En ce qu’elle dit de notre époque, la tribune des militaires à laquelle Florence Parly, ministre des Armées, a bien tardé à répondre n’est pas à prendre à la légère.


 

« Nous sommes en guerre » proclamait le président de la République, le ton grave et solennel (ou se voulant tel) lors de l’annonce du premier confinement en mars 2020. Si « guerre » il y a, force est de constater, un an après, que ce n’est pas le virus qui a été terrassé (on a passé la barre des 100 000 morts) mais bien les libertés publiques qui ont fait les frais de cette funeste situation.  De « conseil de défense » toutes les semaines pour décider de la stratégie en « couvre-feu » (une terminologie qu’on n’entendait plus depuis la guerre d’Algérie), on aura peut-être manqué de masques et de vaccins pendant toute une période mais pas de métaphores guerrières.

François Ruffin dit de cette phase ouverte au printemps dernier que « l’occasion a fait le larron » ?1 Comment lui donner tort ? D’état d’urgence en état d’urgence, on finit par s’y habituer et cela devient un mode de gouvernement banal, ordinaire, qui risque fort de perdurer une fois que cette foutue pandémie sera sous contrôle. Surtout si les zoonoses (ces maladies qui se transmettent d’animaux aux humains) se multiplient, comme l’annoncent bon nombre d’analyses.

Bien des voix se sont élevées depuis plus d’un an pour relever les incohérences du pouvoir en matière de gestion sanitaire. Inutile d’en rajouter. Certains peuvent toujours affirmer que d’autres gouvernants n’auraient pas fait mieux, que la situation est inédite… etc. On n’en jugera pas ici car on n’a pas vraiment le goût de la politique-fiction. Ce qui est tangible en revanche, c’est que les citoyennes et citoyens, leur sens de la responsabilité (ou leur obéissance, selon les points de vue) servent de variables d’ajustement. Et s’il est un terrain où le pouvoir a fait preuve d’un volontarisme sans faille, c’est bien sur celui de la restriction des droits, de loi « sécurité globale » adoptée « définitivement » le 15 avril en loi « confortant les principes républicains ». Concernant cette dernière loi, le gouvernement a renoncé à l’intitulé initial de « séparatisme », mais la droite sénatoriale ne s’y est pas trompée en creusant ce sillon. Le débat politique français est devenu mortifère, tout occupé à des polémiques de caniveau : un jour les « rayons communautaires » dans les supermarchés (certainement ceux où l’on vend des spaghettis ou des crêpes bretonnes) , un jour le procès des maires écologistes et des repas sans viande, un autre celui de l’Unef, un autre encore le voyage de Jean-Luc Mélenchon en Bolivie, les altermondialistes, les « décroissants »2 (ceux qui n’aiment pas les croissants ?)…

Au grand jeu du confusionnisme langagier, où tout militant antiraciste se voit taxé d’ « islamo-gauchisme », où tout individu qui ne confond pas la 5 G avec le paradis terrestre est qualifié d’ « Amish », où tout croyant qui ne croit pas au « bon » dieu est à priori suspect de tentation terroriste, il n’est pas sûr que les apprentis sorciers de la macronie sortent vainqueurs. De ceux qui n’ont pas attendu la pandémie pour infantiliser les citoyens, on pourrait dire :  « Ne jouez pas avec les allumettes. » Mais ces grands stratèges, tellement convaincus de leur supériorité intellectuelle, n’en ont cure.

 

L’espace de la démocratie se rétrécit

Si l’on accepte de définir la démocratie comme un processus jamais achevé où les droits ne s’usent que quand on ne s’en sert pas, un constat s’impose : l’espace de la démocratie n’a cessé de se rétrécir ces dernières années. Et à jouer avec les métaphores guerrières, voilà Emmanuel Macron pris à son propre piège.

« Un quarteron de généraux à la retraite », disait dans une formule restée célèbre un certain Charles de Gaulle, en 1961, pour désigner des militaires putschistes. Sauf que le quarteron est ici formé par « une vingtaine de généraux, une centaine de hauts gradés et plus d’un millier d’autres militaires », selon l’hebdomadaire d’extrême droite (très en cour sur les plateaux télévisés) Valeurs actuelles qui s’est empressé de publier une tribune où ces derniers appellent en termes à peine voilés à un véritable coup d’État. « Des militaires à la retraite qui n’ont plus aucune fonction dans nos armées », a réagi, mais sans trop se presser, la ministre Florence Parly qui se veut rassurante. Il a fallu attendre plusieurs jours pour qu’une telle réaction officielle se manifeste.

