Dix-huit organisations (syndicats, organisations de jeunesse, associations écologistes et humanitaires, fondations) signent une tribune commune où elles se prononcent en faveur  « de profonds changements de politiques, pour répondre aux besoins immédiats et se donner l’opportunité historique d’une remise à plat du système, en France et dans le monde ».


 

Des mesures immédiates pour lutter contre le coronavirus mais aussi de véritables ambitions pour aborder « le jour d’après » et ne pas renouveler les erreurs qui ont suivi la crise économique de 2008, c’est en substance ce que demandent les organisations signataires. « Il s’agit de pallier en urgence la baisse continue, depuis de trop nombreuses années, des moyens alloués à tous les établissements de santé, dont les hôpitaux publics et les EHPAD. De disposer du matériel, des lits et des personnels qui manquent : réouverture de lits, revalorisation des salaires et embauche massive, mise à disposition de tenues de protection efficaces et de tests, achat du matériel nécessaire, réquisition des établissements médicaux privés et des entreprises qui peuvent produire les biens essentiels à la santé, annulation des dettes des hôpitaux pour restaurer leurs marges de manœuvre budgétaires », revendiquent les dix-huit organisations. Comme certaines centrales syndicales (CGT et Solidaires notamment, signataires de ce texte unitaire) le demandent depuis plusieurs jours, elles considèrent que « le monde du travail doit être mobilisé uniquement pour la production de biens et de services répondant aux besoins essentiels de la population ».

 

Des mesures au nom de la justice sociale

Elles réclament l’interdiction de tous les licenciements dans cette période et rappellent que si « les politiques néolibérales ont affaibli considérablement les droits sociaux », le gouvernement « ne doit pas profiter de cette crise pour aller encore plus loin, ainsi que le fait craindre le texte de loi d’urgence sanitaire ». Rappelons que cet état d’urgence sanitaire serait en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020 et prévoit des semaines de travail pouvant aller jusqu’à 60 heures !

Les dix-huit responsables d’organisations se prononcent pour « des mesures supplémentaires au nom de la justice sociale :  réquisition des logements vacants pour les sans-abri et les très mal logés, y compris les demandeurs-euses d’asile en attente de réponse, rétablissement intégral des aides au logement, moratoire sur les factures impayées d’énergie, d’eau, de téléphone et d’internet pour les plus démunis ». Quant aux moyens dégagés pour les entreprises dont Emmanuel Macron s’est montré très soucieux lors de son allocution du 16 mars, ils doivent « être dirigés en priorité vers les entreprises réellement en difficulté et notamment les indépendants, autoentrepreneurs, TPE et PME dont les trésoreries sont les plus faibles ». D’où une exigence qui va de pair :  « Le versement des dividendes et le rachat d’actions dans les entreprises qui ont atteint des niveaux record récemment, doivent être immédiatement suspendus et encadrés à moyen terme ».

« Trop peu de leçons ont été tirées de la crise économique de 2008 », estiment les signataires et « des mesures fortes peuvent permettre, avant qu’il ne soit trop tard, de désarmer les marchés financiers : contrôle des capitaux et interdiction des opérations les plus spéculatives, taxe sur les transactions financières ». Le contrôle social des banques, « un encadrement beaucoup plus strict de leurs pratiques ou encore une séparation de leurs activités de dépôt et d’affaires apparaissent comme nécessaires ».

 

Des aides de la Banque centrale européenne conditionnées à la reconversion sociale et écologique

« La BCE et les banques publiques doivent prêter directement et dès à présent aux États et aux collectivités locales pour financer leurs déficits, en appliquant les taux d’intérêt actuels proches de zéro, ce qui limitera la spéculation sur les dettes publiques », soulignent les signataires qui plaident également pour « une réelle remise à plat des règles fiscales internationales afin de lutter efficacement contre l’évasion fiscale » et davantage de mise à contribution des plus aisés, « via une fiscalité du patrimoine et des revenus ambitieuse et progressive ». 

Les aides de la BCE et celles versées aux entreprises, doivent, selon les dix-huit organisations, « être conditionnées à leur reconversion sociale et écologique : maintien de l’emploi, réduction des écarts de salaire, mise en place d’un plan contraignant de respect des accords de Paris ». Le texte place la barre haut, en tout cas bien au-dessus des dogmes du libéralisme économique ambiant, dans la mesure où il préconise de « soutenir les investissements et la création massive d’emplois dans la transition écologique et énergétique, de désinvestir des activités les plus polluantes et climaticides, d’opérer un vaste partage des richesses et de mener des politiques bien plus ambitieuses de formation et de reconversion professionnelles pour éviter que les travailleurs-euses et les populations précaires n’en fassent les frais ».

 

Relocalisation de la production

Les organisations considèrent que « la crise du coronavirus » révèle notre vulnérabilité face à des chaines de production mondialisées et un commerce international en flux tendu qui nous empêchent de disposer en cas de choc de biens de première nécessité : masques, médicaments indispensables, etc. D’où la demande de relocalisation  qui « n’est pas synonyme de repli sur soi et d’un nationalisme égoïste » et le plaidoyer pour une « régulation internationale refondée sur la coopération et la réponse à la crise écologique dans le cadre d’instances multilatérales et démocratiques, en rupture avec la mondialisation néolibérale et les tentatives hégémoniques des États les plus puissants ».

Pour les signataires, « la « crise du coronavirus » dévoile à quel point la solidarité internationale et la coopération sont en panne, les pays européens ayant été « incapables de conduire une stratégie commune face à la pandémie ». Dans l’U.E., la solidarité en actes pourrait, au contraire, se manifester par « un budget européen bien plus conséquent que celui annoncé, pour aider les régions les plus touchées sur son territoire comme ailleurs dans le monde, dans les pays dont les systèmes de santé sont les plus vulnérables, notamment en Afrique ». 

 

« Nous nous donnons rendez-vous »

« Tout en respectant le plus strictement possible les mesures de confinement, précisent les syndicats, organisations de jeunesse et associations signataires, les mobilisations citoyennes doivent dès à présent déployer des solidarités locales avec les plus touché-e-s, empêcher la tentation de ce gouvernement d’imposer des mesures de régression sociale et pousser les pouvoirs publics à une réponse démocratique, sociale et écologique à la crise ». 

Loin du symptôme de l’hébétude, les signataires pensent déjà à la suite : « Lorsque la fin de la pandémie le permettra, nous nous donnons rendez-vous pour réinvestir les lieux publics et construire notre « jour d’après ». Nous en appelons à toutes les forces progressistes et humanistes, et plus largement à toute la société, pour reconstruire ensemble un futur, écologique, féministe et social, en rupture avec les politiques menées jusque là et le désordre néolibéral ».

Morgan G.

 


Les signataires : Khaled Gaïji, président des Amis de la Terre France, Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac France, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération Paysanne, Benoît Teste, secrétaire général de la FSU, Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France, Eric Beynel, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, Clémence Dubois, responsable France de 350.org, Pauline Boyer, porte-parole d’Action Non-Violente-Cop 21, Léa Vavasseur, porte-parole d’Alternatiba, Sylvie Bukhari de Pontual, présidente de CCFD-Terre solidaire, Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de Droit au Logement, Lisa Badet, porte-parole de la FIDL (syndicat lycéen), Jeanette Habel, co-présidente de la Fondation Copernic, Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature, Mélanie Luce, présidente de l’UNEF, Héloïse Moreau, présidente de l’Union nationale lycéenne.


 

JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"