Débat Parlementaire

Loi sécurité globale


La discussion sur la proposition de loi de « sécurité globale » est le dossier majeur du moment à l’Assemblée nationale où le « vote solennel » aura lieu le mardi 24 novembre. Elle est aussi révélatrice d’un air du temps particulièrement nauséabond.


 

Savez-vous quelle est la différence entre une proposition de loi et un projet de loi ? La première est portée par des députés, le second par le gouvernement. Rassurez vous, ce n’est pas un cours d’éducation civique et morale.  On peut toujours se poser la question : qu’est-ce que cela change lorsque les uns et les autres sont de la même couleur politique ? À vrai dire, pas grand chose mais comme le diable, paraît-il, se cache dans les détails,  une proposition de loi défendue par une députée et un député LREM (même si elle aurait pu être écrite par le ministre de l’Intérieur), ça permet de ne pas passer devant le Conseil d’État. C’est déjà ça de pris et du temps de gagné pour un gouvernement qui adore les procédures accélérées.

Pourtant, tout ceci paraît moins grave que la teneur des débats qui se tiennent depuis mardi à l’Assemblée et la véritable surenchère ultra-sécuritaire à laquelle se livrent les groupes LR et LREM et le RN, représentée par Emmanuelle Ménard, épouse du tristement « célèbre » maire de Béziers. Là où la proposition de loi des députés LREM, Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot, se prononce pour une « expérimentation » sur l’armement des polices municipales (à condition que celles-ci soient dotées de 20 agents minimum), sous réserve d’approbation par les maires, Éric Diard, député LR des Bouches-du-Rhône, précise qu’il aurait « souhaité que l’expérimentation soit plus large ». «Je ne peux que souscrire », approuve aussitôt l’élue héraultaise d’extrême droite.

On sait par expérience que les « expérimentations »  se transforment généralement en dispositions pérennes et la confusion des genres entre Police nationale, polices municipales… et sociétés de sécurité privées — dont se défendent députés LREM et gouvernement — est bien ce qui inquiète sur certains bancs de l’Assemblée nationale. « Nous ne sommes pas des perdreaux de l’année », relève Sébastien Jumel, député PCF de Seine-Maritime, pour lequel « le droit à la sécurité est fondamental » et constitue « une fonction régalienne de l’État ».

« C’est la raison pour laquelle je suis opposé à des expérimentations, l’expérimentation risque, si on n’ y prend pas garde, de faire passer de la République en marche à la République en miettes. »

Son homologue de Seine-Saint-Denis, Stéphane Peu, craint « qu’on aille vers une police des riches et une police des pauvres en fonction des moyens des municipalités »

Le député France insoumise, Ugo Bernalicis, lui-même ancien fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, a plaidé plusieurs fois lors de la séance du jeudi 19 novembre (consacrée à l’examen de plusieurs articles de cette proposition de loi « macronienne ») pour « une police nationale, républicaine, de proximité avec des effectifs dédiés à une commune » et un « contrôle démocratique des citoyens par les CLSPD [conseils locaux de surveillance et de prévention de la délinquance, Ndlr] ». Son insistance lui a même valu cette brillante réplique d’un fervent défenseur de cette proposition de loi : « c‘est un sketch, on n’est pas au « Jamel Comedy Club » ». L’impétrant a choisi la tactique du pas de côté : « c‘est pas sympa pour le « Jamel Comedy Club », ils sont plus talentueux que moi, je suis en train de faire des propositions politiques mais personne ne répond sur le fond ». On peut juger cela purement anecdotique mais la veille, le même groupe « La France insoumise » avait eu droit  à une sentence plus « hard » qui traduit bien le climat politique actuel : « ce qui est hautement méprisable, c’est votre présence dans cet hémicycle, vous êtes les propagateurs de la haine anti-flics ». Tout en nuances.

Décidément, le débat démocratique progresse au Palais Bourbon.

Ce même Ugo Bernalicis, député du Nord, avait déjà osé modérer certaines propositions faites notamment par Les Républicains à propos de l’armement des polices municipales : « Non, la solution évidente n’est pas que plus de gens aient plus d’armes », rappelant au passage que « les premières victimes sont les policiers eux-mêmes qui ont un des taux de suicides les plus élevés ».

Le « continuum de sécurité » (Police nationale, polices municipales et sociétés privées) prôné par les promoteurs de la future loi ne suscite pas un enthousiasme débordant chez tous les députés. Témoin cette remarque de  l’élu PS de l’Ardèche, Hervé Saulignac : « à terme, ce sera moins de Police nationale, c’est un glissement progressif, pour l’instant indolore »

 

Promis, juré, on pourra continuer à filmer

 

C’est évidemment ce qui aura retenu le plus l’attention au fil de cette semaine : le déjà fameux article 24. Faut-il parler d’un rétropédalage du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, omniprésent lors de la séance du vendredi 20 novembre ? Apparaissant très adouci par rapport à la première journée des débats, le ministre l’a promis, juré : « est-ce que les journalistes, qu’ils aient ou non une carte de presse, pourront filmer des policiers ou des gendarmes ? La réponse est oui, ça l’a toujours été et ça le sera demain ». Même chose pour d’autres citoyens. Preuve de l’immense bonne volonté qui anime le gouvernement, il a accepté d’amender l’article 24..tout en refusant les amendements de suppression de cet article défendus par les groupes PS et apparentés, communiste et France insoumise. Heureusement, il lui reste le soutien de Marine Le Pen  qui considère que « évidemment, c’est un article qui va dans le bon sens ».

S’il s’agit de « protéger les policiers » comme le proclament tous les défenseurs de cette proposition de loi, l’arsenal législatif existe déjà. C’est le message qu’ont notamment fait passer Marietta Karamanli (PS) et Stéphane Peu (PCF). Pour ce dernier, cette proposition de loi « est utile pour brider la presse mais inutile pour protéger les policiers ». Seule serait punie l’intention de nuire à l’intégrité « psychique ou physique » des policiers ou gendarmes.  Outre le fait que l’on s’est peu soucié de l’intégrité psychique ou physique  des gilets jaunes ou autres manifestants qui ont perdu un œil ou une main,  on peut s’interroger : comment définir cette volonté de nuire ? « On ne punit pas une personne pour ce qu’elle pense mais pour ce qu’elle fait, notre tradition pénale ne connaît pas le délit d’intention », souligne Laurence Vichnievsky, du groupe Modem qui pointe « un risque d’inconstitutionnalité« 

Et pour ce qui est des intentions affichées vendredi par Gérald Darmanin qui a proclamé que « tout (son) parcours est celui d’un républicain », on peut aussi les confronter aux agissements de la police lors de la manifestation du mardi 17 novembre, à Paris… et ailleurs. Avec deux gardes à vue, celles du journaliste de France 3 Paris Île-de-France Tangi Kermarrec et de la jeune journaliste-photographe de Taranis News, Hannah Nelson, nul besoin d’une nouvelle loi.

 

Le schéma actuel de maintien de l’ordre sur lequel altermidi avait alerté, comme d’autres, suffit.

Passez votre chemin, il n’ y a plus rien à filmer. Dernière sommation.

                                                                                                                 Morgan G.

JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"