À l’occasion de la coupe du Monde au Qatar nous publions un dossier en trois volets sur l’histoire contemporaine qatarienne des années 2010 à 2013. Pour les intéressé.e.s, les succulents articles de cette série signés René Naba s’ouvrent sur une galerie de personnages permettant de saisir l’envers du décor. Ce second volet revient sur les ouvrages parus sur le pays et pose les axiomes de base de l’équation qatariote.


 

By René Naba, in France Politique Qatar, at 5 juin 2013

Un si vilain pays qui ne veut pas du bien à la France

Paris — « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ». Ce précepte d’Albert Londres, figure de légende de la profession, deux journalistes français l’ont appliqué à la lettre pour notre bonheur, pour l’honneur de la profession et la manifestation de la vérité. Le titre l’annonce, le corps du sujet en apporte la convaincante démonstration : le Qatar est un vilain pays qui ne veut pas du bien à la France. Point barre. Foin de contorsions intellectuelles, ni d’agitations nombrilistes. La réalité est là. Toute crue. Toute nue.

Et pour que les choses soient claires et faire taire d’avance les éventuelles accusations d’islamophobie, les auteurs assurent, d’emblée, que leur ouvrage ne relève pas du « Qatar Bashing1 », sport à la mode s’il en est, mais « écrit par des hommes libres ». Connaissant l’un et lisant attentivement l’autre, le signataire de ce texte leur en donne volontiers acte. Car si Nicolas Beau, ancien de l’hebdomadaire satirique Le Canard Enchaîné, est bien connu du landerneau médiatique français, ne serait-ce que pour son déflagrant ouvrage La régente de Carthage2, l’autre élément du tandem n’est pas pour autant un saute-ruisseau3. Grand reporter pour Paris Match, Jacques-Marie Bourget a notamment couvert la guerre du Viêtnam (1965-1075) et la guerre du Liban (1975-1990), la première4 et la seconde5 Intifada (1986-2000). Autant dire un poids lourd du journalisme d’investigation dont la carrière a d’ailleurs été couronnée par le prix Scoop pour avoir révélé l’affaire Greenpeace. Auteur d’un ouvrage sur les massacres des camps palestiniens de Sabra-Chatila (Beyrouth), ce baroudeur d’empire a été, le 21 octobre 2000, à Ramallah (Cisjordanie), la cible d’un tir de l’armée israélienne. C’est dire le sérieux de l’entreprise et du bonhomme.

Grâce soit donc rendue à Nicolas Beau, pourfendeur de la dictature tunisienne, et à Jacques-Marie Bourget, un journaliste de terrain qui a payé de sa chair, en Palestine, le prix de la vérité. Le vilain petit Qatar – Cet ami qui nous veut du mal (Fayard, 2013), leur ouvrage rédigé à quatre mains s’impose comme un chef d’œuvre d’humour, d’érudition et de rigueur. En cliniciens du monde arabe, le tandem du site satirique Bakchich — tout un programme s’agissant du monde interlope de l’affairisme franco-arabe — pointe, sans ménagement, sans la moindre ambiguïté, mais sans acrimonie, les complexités de cet émirat mirage. Une parfaite radioscopie non seulement des tortuosités de l’émirat, mais également des turpitudes de leurs interfaces français.

 

La démonstration est limpide

 

