L’article publié dimanche dans La Dépêche du Midi et Midi Libre sous le titre : « Comment Emmanuel Macron surveille les municipales en coulisse » débute comme un polar. « Dans son bureau présidentiel, Emmanuel Macron s’offre parfois un petit plaisir coupable. Il joue à la carte électorale. Un passe-temps très ancien monde, presque inavouable. Mais de l’avis de l’un de ses partenaires de jeu, le Chef de l’État adore ça », écrit la journaliste Christelle Bertrand.


On comprend que les propos du proche du Président relèvent d’une intention pas innocente. Sous forme de petites confidences anodines comme on les affectionne dans les sphères du pouvoir, on entend faire passer des messages très clairs à l’intention « des joueurs ». Le conseiller rappelle comment de son bureau le président projette une partie de son essence pour exercer des modulations.

« Pas une ville n’échappe à son crible, en grand manitou des investitures, Macron met son nez partout. Il valide ou biffe d’un trait de plume le nom d’un impétrant. »  Ce que le conseiller (anonyme) de l’Élysée souhaite ainsi faire savoir c’est l’exhaustivité et la radicalité de l’évaluation présidentielle.

En usant de pressions de la sorte, on entend faire entrer les brebis égarées dans le rang. Et on anéantit, ce que les citoyens invitent à réinvestir, la notion de courage politique. Cette méthode est connue. Elle vise à générer une hiérarchie divine. Et gare à ceux qui s’écartent du pouvoir originel. Ils et elles subiront le Feu Électrique qui est proprement la puissance d’un Dieu…

À la fin de l’article, quand est évoqué la Région Occitanie, les déclarations du partenaire de jeu du chef de l’État dérapent : « Macron a déjà en tête le coup d’après : les départementales et les régionales. Il pense le calendrier comme un cycle complet« , explique un conseiller qui assure qu’en Occitanie certains candidats très macroncompatibles n’ont pas été investis car trop proches de Carole Delga. La Présidente de la région Occitanie sera la femme à abattre lors des régionales de 2021. (1)

 

Une femme à abattre

On ne sait pas véritablement si l’auteur de cette formule est un agent de l’État ou une personne privé tant il devient difficile aujourd’hui d’opérer cette distinction dans l’entourage qui gravite autour du Chef de L’État. Toujours est-il que la puissance des mots frappe. Si cette déclaration était confirmée, les organisations de défense des droits humains qui se sont déjà fait entendre pour dénoncer les violences policières à l’encontre des manifestants français pourraient également monter au créneau pour condamner la teneur de ces propos irresponsables. Ces termes n’ont pas manqué de faire réagir l’entourage de la présidente. (2)

On pourra toujours objecter que l’expression « Abattre un adversaire politique » est devenue courante. Et pour l’heure, rien ne permet de déterminer si elle a vraiment été prononcée par le proche du président. Le journaliste  Fabrice Valéry (3) a contacté Christelle Bertrand pour s’en assurer. La journaliste lui a confirmé que les propos tenus allaient dans le sens d’une volonté de «dégager» l’actuelle présidente de région. Pour la journaliste, il ne s’agit pas d’une citation dans le sens strict, mais de l’esprit de la discussion. La formulation n’a peut-être pas été exactement celle-là mais l’idée était la même, conclut le journaliste de France 3.

Reste que si cet article est susceptible de générer une polémique montée en épingle, il est aussi le révélateur du climat très violent généré par l’arrivée d’un président sans légitimité politique et sans expérience. Emmanuel Macron met en œuvre un mode de gouvernement qui applique des critères entrepreneuriaux. Il n’a aucun sens de l’histoire et aucune idée de la manière dont on se souviendra de lui quand tout sera terminé. Cela ne rentre pas dans le cadre de ses préoccupations. Cette manière de faire de la politique présente en substance les mêmes danger que l’usage de l’intelligence artificielle pour gérer les problématiques de société.

