Odile, Hanane, Jacqueline et Marie-Jean ont rejoint le collectif Archipel Citoyen (1) avec enthousiasme. Elles-ils ne se seraient jamais rencontrés sans lui. Elles-ils ont appris à se connaître, à cheminer, à réfléchir avec des gens différents, à décider collectivement pour faire que cette liste citoyenne existe et, qui sait, transforme Toulouse demain, tel est leur désir. Elles-ils ne cachent pas les obstacles qui ont parsemé les voies.


 

Hanane Marzouki Aboularab, 38 ans, assistante comptable, n’en revient pas encore. Quand deux militant-e-s d’Archipel Citoyen ont frappé à sa porte, elle a su que le courrier qu’elle avait reçu pour être candidate n’était pas une plaisanterie. « Ils m’ont parlé du mouvement, on a discuté, la démarche m’a séduite. Trois jours après, j’ai dit oui ». Hanane fait partie de celles qu’on appelle les tirées au sort. Tout comme Jacqueline Taleb-Bonnet, 59 ans, ingénieure, qui connaissait le collectif pour avoir déjà participé à des ateliers sur la démocratie locale à l’espace JOB (2).

« Ma première motivation, c’est qu’on va vers les gens. Dans mon métier, je constate que l’individualisme a gagné du terrain alors que les solutions sont communes ».

De son côté, Odile Maurin, 56 ans, présidente d’Handi-Social (3), membre du CESER (4), n’avait pas l’intention d’y prendre part car trop prise par ses activités. « J’ai été plébiscitée en juin 2019 par deux Gilets jaunes qui, par ailleurs, ne votent pas. » La militante qui bataille depuis deux décennies pour la défense des droits des personnes handicapées se dit : « Pourquoi pas ? Je vais jouer le jeu, essayer tout en doutant de recueillir beaucoup de soutien. » Odile n’a pas caché qui elle était et les poursuites judiciaires que lui ont valu son engagement et a fini « cinquième » en dépassant certains « encartés ».

 

L’Archipel,  une liste ouverte et accueillante

 

Marie-Jean Sauret, 71 ans, psychanalyste, vient du monde des encartés au PCF. « Je ne me porte pas candidat pour être élu, mais pour essayer d’entraîner dans mon sillage les universitaires qui travaillent dans le champ du politique. » L’intellectuel communiste pense que « l’Archipel offre une dimension accueillante et ouverte ». Il a découvert cette idée archipélique auprès du poète et philosophe martiniquais, Édouard Glissant. « Si on arrivait à faire archipel, la surface qu’on occuperait serait bien plus grande que la somme des petits territoires sur lesquels on est », résume l’universitaire retraité.

 

Née à Beni Mellal, une ville marocaine du Moyen-Atlas, Hanane vit à Toulouse depuis 13 ans et est devenue française il y a 6 ans. « C’est une belle expérience pour moi. C’est la première fois que je vais participer au vote local et ça m’intéresse. » Elle a déjà voté aux présidentielles (2017) et aux européennes (2019). « Quand je votais, je ne regardais jamais le programme d’un candidat, je votais pour la personne ou contre quelqu’un. » Désabusée, la jeune maman pensait : « Ce sont toujours des promesses qu’ils ne vont pas tenir, de toutes façons notre voix n’est pas entendue. » La vie la conforte dans cette opinion. Malgré les multiples manifestations et pétitions des habitant-e-s de Compans-Caffarelli, quartier toulousain où vit Hanane, la Place de l’Europe a été cédée aux promoteurs immobiliers. « Pour moi, cette place, c’est un beau détournement du mot concertation. On est allés aux réunions, mais ils ne nous ont pas écoutés. Au mépris de notre avis, ils ont acté leur projet. Je crois que c’est la dernière place cédée au privé. » Cette place représentait le coeur de quartier avec ses vide-greniers, son manège, ses manifestations culturelles, ses pratiques à deux roues : skates, rollers et vélos pour les enfants. « Aujourd’hui, j’assiste à la mort de mon quartier. » Ce déni de démocratie la pousse à s’engager « parce que la politique se mêle à notre quotidien ».

 

Jacqueline est une éco-féministe. « J’associe l’écologie au fait que nous voulons aussi défendre nos droits en tant que femmes face à un système qui nous exploite. » Encouragée à faire des études par sa mère, une immigrée italienne qui n’avait pas pu en faire, Jacqueline s’est battue pour devenir ingénieure dans le BTP (5) à une époque où les femmes étaient peu nombreuses. Elle revient de loin : trois mois de coma après un grave accident de la route qui entraîne un traumatisme crânien la conduisant au statut de travailleuse handicapée. Elle est, depuis 2011, gérante de sa société de diagnostic immobilier. Engagée aussi dans Alternatiba pour la justice climatique et sociale. « Il faut changer le système, pas le climat », tel est son credo. Leitmotiv que partage Odile qui rejoint le mouvement des Gilets jaunes quand résonnent les voix de la justice sociale, fiscale et environnementale. Mais, aussi, parce qu’elle refuse le climat de guerre civile et l’extrême violence de la police pendant les manifestations. Odile a été blessée à plusieurs reprises et traduite en justice comme de nombreux-ses Gilets jaunes. Avec ses camarades, elle a pris part à des actions de blocages du convoi de l’A380, du TGV, etc. Première victoire, la SNCF engage des travaux en gare Matabiau.

