Le Théâtre Le Sémaphore, rénové durant l’été, repart pour une (vraie) nouvelle saison avec des propositions hors les murs, de la joie, du cirque, de la danse, du jazz et de beaux questionnements sur l’exil, la mémoire de la guerre d’Algérie, la place des femmes dans l’Histoire et plein d’autres choses encore.


 

« Depuis mars 2020 nous n’avons pu présenter que 6 à 8 spectacles, alors nous sommes un peu pressés de retrouver le public, dans le milieu de la culture on sait que les salles sont moins pleines qu’avant », précise d’emblée Laurence Cabrol, directrice du théâtre de Port-de-Bouc (13). Si les spectateurs.trices peinent à retrouver le chemin des salles, les spectacles peuvent aussi venir à eux : c’est le choix qu’a fait Le Sémaphore en proposant une ouverture en deux temps avec un festival de rue qui s’est tenu le 11 septembre et une ouverture de saison “officielle” le samedi 25 septembre, avec trois propositions gratuites. Deux spectacles en extérieur avec Ven (cirque) et Tire-toi de mon herbe Bambi, (théâtre d’objets), une fable loufoque sur l’esprit de propriété et la peur de l’autre, et du théâtre en intérieur avec Eden blues de la Compagnie TEC, une conférence en forme de farce sur l’histoire d’Adam et Eve.

L’humour, la farce et la dérision tiendront une grande place dans cette saison 2021-2022 que tout le monde espère comme celle des vraies retrouvailles. « Cette saison, on l’a voulue légère, surprenante et éclectique, avec, encore plus que d’habitude, des propositions insolites comme un spectacle à la plage des Aigues-Douces et un spectacle dans la nature », annonce Laurence Cabrol qui, depuis son arrivée à la tête de la structure il y a un peu plus de deux ans, a surtout vécu la valse triste des confinements et déconfinements.

Cirque, danse, théâtre, musique vont pouvoir retrouver l’air du large — normal quand on est au bord de la Méditerranée — même au prix du pass sanitaire que les lieux de culture appliquent. Il y a d’ailleurs peu de chances que l’assouplissement envisagé dans certains départements s’applique aux Bouches-du-Rhône.

Cinquante nuances de rire

Au fil des 35 spectacles et des 56 représentations programmées, Le Sémaphore, comme tous ses confrères, s’efforcera de faire songer à autre chose que ce satané Covid. Quitte à aborder des sujets graves, comme le dérèglement climatique, par le biais de l’humour. Pour ça, Borderline(s) Investigation #1, le coup de cœur de la directrice, fait l’affaire. Écrit et mis en scène par Frédéric Ferrer qui était géographe à l’origine, la pièce est une « vraie-fausse conférence sur l’état de la planète, déjantée et argumentée ». Si vous voulez tout savoir sur la vache au Groenland vers l’an 1 000, la mystérieuse disparition des Vikings, l’art de la culture des épinards en apesanteur et l’extinction des caribous sur l’île de Saint-Mathieu, faites en sorte de ne pas être devant votre poste de télévision le soir du 8 octobre. De plus, Le Sémaphore a « envie d’inviter des associations qui pensent le monde de demain autrement ». Autour de ce spectacle sont également prévues, le mercredi 6 octobre, une conférence sur l’impact de l’activité humaine sur notre planète, à la médiathèque, et une projection au cinéma Le Méliès.

 

« Borderline(s) »: une vraie-fausse conférence loufoque sur le dérèglement climatique à découvrir le 8 octobre (Photo Mathilde Delahaye)

 

Le rire salutaire, ça peut aussi servir à dynamiter le vaudeville et le trio classique du théâtre de boulevard (le mari, la femme, l’amant) avec Jacques et Mylène et à bousculer l’encombrant monument Phèdre grâce au comédien Romain Daraules qui joue, là aussi, avec les codes de la conférence. Ses seuls accessoires : une table et un livre.

On pourra même rire de la mort grâce à Cataquiem (contraction de catastrophe et de requiem) de Léa Menahem où cinq clowns se jouent de nos angoisses. « C’est doux, drôle, tendre, ça parle de réconciliation, il ne faut pas avoir peur de la thématique », souligne Laurence Cabrol.

