Permettre l’autonomie financière des étudiants les libérerait d’un « fardeau » qui affecte tant leur réussite que leur santé, déclarent quatorze présidents d’université.


 

Dans le contexte de cette rentrée universitaire marquée par une forte augmentation du coût de la vie et par l’annonce du gouvernement d’une prochaine refonte du système de bourses, il est impératif de s’interroger sur la responsabilité de la société vis-à-vis de la jeunesse et, en particulier, des étudiantes et étudiants.

Quels investissements devons-nous réaliser pour permettre à notre jeunesse d’étudier dans la dignité, d’être en situation non seulement d’apprendre et de se former, mais également d’inventer, de créer et de s’engager ?

Nous, présidentes et présidents d’université, appelons à une réforme structurelle d’envergure des bourses avec pour objectif la mise en place d’une allocation d’études pour toutes les étudiantes et tous les étudiants, à l’instar de ce qui se pratique dans d’autres pays d’Europe.

Les enquêtes sur les conditions de vie des étudiants de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) mettent régulièrement en lumière leur précarité économique. La dernière en date, publiée en 2020, rapporte que 26 % des étudiants interrogés déclarent vivre de manière précaire et que 56 % disent rencontrer des difficultés financières au point de réduire leur alimentation, quand 38 % peinent à payer leur loyer. Selon l’enquête « La mesure de la précarité étudiante à travers les enquêtes “conditions de vie des étudiants” » (OVE, 2020), issue des travaux de Feres Belghith, directeur de l’équipe de recherche de l’OVE, 27,1 % des étudiants vivraient sous le seuil de pauvreté (correspondant à 60 % du niveau de vie médian des étudiants, soit 454 euros). Aujourd’hui en France, la population étudiante est davantage touchée par la précarité que la population générale.

Ni les bourses sur critères sociaux, qui concernent environ 750 000 étudiants (dont un tiers à l’échelon 0, soit environ 1 000 euros par an), ni les aides exceptionnelles débloquées fin 2022 par le gouvernement pour soutenir les associations qui agissent en faveur des étudiants les plus précaires ne suffisent à juguler la pauvreté étudiante ou à permettre un accès du plus grand nombre à l’enseignement supérieur.

Pierre angulaire des universités, l’égalité d’accès à l’enseignement supérieur est une quête inachevée en France. L’accès aux études supérieures des jeunes issus de famille modeste reste très limité. Selon l’enquête OVE de 2020, les étudiants dont les parents gagnent moins de 1 000 euros par mois représentent 6,6 % des inscrits, dans l’enseignement supérieur, interrogés et ayant renseigné un revenu pour les deux parents.

 

Réduire les inégalités

 

La création d’une allocation d’études pour tous permettrait de réduire les inégalités socio- économiques mais aussi les effets de ruptures familiales, favorisant ainsi l’accès aux études supérieures et la cohésion sociale. Cette mesure faciliterait par ailleurs le développement de l’autonomie des étudiants, qui pourraient s’engager pleinement dans leur parcours de formation, libérés du fardeau du stress financier qui affecte souvent leur réussite et leur santé mentale.

Dans une tribune publiée dans Le Monde du 25 mars 2022, l’économiste Philippe Aghion proposait d’offrir à chaque jeune un revenu universel de formation qu’il voit comme « un co-investissement de chaque jeune et de l’État dans la formation et le capital humain, avec une exigence de résultat permanente ». C’est d’ailleurs l’approche danoise : tout étudiant qui quitte le foyer familial y reçoit un revenu mensuel d’environ 800 euros, mesure interrompue lorsque l’étudiant prend trop de retard dans son cursus.

La question de l’instauration d’une allocation d’études revêt également une dimension socioculturelle. En France, l’activité de formation des étudiants n’aurait pas la même légitimité, considère-t-on, que l’activité professionnelle ou la situation des personnes retraitées.

Accorder une allocation d’études à l’ensemble des étudiants aurait pour conséquence de leur assurer, à l’instar d’autres segments de la population, la garantie d’un revenu décent. Cela constituerait une véritable reconnaissance économique et sociale, fondée sur leur investissement dans la formation, l’acquisition de compétences, l’implication dans diverses activités d’utilité publique, ou un travail d’expérimentation sociale.

Fondée sur l’idée de « contrat », l’allocation d’études pourrait évoluer au fil de la progression dans un cursus, par exemple lors des périodes de stage. Les étudiants s’engageraient davantage dans les milieux associatifs, se formeraient par l’expérimentation, favorisant ainsi le développement d’une économie non lucrative, fondée sur la connaissance, la solidarité et la sensibilisation aux enjeux de transition. De véritables collectifs de travail verraient le jour sur les campus, autour de projets pédagogiques, citoyens ou associatifs.

L’autonomie financière des étudiants favoriserait par ailleurs les mobilités internationales, source d’ouverture et de partage des connaissances. Elle encouragerait enfin la multiplication des expériences professionnelles plus ciblées pendant le cursus, dans le cadre de stages, au sein de structures qui contribueraient elles aussi à la rémunération des étudiants, créant un partenariat gagnant-gagnant.

Au-delà de la place accordée à notre jeunesse et de l’amélioration des conditions de vie des étudiantes et étudiants, la mise en place d’une allocation d’études s’inscrit dans un véritable projet de société. Un projet fondé sur l’accès du plus grand nombre à l’enseignement supérieur et la promotion de l’innovation sociale comme facteurs de cohésion, de croissance et de projection dans l’avenir.

Signataires : Philippe Augé, président de l’université de Montpellier ; Carine Bernault, présidente de Nantes Université ; Eric Berton, président d’Aix-Marseille Université ; Eric Blond, président de l’université d’Orléans ; Eric Carpano, président de l’université Jean-Moulin- Lyon-III ; Michel Deneken, président de l’université de Strasbourg ; Nathalie Dompnier, présidente de l’université Lumière-Lyon-II ; Nathalie Drach-Temam, présidente de Sorbonne Université ; Christophe Fouqueré, président de l’université Sorbonne-Paris-Nord ; Emmanuelle Garnier, présidente de l’université Toulouse-Jean-Jaurès ; Edouard Kaminski, président d’Université Paris Cité ; Lionel Larré, président de l’université Bordeaux-Montaigne ; Christine Neau-Leduc, présidente de l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne ; Florent Pigeon, président de l’université Jean-Monnet-Saint-Etienne

Tribune parue dans Le Monde du 20 septembre 2023