  • Le rôle moteur du Qatar dans le conditionnement de l’opinion, l’encadrement et l’amplification du « printemps arabe », la confiscation de la révolution arabe et son déroutement des rives inflammables du Golfe pétromonarchique vers les républiques laïques de la Méditerranée (Libye, Syrie), en connivence avec les États-Unis, jusque-là susurré, est établi.
  • Le Qatar, connu du monde entier par une antiphrase ravageuse, « la chaîne qui possède un État », en référence à sa chaîne Al Jazeera, alimentera ainsi de nombreuses thèses doctorales des facultés des sciences de la communication sur la « Révolution 2.0 » ou d’autres balivernes du genre « Révolution cathodique », dans une opération de diversion médiatique visant à usurper, à tout le moins à en atténuer la portée, en tout cas à subvertir le sacrifice du tunisien Mohamad Bouazizi, l’étincelle de la révolution. Un parfait représentant de cette société informelle qui peuple le monde arabe par déclassement social, dont la marginalisation et la paupérisation ont constitué le moteur du bouleversement régional, avant d’être dérouté par l’islam pétrolier et atlantiste de son cours libératoire.
  • Le passage forcé de ce cheval de Troie anglophone de l’Amérique au sein de l’Organisation de la Francophonie, en vue de prendre pied dans la zone stratégique à la charnière du Maghreb et de l’Afrique noire, de même que les mésaventures d’une universitaire française6 venue enquêter pour les besoins de sa thèse sur les « bidounes » (apatrides) [dans leur pays], à l’arrière-plan du grenouillage7 et des gigotements de la classe politique française devant ce nouvel eldorado, révèlent la face sombre de cet émirat, sa vanité en même temps que la cupidité et la vulnérabilité de ses interlocuteurs français.
  • La chorégie du Qatar: Nabil Ennasri, Tariq Ramadan, Mohamad Henniche et Mathieu Guidère.
  • Le passage concernant les néo-islamologues médiatiques, au parcours académique, constitue un morceau d‘anthologie : Le quartette de la chorégie qatariote — le thésard Nabil Ennasri, le politologue Tariq Ramadan, l’universitaire Mathieu Guidère — est pointé du doigt, de même que l’empressement zélé de Mohamad Henniche, notable de la zone bariolée de la région Île-de-France, convoyeur attitré des meetings électoraux de la présidence Sarkozy.
  • Particulièrement démasquée, la duplicité du discours du petit-fils du fondateur de la Confrérie des Frères musulmans8, une famille constamment adossée aux dollars pétromonarchiques des régimes les plus pro-américains et les plus régressifs du monde arabe, le père Saïd [Ramadan] à l’Arabie saoudite, le fils Tariq au petit wahhabite9 du Qatar.

Dans la stratégie du Qatar, Tariq Ramadan a vocation à assurer la relève de l’octogénaire Qaradawi dans son rôle prescripteur sur le plan théologique, parallèlement au rôle dévolu sur le plan politique à Azmi Bishara10, cet officiant chrétien d’Al Jazeera, ancien député palestinien du parlement israélien. Un duo islamo-chrétien destiné à assurer la maîtrise du débat intellectuel panarabe dans ses diverses déclinaisons pour le compte du Qatar via les contrefeux de ses hommes-lige.

Même traitement pour Éric Ghébali. Un délice. Le jeune socialiste co-fondateur de SOS Racisme apparaît ici sous un nouveau jour. L’époux de l’animatrice télé Daniela Lambroso, dont la légende lui attribue un geste de bravade à l’égard de son mentor François Mitterrand — la destruction de sa carte du parti en signe de protestation contre la réception en France de Yasser Arafat, chef de l’organisation de libération de la Palestine, dans la décennie 1980 —, apparaît ici comme un zélé promoteur sinon des relations franco-qatariotes, à tout le moins du Groupe Suez dont il est le conseiller de son Président Gérard Mestrallet. Sans la moindre réticence à faire commerce avec ce pays arabe, soutien du Hamas. En raison du rôle supplétif du Qatar dans la stratégie israélo-américaine dans la domestication de la branche palestinienne de la Confrérie des Frères Musulmans ?

 

Le Qatar, énigme ou oxymore ?

 

L’énigme du Qatar (Nabil Ennasri11, Édition IRIS-Armand Colin, Mars 2013) : Une prestation du mégaphone du Qatar dans la France périurbaine.
Le Mamamouchi12 de l’époque contemporaine fait l’objet d’un engouement à la mesure sans doute de l’indifférence qu’il suscitera ultérieurement en cas de sortie de route, un parcours identique à celui de ses prédécesseurs dans la panégyrie : Le Chah d’Iran, l’irakien Saddam Hussein, le Libanais Rafic Hariri. Une flopée de livres lui a été ainsi consacrée, en 2013, sans qu’il ait été possible de déterminer si cette curiosité relève d’une saine activité de prospection intellectuelle pour une meilleure connaissance d’une région du monde qui intéresse au plus haut point la France ou d’une vulgaire opération mercantile de renflouement de caisses éditoriales, malmenées par le numérique et l’économie de pénurie.
Une compétition éditoriale nullement justifiée par l’aura du majestueux sujet, plus vraisemblablement par une possible activation du flux financier qu’un tel thème pourrait générer, à tout le moins pour les plumes laudatives.