La méthode Macron peut très bien développer un « Grenelle contre les violences conjugales » après avoir identifié que c’est un thème porteur dans l’opinion et, en même temps, appuyer sa soif de pouvoir absolu sur le machisme ambiant pour se débarrasser d’une adversaire politique; ce qui semble faire surface dans cette affaire car dans « femme à abattre » le mot femme n’est pas sorti de nulle part. Il renvoie à la problématique que connaît la présidente de région, indépendamment de son positionnement politique, sur un territoire imprégné d’une culture très masculine.

Ceux qui ne sont pas avec moi sont contre moi ; cette devise que Macron partage avec le président des États-Unis, entre autres, se traduit très concrètement dans la mise en œuvre d’une méthode radicale. Et celle-ci ne s’applique pas qu’aux élus PS inconstants et versatiles qui ont ou souhaiteraient rejoindre LREM, elle concerne l’ensemble de la classe politique, droite comprise. Elle peut la dépasser aussi pour s’appliquer à la suppression de postes de juges d’instruction comme l’a révélé récemment le Canard enchaîné. À ce propos, les sénateurs ont dénoncé un scandale d’État.(4)

Ce nouveau manquement d’un proche du chef de l’État est révélateur d’un comportement politique qui pourrait porter atteinte à la dignité de la fonction présidentielle. Et si nous sommes encore loin de la procédure de destitution instaurée par la révision constitutionnelle du 23 février 2007, ces pratiques politiques risquent au final par venir à bout du Président des riches. Le roman noir que rédige le locataire de l’Élysée en lettres de sang pourrait bien s’achever, selon la prédilection du maître James Ellroy (5), par : « En France, ils vont virer Macron, mais moi ils vont me garder !« .

 

Jean-Marie Dinh

 


Sources :

(1)  Cet extrait n’apparaît plus sur les sites du groupe La Dépêche du Midi.

(2) Le directeur de cabinet du Conseil régional, Laurent Blondiau, habituellement avare en tweets, s’est exprimé pour prendre la défense de la présidente de région.

Pays en crise, mouvement social à venir… mais l’élysée préfère la cuisine électoraliste et s’en prend à @CaroleDelga présidente de Région qui lutte sans merci contre l’extrême droite. pic.twitter.com/pd2xRgCI2F

— laurent blondiau (@lblondiau1) November 24, 2019

Au Conseil régional, d’autres lui ont embrayé le pas, comme le responsable des réseaux sociaux et membre du PS, François Carbonnel :

Si vous cherchiez une définition du #macronisme, je vous propose celle-ci :
Un président qui construit son #clan avec sectarisme au lieu de lutter contre les inégalités et l’influence de l’extrême-droite. Au passage : chercher à « abattre » @CaroleDelga, présidente de l’#Occitanie. pic.twitter.com/L1f4RQk8OG

— François Carbonnel (@FrancoisCarbo) November 24, 2019

Les réactions à l’expression « femme à abattre » sont nombreuses dans les rangs de la gauche et particulièrement du PS régional.

Nous attendons #EmmanuelMacron et @enmarchefr de pied ferme. En @Occitanie nous sommes dans une terre marquée par le catharisme, frondeuse, résistante et rétive à l’égard de #Paris. Remember Georges Frêche en mars 2010…

Se souvient le Conseiller Régional Hussein Bourgi

Dan les rangs de la majorité nationale, ils sont moins nombreux à avoir réagi. La députée LREM (ex-PS) de Haute-Garonne, Monique Iborra dénonce une polémique inutile.

Quand l’Ancien Monde manipule l’information pour en tirer profit localement loin de l’intérêt général en désignant une victime désignée comme telle par @ladepechedumidi, manœuvre qui cache mal une stratégie minable.

— Monique Iborra (@MoniqueIborra) November 24, 2019

Carole Delga, elle, n’a posté qu’un seul tweet sur son compte officiel.

Une photo des Pyrénées avec ce texte :

Randonnée en #Ariège, terre courage, pour prendre de la hauteur… pic.twitter.com/N9LsivpLed

— Carole Delga (@CaroleDelga) November 24, 2019

(3) Fabrice Valéry journaliste à France 3 le

(4) Le Canard enchaîné 20 novembre 2019

(5) Midi Libre le 24/11/2019


Illustration Sean Phillips extraite de la BD Fondu au noir, Editions Delcourt


 

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.