathalie Pioch

 

Plus d’informations sur le rassemblement de samedi : https://www.facebook.com/AttacNimes/

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Reprend des études à chaque licenciement économique, ce qui lui a permis d'obtenir une Licence en Histoire de l'art et archéologie, puis un Master en administration de projets et équipements culturels. Passionnée par l'art roman et les beautés de l'Italie, elle garde aussi une tendresse particulière pour ses racines languedociennes.