Premier chronologiquement sur le marché, L’énigme du Qatar apparaît ainsi comme un faire-valoir d’un à-valoir du mégaphone du Qatar dans la France périurbaine. Sans la moindre novation de la pensée stratégique française contemporaine en dépit de prestigieux parrainages, sans autre crédit que celui que lui dispense la doxa officielle française.

Le Qatar, une énigme ? Vraiment ? Au point d’en faire un ouvrage ?
Point n’est pourtant besoin d’être grand clerc pour appréhender le Qatar, le nouveau crésus de l’économie planétaire, au fonctionnement sommaire, au décryptage basique. Une charade simple à dénouer.

Un fils qui évince son père est un parricide. Un prince qui épouse la fille [Moza bint Nasser al-Missned] du chef de l’opposition [Nasser al-Missned], en gage de sa loyauté, est un Machiavel en herbe. Ou un gougnafier.

Un gouverneur qui sévit en tandem avec son cousin — le propre fils [Ahmad ben Ali Al Thani] de l’ancien émir [Hamad ben Abdallah Al Thani] destitué par le propre père [Hamad ben Khalifa Al Thani] de l’actuel gouverneur [Tamim ben Hamad Al Thani] —, en vue de mettre l’émirat en coupe réglé est un prédateur. Les Borgia de Florence délocalisés à Qatargas13, quand bien même octroie-t-il en guise de jeux de cirque, un joujou Pin-Pon à ses sujets, des Porsche rutilantes à sa police.

L’attelage ainsi constitué est désigné dans le langage académique comme étant une relation tripolaire. Ou une triangulation. Michel Audiard, célèbre dialoguiste de cinéma du siècle dernier au langage châtié, qualifiait jadis ce genre de “combinazione” de « conjuration de cloportes » ourdie par des prédateurs machiavéliques. Autrement dit une association de malfaiteurs. Au vu d’une telle mystification, il aurait sans doute tonné haut et fort contre qu’« il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages », encore moins les vessies pour les lanternes, intimant de cesser au plus vite ce « foutage de gueule », si préjudiciable à ses auteurs.

La chute vertigineuse de l’audience d’Al Jazeera en porte témoignage. De « 43 millions de téléspectateurs quotidiens à 6 millions », selon Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales (CARAPS), basé à Genève, qui explique cette dégringolade par le traitement partial de la chaîne qatariote du “printemps arabe” au point de soutenir la guerre coloniale de l’OTAN en Libye.

 

Plutôt un oxymore

 

Le roitelet d’un minuscule pays qui génère un milliard de dollars de recettes par jour dans un monde où l‘argent est roi est ipso facto le roi du monde dans une période où l’économie occidentale est en crise systémique. Mais le souverain d’une principauté dont le quart de la superficie du pays est occupé par une importante base militaire américaine est au choix un prince captif ou un souverain sous tutelle. Un gouverneur d’opérette ? Une marionnette ? Dans tous les cas de figure, un oxymore. Un tison incandescent américain planté sur le flanc de l’Arabie, alléché par l’idée de se substituer à la dynastie wahhabite au leadership spirituel et politique du monde sunnite. Au même titre que la Turquie, principal bénéficiaire sur le plan régional sunnite de la destruction de l’Irak et de la Syrie.

Que le prédicateur-maison, Youssef al Qaradawi14, la caution théologique des équipées atlantistes en terre arabe, implore les États-Unis de bombarder la Syrie, un pays qui a soutenu trois guerres contre Israël en partenariat avec l’Égypte, donne la mesure de l’aberration mentale du millionnaire égypto-qatariote et de sa soumission, de même que son mécène, à l’ordre israélo-américain.

