Le Premier ministre Édouard Philippe a déclaré, mercredi soir, aux représentants des partis politiques que le second tour des élections municipales se tiendrait en juin ou en janvier 2021. Il a également souligné qu’aucune décision n’était prise à ce stade.


 

Le second tour des élections municipales, qui avait été reporté à cause de la crise sanitaire de Covid-19, aura lieu soit en juin soit en janvier 2021, a affirmé Édouard Philippe, mercredi 20 mai, lors d’une réunion avec les représentants des partis politiques, selon plusieurs participants.

« Le Premier ministre a écarté septembre très clairement, et l’automne aussi, en disant c’est juin ou janvier », a rapporté le président du parti Les Républicains, Christian Jacob, à l’AFP. Selon plusieurs responsables de partis, le chef du gouvernement a expliqué qu’il fallait un mois et demi pour faire campagne et que ce serait compliqué avec la rentrée scolaire, tandis qu’en octobre, ce serait impossible d’interrompre la session des débats sur le budget au Parlement.

 

Le pouvoir est nu

 

Il n’est pas sans intérêt de noter que si l’art du discours se veut persuasif, le plan se révèle très imparfait. On ne peut qu’en déduire que le flou entretenu par le gouvernement sur la date des élections municipales va bientôt se lever mais pas l’embarras pour Édouard Philippe toujours candidat pour la mairie du Havre.

Depuis l’annulation du deuxième tour, le Premier ministre joue la montre en renvoyant vers le rapport du Conseil scientifique. Tout se passe comme si, derrière le rideau, le président temporisait pour optimiser politiquement le processus démocratique tout en intégrant les facteurs économiques, sociaux, sanitaires… Mais cette stratégie du « en même temps », également appliquée à la gestion de la pandémie, se révèle catastrophique en termes de résultats comme en termes d’opinions favorables. Le coup de canif que vient d’essuyer Emmanuel Macron avec la récente scission des députés LREM est à ce titre révélateur.

Dans son avis rendu mardi 19 mai, quelques jours avant la date butoir, le Conseil scientifique, institution sur laquelle s’appuie l’exécutif pour prendre ses décisions depuis le début de la pandémie de Covid-19, est plus que prudent : pas d’avis tranché du type « le second tour peut être organisé sans risque » ou « il est hors de question d’organiser le second tour »… mais des arguments pour et contre la tenue du second tour en juin. L’avis laisse, finalement, le gouvernement seul face à ses choix.

Il est prématuré de juger de l’efficacité de la stratégie de déconfinement, jugent les scientifiques dont « les premières estimations ne seront disponibles que dans quelques semaines ». Même si le gouvernement tranchait pour un second tour en juin, ces données, si elles étaient très négatives, pourraient « justifier une nouvelle interruption du cycle électoral ».

 

Le boulet des municipales

 

L’idée d’un second tour en juin a largement fait son chemin au plus haut niveau de l’État. Elle pourrait en outre profiter d’un relatif consensus de l’ensemble des forces politiques qui pour des raisons diverses souhaitent battre le fer pendant qu’il est encore chaud.

Le rapport que le gouvernement doit remettre d’ici vendredi au Parlement contiendra une orientation de la position de Matignon. Pressé d’en finir avec le « boulet » des municipales, l’exécutif s’orientera probablement vers l’option d’un second tour à la fin juin.

Édouard Philippe a souligné qu’aucune décision n’était prise à ce stade, selon plusieurs participants. Interrogé, l’entourage du Premier ministre a dit à l’AFP travailler sur deux hypothèses, dont celle d’un report des élections mais pas au-delà de janvier 2021. Un projet de loi est en préparation et examiné par le Conseil d’État en cas de report.

Les choses se compliqueraient encore davantage dans la seconde option privilégiée par le gouvernement. Dans le cas où le cycle électoral ne pourrait se conclure en juin, le gouvernement a indiqué hier que les élections auront lieu en janvier. Pourtant, au plus fort de la crise, le Premier ministre avait évoqué un nouveau report du second tour peut-être en octobre, peut-être après. À quoi est donc lié ce nouveau revirement ?

Il ne repose pas sur l’efficace morale du « protégez-vous protégez-nous » qui a fait son temps. Dans la perspective politicienne qui occupe le gouvernement, celui-ci cherche à tout prix à éviter que l’élection se déroule en septembre ou en octobre, moment de la rentrée sociale, mais aussi période où les effets économiques et sociaux de la crise vont se faire cruellement sentir, sans parler des enquêtes parlementaires qui devraient mettre en lumière l’amateurisme dont il a fait preuve.

 

Les hypothèses gouvernementales apparaissent compromises

 

Emmanuel Macron et Édouard Philippe ont été vivement critiqués pour avoir maintenu le premier tour le 15 mars, deux jours seulement avant le début du confinement en France. Ils ont donc tenu cette fois-ci à associer l’ensemble des partis à leur prise de décision. S’il existe une forme de consensus des forces politiques pour la tenue des élections fin juin ce n’est pas du tout le cas pour un report en janvier 2021, à l’exception notable du Modem.

Les élus à qui on demande beaucoup s’y opposeront vraisemblablement. L’Association des maires de France (AMF) plaide pour une tenue des élections dès la mi-septembre. Les maires dans leur totalité souhaitent que ce second tour puisse se tenir dans les meilleurs délais, a affirmé devant une délégation sénatoriale le président de l’AMF, François Baroin (LR), pour qui le scrutin devrait avoir lieu « si possible dans la deuxième quinzaine de septembre, six mois après la tenue du premier tour ».

Les conséquences de la crise sanitaire vont peser sur les finances des collectivités, il y a donc des décisions politiques à prendre. On peut comprendre les difficultés d’organiser le second tour le 21 juin, mais au-delà de septembre ce ne serait pas raisonnable, abonde Christophe Bouillon (PS), président de l’Association des petites villes de France.

France urbaine qui regroupe la plupart des maires des grandes villes aimerait que le processus électoral soit réenclenché « dans les meilleurs délais » pour permettre aux équipes élues de participer activement à la mise en œuvre de la stratégie de déconfinement sur leurs territoires ainsi qu’à la relance économique, écologique et sociale du pays. Or repousser les élections en janvier éloigne l’installation des élus dans les intercommunalités (communautés de communes, communautés d’agglomérations, communautés urbaines et métropoles), et ce faisant, retardera et aggravera la relance de l’économie au service de l’emploi.

Le gouvernement va-t-il prendre le risque de lancer les élections en juin ? Va-t-il décider au contraire de jouer le principe de précaution maximal en reportant le scrutin après l’été ? Dans ce cas de figure, la volonté qu’il a affirmé hier de repousser les élections en janvier 2021 ne prend pas en compte l’avis de la majorité des acteurs politiques toutes tendances confondues. Sans compter que cela nécessiterait de revenir sur l’analyse du Conseil d’État — qui, lui, estime qu’un trop grand écart temporel entre le premier et le second tour fausserait la sincérité du scrutin — qui s’était prononcé dans ce cas  pour l’annulation du premier tour.

Il peut paraître paradoxal de voir notre gouvernement devoir statuer seul sur la légitimité d’une élection alors qu’il perd son crédit de jour en jour. Cette gouvernance qui continue de naviguer à vue aurait sans doute inspiré Théodore Géricault. Le radeau flotte encore mais les récifs se rapprochent.

Jean-Marie Dinh

avec AFP

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.