La nouvelle saison explorera d’autres registres graves avec Mongol qui conte l’histoire d’un enfant harcelé à l’école. De l’insulte qui lui est adressé, “Mongol”, il tirera une grande curiosité… pour la Mongolie. Ce spectacle sera accueilli pendant les vacances scolaires. L’enfance malmenée sera aussi au cœur de Fracasse ou la Révolte des enfants des Vermiraux, « un spectacle vraiment émouvant où se mélangent l’histoire du capitaine Fracasse (l’œuvre de Théophile Gautier) et celle des comédiens ». Comme bien d’autres spectacles, Fracasse fera aussi l’objet de séances scolaires, le but étant que chaque enfant de la ville aille au théâtre durant la saison.

Histoire(s) et mémoire(s)

Création d’une jeune femme, Zoé Grossot, issue de l’école de marionnettes de Charleville, En avant toutes met en lumière, par la magie du théâtre de papier, l’histoire de femmes oubliées : des poétesses, des journalistes, la première femme gynécologue… En lien avec ce spectacle (4 mars 2022), un atelier intitulé  « Réhabilitons les femmes oubliées de l’Histoire et affichons leur nom sur les murs de la ville ! » se tiendra le 26 février.

 

« Et le coeur fume encore », grande fresque sur les mémoires de la guerre d’Algérie (Photo Loïc Nys)

 

L’Histoire aussi, avec cette pièce mise en scène par Margaux Eskenazi qui porte le beau titre de Et le cœur fume encore. Ou la mémoire de la guerre d’Algérie incarnée par les divers protagonistes de cette sombre histoire (militants anticolonialistes, travailleurs algériens, harkis, pieds-noirs) et par des jeunes d’aujourd’hui. Malgré le thème, la drôlerie n’est pas absente de ce que Laurence Cabrol décrit comme « une grande fresque qui va du réel à la fiction, de la poésie à l’Histoire, non sans résonance avec la France métissée d’aujourd’hui ». Il sera aussi question de mémoire avec La fille suspendue, inspirée du roman de Maryam Madjidi, Marx et la poupée, un spectacle joué dans la nature avec un dispositif spécial où les spectateurs.trices seront muni.es d’une radio. Tiraillée entre sa culture d’origine iranienne et la culture française, Maryam est comme suspendue entre ses deux vies.

Au printemps prochain, La mémoire de l’eau de la  Compagnie Pernette illustrera « la mer nourricière et inquiétante, comme l’eau, partie intégrante de nos corps ». Ce spectacle très poétique passera de la piscine à la mer. Quand on est au bord de la Méditerranée, c’est quand même mieux.

 La scène, là où le cœur de la musique fume encore

La danse et le jazz, un des points forts de la maison depuis des années, tiendront aussi une belle place dans cette saison du Sémaphore, avec la découverte de Juste Heddy, un solo chorégraphique fruit d’une rencontre entre le chorégraphe Mickaël Phelippeau et un jeune homme des quartiers Nord de Marseille, Heddy Salem : « Ce n’est pas un danseur professionnel mais il a une présence solaire », s’enthousiasme la directrice du lieu.

Danseurs et danseuses en formation, les jeunes artistes de la Compagnie Coline, basée à Istres, interprèteront des extraits de Waterzooï, pièce créée par Maguy Marin. Quant aux souffles musicaux, ils seront portés par le groupe Western — quelque part entre le jazz, l’Orient et l’Afrique, avec le flutiste Jî Drû et la voix de Sandra Nkaké — et par le Yves Rousseau Septet où le contrebassiste et compositeur est accompagné, entre autres, par la saxophoniste Géraldine Laurent. Ces Fragments inspirés par les amours musicaux de jeunesse du compositeur (Pink Floyd, King Crimson, Genesis, Yes) retrouveront la scène, là où le cœur de la musique fume encore. 2021-2002 sera bien la saison des retrouvailles dans un lieu qui, petit à petit, fait peau neuve.

J-F. Arnichand

Programmation complète sur www.theatre-semaphore-portdebouc.com

JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"