Milliardaire du loto de la vie, à l’obésité étroite dans sa cage dorée, ce bédouin oisif s’est choisi comme terrain de jeu la scène mondiale. Et pour hobby, non le Golf qui sied aux gentlemen, mais le jeu de massacre que ce fauconnier braconnier prise particulièrement. Un milliardaire arabe et croyant qui consacre 200 millions de dollars à Jérusalem et trois milliards de dollars au financement des djihadistes cannibales en Syrie est un mystificateur. Et pour les puristes de la religion, un mécréant.

Que, dans la foulée, le Hamas, ultime mouvement sunnite de lutte armée, choisisse à son chef charismatique, Khaled Mecha’al, comme résidence permanente Doha, à vol d’oiseau de la base américaine du Centcom, la plus importante base américaine du tiers-monde, donne la mesure de l’abdication morale et intellectuelle de l’Islam atlantiste. Un acte d’indignité nationale à l’effet de disqualifier ce mouvement de libération nationale, au-delà de l’insulte morale que constitue ce choix pour la mémoire des pères fondateurs de ce mouvement tous tués par assassinats extrajudicaires israéliens avec la caution américaine.

Tels sont les axiomes de base de l’équation qatariote. Le reste relève de l’entreprise apologétique d’une mendicité déguisée ou d’une gesticulation médiatique en quête de notoriété.

Le soft power, notion abondamment développée par cet auteur prolixe, par ailleurs tweeter fébrile, ne saurait tenir lieu de cache misère à une indigence conceptuelle, ni justifier les turpitudes d’un pays qui passe pour être l’un des principaux exportateurs du djihadisme erratique, le principal promoteur financier du néo-islamisme rigoriste dans les pays arabes et africains, particulièrement en Tunisie, ainsi qu’au Mali.

Deux ans après le déclenchement du « printemps arabe », Al-Qaïda et sa matrice formatrice, les Frères Musulmans, multiplient les communiqués de victoire sur tous les fronts arabes, au rythme des concessions arabes sur la Palestine… sur fond d’un paysage dévasté d’un champ de ruines généré par la guerre mercenaire menée par des Arabes contre des Arabes pour le plus grand profit de leurs ennemis communs, Israël et les États Unis. L’Irak, le Yémen, le Soudan, la Libye et la Syrie sont déchiquetés par des guerres sectaires.

Le sud Soudan et le Kurdistan irakien promus, parallèlement, au rang de plateformes opérationnelles israéliennes sur les deux versants du monde arabe, et la Palestine, à l’abandon, en état de décomposition avancée, indice patent d’une défragmentation mentale absolue sans pareille dans les annales des relations internationales, dont le Qatar en porte une lourde responsabilité. Pour le plus grand malheur des Arabes et des Musulmans.

Telle est l’énigme, si énigme il y a, qu’il importe de percer, de même que la ruée des dignitaires du Golfe à l’assaut des pubères syriennes, la collusion entre Israël et les djihadistes du Qatar dans leurs attaques synchronisées contre la Syrie, enfin la cascade de fatwas pathologiques édictées à l’encontre des « dépendantes » [des femmes] à l’ombre du printemps arabe. Tout le reste n’est que bobards de salonards15.

Le double parrainage de l’auteur pose rétrospectivement le problème de sa pertinence : Pascal Boniface, son éditeur, inlassable pourfendeur des faussaires, et François Burgat, son mentor universitaire, analyste lucide du phénomène de l’islamisme algérien durant la décennie noire (1990-2000). Pour lui donner de la consistance ? L’oindre de l’onction scientifique de leur magistère moral ? Auquel cas que n’a-t-il pris exemple sur eux ? Que n’ont-ils encouragé leur poulain à renoncer à sa vieille recette du plaidoyer pro domo16 ? Exiger de lui — devant la richesse des sources et les informations accablantes —, une plus grande rigueur analytique. À tout le moins, une critique aussi rigoureuse du Qatar qu’il ne le fait de la Syrie, sa cible obsessionnelle, tant il est vrai que « quand l’histoire encense la vanité des despotes, elle est complice de la Tyrannie » (Louis-Philippe de Ségur). Une tâche habituellement réservée aux « intellectuels de cour ».