 

Il a fallu que chacun fasse un pas vers l’autre

 

Aujourd’hui, Odile s’appuie sur « la conception universelle, celle des espaces et services qui s’adaptent à tous, à l’opposé d’une société où ce sont les empêchés qui doivent s’adapter sous peine d’être exclus, discriminés. Les problèmes ne viennent pas des personnes en situation de handicap mais de l’organisation de la société et de l’environnement découlant du capitalisme qui veut des individus rentables à court terme ». En quête d’alternatives au plan écologique, économique et social, devant la montée des totalitarismes et, en face, la division des résistances, Marie-Jean milite pour « le supplément ». « Avec d’autres collègues nous avons créé une association de psychanalystes qui est une association supplémentaire. Nous ne demandons pas aux gens de quitter leurs associations pour venir dans la nôtre, cela nous permet de travailler avec tout le monde. » Tous les quatre ont trouvé leur place dans la liste citoyenne. « C’est notre force de discuter avec les gens, de leur demander leur avis. On met des cordes entre deux piquets avec des feuilles blanches suspendues pour qu’ils écrivent leurs envies. On a co-construit notre programme avec les habitants », souligne Hanane. « Cela m’a énormément enrichie. On apprend plus des autres que de soi-même », s’enthousiasme Jacqueline. « C’est une super aventure, poursuit-elle, en écoutant et en pensant à l’objectif commun on arrive à dépasser ses convictions personnelles et à être plus forts ensemble. » Pour Odile, « Il a fallu que chacun fasse un pas vers l’autre, c’est la richesse d’Archipel ».

 

Marie-Jean Sauret a rejoint le mouvement par conviction : « J’y ai trouvé à une échelle réaliste la possibilité de mobiliser les gens sans leur demander de déserter leurs engagements. » La supplémentarité chère à Marie-Jean semble un concept étranger au PCF 31 qui a considéré que sa candidature se faisait « contre son parti ». «J’ai trouvé dans Archipel Citoyen beaucoup de réalisations communistes », confie Marie-Jean Sauret qui poursuit : « Travailler à la construction d’une société solidaire est un moyen de combattre le capitalisme, de le mettre hors de soi. Parvenir à l’échelle municipale à des réalisations très concrètes offre des moyens pour changer le pays. » Ici et là, d’autres pratiques politiques sont en germe. Mais tout n’a pas été simple pour en arriver là.

 

« J’ai eu la confirmation que les partis politiques ont des fonctionnements qui ne vont pas vers l’unité. Pour l’ordonnancement de la liste, ils ont voulu nous séparer, citoyens d’un côté et partis de l’autre », souligne Jacqueline. Et d’expliquer : « Nous avons décidé tous ensemble qu’on allait y arriver par un vote majoritaire et à bulletin secret et on y est arrivés ». Même difficulté que relève Hanane, « c’était pas facile de constituer la liste, les encartés voulaient les bonnes places. On a tenu bon face à leurs demandes ». « Il nous a fallu surmonter les crispations des uns, les égos des autres, et notre inexpérience en tant que non encartés. On a tout inventé, c’est une forme d’intelligence collective », témoigne Odile.

 

Travail en atelier collectif Archipel citoyen
Travail en atelier collectif Archipel citoyen
 

Hanane veut être au service des citoyens

 

« L’ennemi d’Archipel, il est dans nos têtes parce que nous continuons souvent à réfléchir en terme de parti ; si tu es là, tu peux pas être ailleurs », alerte Marie-Jean. Lors de la désignation de la tête de liste, un désaccord a émergé « entre ceux se prononçant pour des personnes qui feraient poids auprès des Toulousains ou un illustre inconnu plus représentatif du mouvement qui pourrait présenter un inconvénient ». Certes, la préférence des encartées comme Odile et Jacqueline allait à la candidature de Claire Dujardin, avocate insoumise ou de François Piquemal, ex-porte parole du DAL (6), mais c’est finalement Antoine Maurice d’EELV qui a émergé. Odile reconnaît en lui « un homme intègre ». Un avis partagée par Hanane, « c’est quelqu’un de bien ». Les candidat-e-s sont confiant-e-s. D’autant que la charte éthique qu’elles-ils ont signée permet la révocation des élu-e-s qui ne feraient pas ce pour quoi ils-elles ont été élu-e-s.

 

Quels sont leurs rêves ? « Même si on gagne, précise Marie-Jean, il nous faut inventer un mode de vie où tout le monde puisse vivre et donc examiner tout ce qui nous divise. Le traiter ne veut pas dire le résoudre mais en faire le moteur de la transformation. » Odile souhaite « arriver à construire petit à petit une ville qui respecte toutes les personnes et qui permette de partager l’espace public équitablement ». Pour sa part, Hanane entend « être au service des citoyens ». « On doit mettre le cursus ailleurs que sur le fric. On doit résister, être solidaires et responsables devant l’anthropocène (7). La vie est tellement difficile que nous voulons une ville où les gens vivent en relation les uns avec les autres, où les gens vivent en coopérant », conclut Jacqueline.

 

Piedad Belmonte


Notes:

(1) AC : mouvement composé de citoyen-n-e-s, de militant-e-s associatifs, d’élu-e-s de gauche. Partis ayant rejoint la démarche : EELV, Place Publique, Toulouse Idées Neuves, LFI, Ensemble, Parti Pirate, Nouvelle Donne.

(2) JOB : ancienne usine de papier reconvertie en un lieu de culture et d’animation sociale.

(3) Handi-Social : association de défense des personnes en situation de handicap.

(4) CESER : Conseil économique, social et environnemental régional.

(5) Bâtiment et travaux publics.

(6) Droit au logement

(7) L’anthropocène : La pollution de la planète par les activités humaines.


Voir aussi : Dossier Municipales 2020, Rubrique Occitanie Toulouse,

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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin