Roger Martelli, historien, auteur de nombreux ouvrages sur le PCF

 

 


Retour sur le centenaire du PCF, né en décembre 1920 au congrès de Tours, avec l’historien Roger Martelli, auteur de nombreux ouvrages sur cette formation politique. Loin des visions simplistes d’une histoire complexe, l’auteur livre une analyse à la fois nuancée et critique sur ce parti qui a marqué la société française.


 

 

 

 

On a annoncé à de nombreuses reprises la disparition inéluctable du PCF, notamment après la chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS. Or, 100 ans après sa création, même affaibli, le PCF existe toujours et possède encore deux groupes parlementaires. Comment expliquer une telle longévité, malgré plusieurs crises internes ?

Si le PCF n’avait été qu’une greffe extérieure à la réalité française, peut-être aurait-il entièrement disparu. Mais ce n’a pas été le cas : le choix de Moscou, à la fin de 19201, s’inscrivait dans une longue tradition plébéienne et révolutionnaire dont l’existence remonte au moins à la Révolution française. Cette tradition était là avant la naissance du PCF et elle n’avait pas de raison de disparaître après l’effondrement du soviétisme. Pendant quelques décennies, le PCF a été l’expression politique principale de ce courant sociopolitique original. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, mais des militants en nombre non négligeable ont décidé qu’il voulaient maintenir l’organisation née il y a un siècle. Cela suffit pour exister ; mais cela ne garantit pas la place occupée par la structure maintenue.

 

Vous écriviez dans votre ouvrage « L’empreinte communiste »2 que « pendant 30 ans, le PCF a recueilli entre 20 et 28 % des suffrages législatifs » et que « près d’un Français sur cinq a été administré par une équipe municipale menée par un communiste ». Que reste-t-il de cet héritage ?

Il reste une expérience, une mémoire, une certaine façon de faire de la politique. Et il reste un patrimoine militant, moins large que par le passé, mais que beaucoup envient encore avec juste raison. On aurait tort de considérer ce fait avec dédain.

 

Peut-on considérer le « communisme municipal » comme la meilleure réussite du PCF, son apport le plus positif à la société française ? Si oui, comment analyser le déclin que l’on constate aussi sur ce terrain local ?

Je ne dirais pas « la meilleure réussite », mais sans doute la plus durable. Le PCF a profondément marqué la réalité sociale française dans sa totalité. Il a été une manière originale de politiser les classes populaires, de raccorder la lutte sociale et les constructions politiques, de combiner le pragmatisme de l’action et le sens de la rupture radicale avec le système dominant. L’influence du PCF a été bien au-delà de sa sphère d’influence territoriale la plus grande. L’État-providence à la française n’aurait pas été ce qu’il a été sans l’apport communiste. Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si le déclin du PCF et celui de l’État régulateur ont coïncidé.

 

Même dans les villes gérées par le PCF où il a longtemps joué un rôle de politisation populaire, on note une forte progression de l’abstention aux élections municipales et à d’autres scrutins. Quelles en sont les raisons selon vous ?

Le vote municipal n’a jamais été indépendant des rapports de force nationaux. À la limite, il ne faut pas se contenter de voir les territoires du communisme municipal comme des espaces exclusivement communistes. Il s’agit de territoires très populaires et très marqués par une tradition de gauche lointaine et très affirmée. Pendant une longue période, le PC est parvenu à donner du sens à l’action politique dans les milieux populaires. Il a démontré concrètement que l’engagement politique et le vote pouvaient être utiles. Avec la crise sociale et les renoncements de la gauche au pouvoir, après 1982, cette utilité n’a plus été aussi évidente. De ce fait la colère ne s’est plus adossée à l’espérance sociale des « lendemains qui chantent ». Elle a tourné à la désillusion voire au ressentiment. Du coup, les catégories populaires se sont mises à s’abstenir massivement ou même, hélas, à se tourner vers l’extrême droite. Le PCF affaibli n’a plus été capable de contrecarrer ce mouvement.

 

Le recul du PCF est-il lié à la difficulté à analyser les évolutions du salariat comme la progression du secteur tertiaire ou la féminisation ?  La disparition ou le déclin de certains secteurs industriels (mines, métallurgie…) l’a t-il laissé « orphelin » ?

Évidemment, l’évolution des soubassements matériels a eu un rôle important. Le PCF s’est déployé en même temps que l’activité industrielle et le monde ouvrier était en phase de croissance. Or la part de l’industrie a baissé, le nombre des ouvriers s’est tassé et l’unification tendancielle du monde ouvrier a laissé la place à une dispersion croissante. Pourtant, j’estime qu’il n’y avait pas plus de fatalité au déclin du PC qu’il n’y en a eu à son expansion. L’industrie et le monde ouvrier ont pu être forts ailleurs, alors que le communisme est resté à la marge. Si le PC a été puissant en France, c’est parce qu’il a su être utile socialement, politiquement et symboliquement aux ouvriers et aux catégories populaires. Mais l’utilité n’est jamais donnée a priori et elle n’est pas éternelle. Pour être utile, il faut certes s’ancrer dans une histoire, mais il faut savoir la transformer, voire la refonder profondément. Et il faut le faire en temps voulu… Si ce n’est pas fait, on décline.

 

La difficulté à saisir certaines questions sociales ou sociétales (la condition des femmes, le sort réservé aux travailleurs immigrés, les aspirations libertaires d’une partie de la jeunesse, les questions environnementales) est-elle une des explications du recul de ce parti ?

Disons que, de façon globale, le PCF ne s’est pas rendu compte assez tôt et avec assez de force que la société d’après 1945 était entrée dans une phase de bouleversements gigantesques. Il a trop longtemps pensé que, en continuant à faire ce qu’il savait faire, il maintiendrait son influence. Or, à partir d’un moment, pour maintenir une influence il ne suffit pas d’en faire plus : il faut faire autrement. Je dirais même : il faut être autrement. Or, trop souvent, le PCF a vu dans l’émergence de problématiques nouvelles et de forces nouvelles (extrême gauche, féminisme, autogestion, écologie politique…) des concurrents et non des opportunités nouvelles de luttes et de rassemblement. Il l’a payé très cher. Mais les catégories populaires et la gauche en ont aussi payé le prix.

 

Le recul du PCF est-il aussi le signe d’une mémoire qui n’aurait pas été transmise, plombée par l’échec cinglant des pays de l’Est ?

Je ne crois pas que la mémoire relève d’un seul problème de transmission. Une mémoire fonctionne si elle rencontre une expérience à laquelle elle contribue à donner du sens. La mémoire se travaille, elle se renouvelle, elle doit être à la fois continuité et rupture : faute de quoi, elle s’étiole et devient de la nostalgie.

Cela dit, il est évident que l’effondrement du soviétisme a été un rude coup mais rien n’obligeait le PCF à considéré pendant si longtemps que son destin était à ce point lié à une expérience, qui contenait certes un noyau d’universalité, mais qui était si marqué par les conditions particulières de sa naissance. Quand on affirme pendant très longtemps que le soviétisme est le « socialisme réel », on court le risque de laisser croire que sa disparition légitime l’abandon de l’idéal lui-même. Le soviétisme a été « un » communisme du XXe siècle ; il n’était pas « le » communisme.

 

L’aspiration écologiste, très sensible dans la jeunesse, peut-elle au 21e siècle jouer le rôle qu’a joué le communisme au 20e siècle, représenter un universalisme, à la fois une espérance et une incitation à l’action immédiate ?

Il est évident que l’aspiration écologiste est un moteur majeur de la mobilisation contemporaine, et d’abord chez les jeunes. Peut-elle « jouer le rôle qu’a joué le communisme » ? L’historien n’a pas grand-chose à dire sur ce point. Ce que je sais simplement c’est que la force du communisme en France n’a pas tenu à ce qu’il était l’expression d’une question unique, qui pouvait être la question ouvrière ou la question salariale.

Le maître-mot se pense à l’échelle de la société tout entière. S’il fallait en formuler un, je choisirais celui de l’émancipation, à la fois individuelle et sociale.

Le communisme ouvrait vers des questions de société. Il obligeait à poser dans leur imbrication des questions à la fois économiques, sociales, institutionnelles et culturelles. Il faut retrouver ce sens d’une dynamique globale qui ne se focalise pas sur un thème unique, que ce soit le social, l’écologique ou l’intersectionnel3. Le maître-mot se pense à l’échelle de la société tout entière. S’il fallait en formuler un, je choisirais celui de l’émancipation, à la fois individuelle et sociale. Si là est le cap que l’on peut se fixer, il oblige à dépasser tout ce qui le limite et empêche les individus de se réaliser : le capitalisme, le productivisme, l’étatisme, le scientisme, le machisme, le racisme… Autour de cet objectif, chacun peut trouver sa place, sans qu’une tradition ou un courant ait à occuper une place dominante. 4

                                                                                Propos recueillis par Morgan G.

 


 

Notes:

  1. Au congrès des socialistes français, en décembre 1920, les congressistes font majoritairement le choix de l’adhésion à la IIIe Internationale et créent la Section française de l’Internationale communiste (SFIC) qui deviendra le PCF. La minorité restera à la SFIO (Section française de l’internationale ouvrière, socialiste)
  2. « L’empreinte communiste. PCF et société française, Éditions sociales, 2010
  3. Qui désigne la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de stratification, domination ou de discrimination dans une société.
  4. Les derniers ouvrages de Roger Martelli, également co-directeur de la revue « Regards » : « Le PCF, une énigme française », (La Dispute, 2020), « 1917-2017: que reste-t-il de l’Octobre russe ? » (Editions du Croquant, 2017), « L’identité c’est la guerre » (Les Liens qui libèrent, 2016),
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"