Incubateur intellectuel de Nabil Ennasri, son patron de thèse, François Burgat, membre du Conseil européen des affaires étrangères, passe pour avoir bénéficié d’une subvention substantielle de l’ordre de deux millions d’euros en vue d’animer une étude collective sur « la transition dans les pays arabes ». Gageons que cet universitaire respecté saura épargner à la France, sur le dossier Qatar, la réédition de sa mésaventure en Syrie.

L’ancien directeur de l’Institut Français de Damas, bien qu’il s’en défendra de l’admettre publiquement, n’ignore pas que la France a pâti dans sa prestation syrienne de fautes majeures initiées dans l’allégresse au début du conflit par de zélés thuriféraires, compromettant gravement son rôle pilote, le réduisant à celui de caisse de résonance de la campagne de conditionnement médiatique de l’opinion européenne, en diversion aux opérations clandestines.

Le placement de la campagne anti-syrienne sous l’égide de Bernard-Henry Lévy, en juillet 2011, en association avec les Frères Musulmans, sans tenir compte de la profonde révulsion qu’inspire le philosophe philo-sioniste dans le monde arabe, a constitué une erreur criminelle en ce qu’elle a durablement détourné d’opposants historiques de la structure off-shore.

De même, le parrainage ostentatoire de la France à une opposition dirigée par des universitaires syriens salariés de l’administration française a obéré son discours moral et humaniste en ce que l’opération est apparue au sein de larges couches d’une opinion syrienne farouchement nationaliste comme la mise en selle d’« arabes de service », sous tutelle de l’ancien pouvoir colonial, pour des équipées hégémoniques occidentales en terre arabe. Erreur imputable au premier chef à une nostalgie de grandeur nourrie par le retour du refoulé d’un passif colonial non purgé.

Gardons-nous donc des « Arabes de service » et de leur zèle intempestivement ravageur. Ces « native informant » (informateurs indigènes), à la légitimité purement médiatique, qui accaparent la parole d’une communauté sans en être représentatif, si bien décrits d’ailleurs par Pascal Boniface. Cela vaut pour la Syrie comme pour le Qatar. Sur un sujet aussi sensible et décisif pour la cohésion nationale française et le devenir des relations franco-arabes, ne sauraient être de mise les propos de comptoir, pas plus que les postures déclamatoires, à en juger par les déboires de la France en Libye et au Mali. Rare cas de fusion intellectuelle entre un auteur et son éditeur, leur osmose éditoriale s’est matérialisée par (cette) [une] interview qui s’est apparentée par moments à un exercice d’auto-célébration auto-promotionnelle.

La déroute de la diplomatie française en Syrie devrait nous inciter à répudier la flamboyante complaisance narcissique de la classe politico-médiatique française pour mieux se pénétrer des vertus de la rigueur et sans doute de l’humilité intellectuelle.

Pitoyable Fabius, jadis brillant homme de gouvernement, désormais piteux politiciens, qui réclame la mise à l’index de la branche militaire du Hezbollah libanais et non le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest), auteur le même jour de sa déclaration d’un double attentat au Niger faisant 24 tués. Non la filiale syrienne d’Al-Qaïda, Jobhat An Nosra17 pétromonarchique, inscrite depuis six mois sur la liste des organisations terroristes par les États-Unis. Non Ansar Eddine18, filiale caritative du djihadisme qatariote, qui a sinistré le pré carré français au Nord Mali, et sapé le dernier erzat de la puissance française. Non les dynamiteurs de l’ambassade de France en Libye. Non Boko Haram19 qui a pris en otage sept ressortissants français avant de les relâcher sans doute au terme d’une négociation indirecte avec la France via le camerounais Paul Biya20.

Le Hezbollah et non les groupements sunnites. Est-ce par ce que la formation libanaise gêne les projets israéliens, alors que les autres s’appliquent méthodiquement à la destruction des pays arabes ? Est-ce par ce que le chiite21 tient la dragée haute au camp atlantiste et à ses alliés de l’islam pétrolier, en sa qualité d’ultime digue de retenue du naufrage de la Palestine ?

Un politologue, sans doute l’un des plus prometteurs islamologues de la génération de la relève, Haoues Seniguer22*, en pose la saine problématique. En prolongement de l’ouvrage du tandem Beau-Bourget, l’universitaire franco-algérien, descendant d’une famille d’authentiques patriotes algériens, fait un sort aux sornettes en tous genres proférées à propos du Qatar, dans une étude retentissante qu’il importe à l’auteur de ces lignes de porter à la connaissance du public, dans l’intérêt même de la France et du monde arabe.

Sur fond de scandales récurrents de la société française, de déliquescence morale de ses élites, avec un ancien Président gaulliste de la République Jacques Chirac condamné par la justice de son pays, son successeur Nicolas Sarkozy en maille avec elle, de même que la directrice française du FMI Christine Lagarde, de grosses pointures socialistes carbonisées par des comportements calamiteux, Dominique Strauss Khan et Jérôme Cahuzac, de revers diplomatiques retentissants avec l’implosion du Mali et le dynamitage de l’ambassade française à Tripoli, le Qatar, cet oxymore, pourrait bien apparaître rétrospectivement comme une métaphore de la France en phase de collapsus.

Que ces éminents universitaires ne prennent pas ombrage de ce rappel à l’ordre motivé par une fidélité à la prescription d’un prestigieux aîné, Albert Camus, qui commandait à « l’intellectuel de se ranger, non du côté de ceux qui dictent l’histoire, mais de ceux qui la subissent », meilleur antidote à l’étrange sensation d’une « étrange défaite » de la pensée.

René Naba

 

* Le Qatar et l’Islam de France : vers une nouvelle idylle ? Confluences Méditerranéennes N° 84 Hiver 2012-2013 par Haoues Seniguer, chercheur associé au GREMMO (Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient) Université Lyon II, IEP de Lyon.

Cet article est publié dans le cadre de notre partenariat avec Madanya info.

Voir aussi : Qatar : Un rebut de luxe pour recyclage haut de gamme

Notes:

