De Madrid. Par Nicolás Pan-Montojo

L’Espagne lutte, enfermé contre le coronavirus. Le président du gouvernement, Pedro Sánchez, a décrété dimanche dernier l’État d’urgence pour toute l’Espagne, ce qui signifie des restrictions importantes à la libre circulation, la fermeture massive de magasins et la concentration de toutes les compétences régionales et locales au niveau du gouvernement central.

 


En attendant les conséquences de ces mesures drastiques, le coronavirus poursuit son invasion imparable : le nombre de morts s’élève désormais à 767, dont 169 personnes de plus en 24 heures, et les infectés sont passés à 17 147, soit environ 3.500 de plus que la veille. Un total de 1.100 patients sont déjà sorti de l’hôpital.


 

Madrid, épicentre de la pandémie, ressemble à une ville fantôme. Et le reste des villes espagnoles n’offrent pas une image différente. La décision du gouvernement de mettre tout le pays en quarantaine a imposé des conditions très restrictives pour descendre dans la rue. On peut seulement aller au travail – pour ceux qui ne peuvent pas télétravailler – acheter de la nourriture et des produits de première nécessité, aller dans les centres de santé et aider les personnes dépendantes ou vulnérables. Tous les magasins sont fermés, sauf les épiceries, les pharmacies, les kiosques, les bureaux de tabac, les nettoyeurs à sec et les stations-service. L’attaque du virus force chacun de nous à rester chez lui.

La situation s’est retournée en très peu de temps. S’il y a un peu plus d’une semaine (le 8 mars) les rues étaient remplies de féministes luttant pour leurs droits, désormais les villes et les routes ont été reprises par les forces de l’ordre. La police et les gardes civils commencent à effectuer des contrôles dans la rue pour faire respecter la quarantaine.

Même l’armée a commencé à se déployer dans de grandes villes, notamment en Catalogne ou au Pays Basque. L’Unité d’Urgence Militaire (UME), un corps spécial créé par le président Zapatero en 2005 pour des situations catastrophiques en Espagne, est déjà déployée pour éviter les rassemblements dans certains points critiques tels que les gares ou les aéroports.

Éviter la crise économique

Le confinement de la population résultant de l’état d’urgence, décrété pour enrayer l’épidémie de coronavirus, a déjà un impact sur le quotidien de la population, mais aussi des effets pervers sur l’offre et la demande, qui ont chuté. Des milliers de travailleurs, précaires ou pas, voient leur emploi en danger et des secteurs comme le tourisme ou l’industrie automobile annoncent déjà des pertes estimées à plusieurs dizaines de millions d’euros.

Pour réagir avant que la crise ne soit trop lourde, le gouvernement a approuvé mardi un décret-loi d’une durée initiale d’un mois avec lequel il prévoit de mobiliser 200 milliard d’euros (20% du PIB espagnol) et atténuer ainsi la crise économique imminente.

Le gouvernement insiste sur le fait qu’il s’agit d’un effort sans précédent, qui implique de mobiliser 117 milliards de ressources publiques et 83 milliards de ressources privées, repoussant les mesures de relance budgétaire qu’il estime désormais inutiles.

La majeure partie de la contribution publique sera consacrée au maintien de la liquidité des entreprises, qui bénéficieront de garanties publiques allant jusqu’à 100 milliards d’euros pour continuer à accéder au crédit bancaire, même si leur activité est paralysée pendant la durée de la crise sanitaire. L’objectif est de maintenir le tissu productif et que l’emploi soit préservé pendant le ralentissement de l’activité, afin que l’économie ne passe que par une brève période de récession, suivie d’une phase de reprise. La plus grande crainte c’est la stagnation après la crise.

« Nous empruntons un chemin plein d’ombres », a expliqué Sánchez mardi dans un discours public. « Ce sont des temps extraordinaires qui nécessitent des mesures extraordinaires. Il s’agit probablement du plus grand effort approuvé en démocratie pour donner un bouclier social au pays ».

Le décret approuvé comprend aussi un moratoire sur le paiement des hypothèques sur la résidence principale pour les personnes en situation de vulnérabilité économique et pour ceux touchés par le Covid-19. Il sera aussi interdit durant les prochains mois de couper les services basiques (eau, électricité, gaz) suite à des factures impayées. Les mesures sont destinées surtout, selon des sources gouvernementales, aux travailleurs qui perdent leur emploi en raison de la crise provoquée par le coronavirus et aux travailleurs indépendants qui subissent une baisse drastique de leurs revenus en raison de la crise.

Ce décret est en tout cas une première étape. Ce sont des mesures d’urgence pour atténuer la destruction des entreprises et aider les groupes les plus touchés par le coronavirus. Mais le ministère de l’Économie prépare également une deuxième intervention avec des mesures keynésiennes, qui sera activée lorsque la propagation du virus sera mieux maîtrisée. L’objectif : relancer l’économie après l’avalanche de licenciements et l’effondrement du PIB qui est attendu pour le deuxième trimestre de l’année.

Aplatir la courbe

La partie la plus importante de la lutte contre le coronavirus, comme l’ont répété à maintes reprises les experts et les autorités, est d’aplatir la courbe de contagion. En d’autres termes, ralentir suffisamment le taux d’infections afin que les services de santé ne s’effondrent pas et que nous puissions gagner du temps jusqu’à ce que la science trouve des palliatifs et même un vaccin contre la maladie.

Le coronavirus connaît une croissance exponentielle en Espagne. Les cas sont passés de deux à 100 en une semaine, de 100 à 1.000 la suivante et de 1.000 à 4.000 les quatre jours d’après. En général, les cas ont augmenté à un rythme similaire à celui de l’Italie et de la Corée du Sud, mais la tendance du week-end est maintenant légèrement au-dessus d’eux, un mauvais présage.

Ces deux pays représentent une sorte de vision de l’avenir de la crise du coronavirus, car ils n’ont que 10 jours d’avance et proposent deux alternatives. Alors que les infections en Italie continuent de s’accélérer, dans le pays asiatique, elles ralentissent. En tout cas, même en quelques jours, voire quelques semaines, les autorités sanitaires indiquent qu’on ne pourra pas commencer à voir les effets de la quarantaine générale sur la courbe de contagion.

Pour l’instant, le Ministère de la Santé a déjà centralisé toute la gestion des hôpitaux, publiques et privées – une nationalisation de fait des services privés – et a annoncé l’embauche massive de médecins résidents. Jusqu’à présent, plus de 30.000 tests ont été effectués dans toute l’Espagne, bien que la Catalogne et Madrid aient cessé de tester des cas mineurs.

Bien que l’état d‘urgence ait été décrété pour un total de 15 jours, il est très probable, compte tenu de l’expérience chinoise, qu’il devrait être prolongé. Jusque-là, les Espagnols seront retranchés à la maison dans une situation inédite. Espérons que ce qui va suivre, sous la forme d’une crise économique, ne sera pas pire.

Nicolás Pan-Montojo

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(Madrid, 1994). Journaliste et politologue, spécialisé dans la politique internationale et l'environnement. Je m'intéresse à pratiquement tout, de la musique et du cinéma aux droits de l'homme et à l'économie, mais surtout je crois au journalisme engagé, qui dénonce les inégalités et essaie de trouver les clés aux problèmes actuels.