Pourtant, les mots sont graves, évoquant un « délitement » qui, « à travers un certain antiracisme s’affiche dans un seul but : créer sur notre propre sol un mal-être, voire une haine entre les communautés »3. Le mal-être n’a pourtant pas attendu l’action des « antiracistes » pour s’installer. Il a pour nom avenir bouché, incertitude des lendemains, misère, précarité, détresse des jeunes qui devraient pourtant vivre leurs plus belles années, et non pas affrontements « inter-religieux » ou « inter-ethniques » que, seuls, prônent des fanatiques de tout poil. « Si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active4 dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national », osent écrire ces « penseurs » en treillis.

 

Cinquante nuances de vert-de-gris

Dans le même hebdomadaire, Marine Le Pen, ravie de l’aubaine, a aussitôt invité les signataires à la rejoindre « pour prendre part à la bataille qui s’ouvre (…) qui est avant tout la bataille de la France ». Cela ne devrait pas leur demander beaucoup d’efforts vu que plusieurs d’entre eux sont tout sauf vierges en politique… et qu’ils se sont présentés à diverses élections sous différentes bannières d’extrême droite. Emmanuel de Richoufftz était sur une liste du mouvement de Nicolas Dupont-Aignan Debout la France lors des élections municipales 2020 au Grau-du-Roi (Gard) et le général François Gaubert à été élu au Conseil régional d’Occitanie en 2015, sur la liste de Louis Aliot5. Obsédés de « l’islamisation », adeptes de la thèse du Grand remplacement6, conspirationnistes : le panel des signataires dessine cinquante nuances de vert-de-gris.

La patrie, mieux, la « civilisation » en danger a donc trouvé ses sauveurs… bien ingrats vis-à-vis d’un président qui n’a cessé de donner des gages d’autoritarisme, de « fermeté » en direction de manifestants forcément illégitimes à ses yeux. L’État, c’est lui. Emmanuel Macron, il y a quelques jours encore dans les colonnes du Figaro, déclarait assumer une politique dure à l’égard des exilés, pour soi-disant mieux traiter les étrangers en situation régulière. Et c’est comme cela qu’on le récompense pour quatre ans mis au service de l’ordre établi ?

« 60 ans après le début du putsch d’Alger, vingt généraux menacent explicitement la République d’un coup d’État militaire », a réagi Benoît Hamon tandis que Jean-Luc Mélenchon interpellait sur twitter : « Alors , le garde des Sceaux ? La ministre des Armées, le Président chef des armées ? La loi vous intéresse ou les factieux sont vos amis ? ». La loi en question est l’article 413-3 du code pénal qui prévoit de punir le fait de provoquer la désobéissance des militaires.

« On a beau me dire qu’en France, on peut dormir à l’abri, les Pinochet en puissance travaillent aussi du képi », chantait Jean Ferrat7. C’était… en 1975.

J-F Arnichand

Notes:

  1. Fakir, n°97, février-avril 2021
  2. La décroissance est un concept économique, politique et social, qui remet en cause l’idée selon laquelle l’augmentation des richesses conduit au bien-être social. Cette théorie vise donc à réduire la production de biens et de services dans l’objectif de préserver l’environnement.
  3. Le Monde, dimanche 25 avril 2021
  4. Partie de l’armée qui, en temps de paix, est maintenue en état de combattre immédiatement.
  5. Libération, mardi 27 avril 2021
  6. Le grand remplacement est une théorie complotiste d’extrême droite, raciste et xénophobe selon laquelle il existe un processus, délibéré, de substitution de la population française et européenne par une population non européenne, originaire en premier lieu d’Afrique noire et du Maghreb.
  7. Auteur-compositeur-interprète français. Auteur de chansons à texte, il alterne durant sa carrière chansons sentimentales, chansons poétiques et chansons engagées et a souvent maille à partir avec la censure.
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"