  1. « Lynchage » médiatique.
  2. La régente de Carthage – Main basse sur la Tunisie : Nicolas Beau et Catherine Graciet plongent ici dans les arcanes, les alliances et les trahisons d’un pouvoir familial mesquin et perverti, qui tient lieu d’État dans une société à la dérive. Et où tous les signaux ? politiques, économiques et sociaux ? passent progressivement au rouge, tandis que le président et son entourage se préoccupent surtout de s’enrichir et de réprimer toute contestation (Édition La découverte).
  3. Jeune garçon de course, commissionnaire.
  4. La première intifada, appelée également guerre des pierres, désigne la période de conflit entre les Palestiniens des territoires occupés et Israël (1987-1993).
  5. Période de violence israélo-palestinienne à partir de septembre 2000 jusqu’à environ février 2005. Les événements sont décrits comme une campagne de terrorisme palestinien par Israël, tandis qu’ils sont décrits comme une révolte par les Palestiniens.
  6. Claire Beaugrand est chargée de recherches au CNRS à l’IRISSO. Ses recherches portent sur la sociologie politique des pays du Golfe, vues sous le prisme des inégalités et des mobilités. Sa première monographie Stateless in the Gulf: Migration, Nationality and Society in Kuwait (IB Tauris, 2018) portait sur l’émergence d’une catégorie de « laissés pour compte de la nationalité(bidun) » au Koweït. Elle se concentre désormais sur les mobilités des élites économiques et les stratégies de conversion de capital des dirigeants d’entreprises familiales golfiens.
  7. Intrigues louches, tractations immorales.
  8. Fondateur des Frères musulmans : Hassan el-Bana, un instituteur égyptien.
  9. Le wahhābisme est un mouvement, à la fois religieux et politique, fondamentaliste de réforme se réclamant de l’islam sunnite (ou musulmans orthodoxes, principal courant religieux de l’islam représentant entre 85 et 90 % des musulmans du monde) hanbalite (école de jurisprudence la plus conservatrice en ce qui concerne les rites de l’islam sunnite), affirmant prôner « un retour aux pratiques en vigueur dans la communauté musulmane du prophète Mahomet et ses premiers successeurs ou califes.
  10. Azmi Bishara est un intellectuel, écrivain et analyste politique palestinien et arabe israélien. Docteur en philosophie, chef du Rassemblement démocratique national et son fondateur en Israël, ancien membre de la Knesset (parlement monocaméral de l’État d’Israël siégeant à Jérusalem) israélienne, il exerce la fonction de directeur général du Centre arabe pour la recherche et les études politiques.
  11. Nabil Ennasri est un écrivain français, spécialiste du Qatar, présenté comme chercheur spécialiste des mouvements islamistes. Frère musulman, disciple de Youssef Al-Qaradaoui, il a étudié la théologie musulmane à l’Institut européen des sciences humaines de Château-Chinon. Dans une tribune dans le Journal du Dimanche, ils dénoncent les appels au boycott de la Coupe du monde 2022 au Qatar tout en soutenant la démarche des ONG de défense des droits humains comme Amnesty International pour faire de ce mondial un levier pour arracher davantage de droits sociaux en faveurs des ouvriers employés dans l’émirat du Golfe.
  12. Titre faussement honorifique.
  13. compagnie produisant du gaz naturel liquéfié (GNL) au Qatar.
  14. Le théologien, prédicateur et universitaire qatarien Youssef al Qaradawi est d’origine égyptienne.
  15. Habitués des salons mondains.
  16. Pour soi-même, pour sa cause.
  17. Jobhat An Nosra est un groupe rebelle et terroriste, d’idéologie salafiste (qui se caractérise par la revendication d’un devoir à titre individuel d’une forme violente d’un djihad transnational, et par la référence à un mouvement religieux salafiste revendiquant un retour aux pratiques en vigueur dans la communauté musulmane à l’époque du prophète Mahomet et de ses premiers disciples et la « rééducation morale » de la communauté musulmane. De manière générale, le courant salafiste djihadiste ne reconnaît pas les frontières établies dans le monde musulman et prône l’instauration d’un État islamique et le rétablissement du califat.
  18. Ansar Eddine, groupe armé salafiste djihadiste apparu au début de l’année 2012, est l’un des principaux groupes armés participant à la guerre du Mali.
  19. Boko Haram, groupe sunnite pour la prédication et le djihad est un mouvement insurrectionnel et terroriste d’idéologie salafiste djihadiste.
  20. Paul Biya est président de la République du Cameroun depuis le 6 novembre 1982.
  21. Le chiisme constitue l’un des deux courants de l’islam, l’autre étant le sunnisme. Il regroupe environ 10 à 15 % des musulmans. Les chiites suivent les Imams-Guides de la famille du Prophète qui a désigné Ali comme son successeur.
  22. Maître de conférences à l’IEP de Lyon, chercheur au laboratoire Triangle (CNRS, ENS – Action, discours, pensée politique et économique), directeur adjoint de l’Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman (EHESS/CNRS)
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René Naba est un écrivain et journaliste, spécialiste du monde arabe. De 1969 à 1979, il est correspondant tournant au bureau régional de l’Agence France-Presse (AFP) à Beyrouth, où il a notamment couvert la guerre civile jordano-palestinienne, le « septembre noir » de 1970, la nationalisation des installations pétrolières d’Irak et de Libye (1972), une dizaine de coups d’État et de détournements d’avion, ainsi que la guerre du Liban (1975-1990), la 3e guerre israélo-arabe d'octobre 1973, les premières négociations de paix égypto-israéliennes de Mena House Le Caire (1979). De 1979 à 1989, il est responsable du monde arabo-musulman au service diplomatique de l'AFP], puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, chargé de l'information, de 1989 à 1995. Membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme (SIHR), de l'Association d'amitié euro-arabe, il est aussi consultant à l'Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l'Homme (IIPJDH) depuis 2014. Depuis le 1er septembre 2014, il est chargé de la coordination éditoriale du site Madaniya info. Un site partenaire d' Altermidi.