La loi de « sécurité globale » dont les rapporteurs sont deux députés LREM sera en discussion à partir du 17 novembre à l’Assemblée nationale. Sa cohérence globale (justement) et la proposition d’interdire la diffusion d’images de policiers suscitent bien des inquiétudes sur le respect des libertés.


 

Le député LR des Alpes-Maritimes, Éric Ciotti, l’avait déjà rêvé il y a quelques mois, le gouvernement s’apprête à le faire. La loi sur la « sécurité globale » qui sera en discussion à l’Assemblée nationale du 17 au 20 novembre s’annonce lourde de dangers pour les libertés individuelles et collectives. Mais il est vrai qu’aussitôt après l’attentat de Nice, ce même Éric Ciotti demandait d’arrêter « avec la défense de ces pseudos-libertés individuelles », sous prétexte que « nous sommes en guerre ». La formule sert désormais à tout et à tout le monde, du coronavirus au terrorisme, d’Emmanuel Macron à l’élu des Alpes-Maritimes. Et jusqu’à Marine Le Pen qui, pour ne pas être en reste, a réclamé « une législation de guerre ». Si nous sommes en guerre, inutile de s’embarrasser avec des vieilles lunes. À quand le conseil de guerre pour les contestataires ?

Le 20 octobre, deux députés LREM, Jean-Michel Fauvergue (Seine-Maritime) et Alice Thourot (Drôme) ont donc déposé une nouvelle proposition de loi sécuritaire, inspirée d’un rapport parlementaire de 2018, signée des mêmes députés. Petit détail, Jean-Michel Fauvergue est l’ancien « patron » du Raid. Portant l’intitulé poétique D’un continuum de sécurité vers une sécurité globale, ce rapport fleuve propose notamment de « donner à l’univers de la sécurité privée les moyens de la confiance et de l’ambition » et évoque généreusement « un univers de la sécurité privée contesté malgré des secteurs d’excellence »

Sa philosophie repose sur un triptyque Police nationale-Polices municipales-sécurité privée. Où l’effacement des frontières entre les missions des uns et des autres serait au service d’un tout sécuritaire qui va bien au-delà de la sécurité à laquelle chacun et chacune a droit. Les policiers municipaux pourraient procéder à des contrôles d’identité et le rapport des deux députés LREM propose (le mot est faible) de « relier les dispositifs vidéo des établissements scolaires aux centres de commandement départementaux ». Sans oublier la permission donnée aux agents de sécurité privés « d’intervenir sur la terrasse des restaurants ». Il plaide aussi pour l’instauration d’un « régime dérogatoire aux règles de cumul emploi-retraite au profit des policiers nationaux souhaitant exercer dans le domaine de la sécurité privée »

 

« Usage malveillant »  d’images de policiers et de gendarmes

 

L’article 24 de la proposition de loi, celui qui suscite le plus de réactions, prévoit de sanctionner d’un an de prison (!) et de 45 000 euros d’amende « l’usage malveillant » d’images de policiers et de gendarmes. Que faut-il entendre par « usage malveillant » ? « That’s the question » comme dirait l’autre. Des vidéos tournées par des journalistes ou de « simples » manifestants destinées à documenter certaines pratiques, à confronter les dires de policiers et les propos de victimes de violences ? « Si on interdisait de filmer une intervention policière pour protéger contre la malveillance , on devrait interdire d’écrire pour éviter la diffamation ou interdire de penser pour éviter les mauvaises idées ! » relève Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du Tribunal pour enfants de Bobigny. Le magistrat se demande si les parlementaires « oseront cette incongruité ». On peut le craindre, surtout dans le climat actuel.

Pour le journaliste David Dufresne qui a utilisé de nombreuses vidéos pour documenter son film, Un pays qui se tient sage, une trentaine de ses sources (sur 55) « tomberait sous le coup de la loi ». Et quand on sait que des images tournées par des journalistes indépendants ou des témoins peuvent aussi être utilisées par les médias dominants, on mesure l’enjeu. « Il y a des policiers qui sont attaqués, mal aimés par la population mais est-ce à cause des vidéos ou de ce type de législation qui renforce l’idée qu’ils ont tous les pouvoirs et aucune responsabilité ? » s’interroge Anne-Sophie Simpere, d’Amnesty International.

L’article 25, lui, porte sur « l’accès des policiers et des gendarmes armés en dehors des heures de service à des établissements recevant du public »

Généralisation de la vidéo-surveillance, utilisation accrue des drones, reconnaissance faciale, équipement des ASVP, et même des gardes champêtres, en « caméras piétons » : l’arsenal  des propositions est tel que la défenseure des droits, Claire Hédon, a rendu un avis le 5 novembre qui pointe les risques d’atteinte « au droit au respect de la vie privée », « aux principes constitutionnels d’égalité devant la loi » et aux « libertés d’information et de communication ».

En tant que média, altermidi ne peut évidemment rester insensible à ce dernier aspect. Une pétition intitulée « Refus de la loi visant à empêcher la diffusion des images de violences policières » 1 a déjà recueilli plus de 588 650 signatures. En outre, une tribune publiée par le journal Libération a été signée par le SNJ, le Syndicat national des journalistes CGT, Acrimed, Attac, la Ligue des Droits de l’Homme, des historiennes, des journalistes, sociologues…2. D’autres tribunes protestant contre l’interdiction de filmer les policiers, signées par des cinéastes et par diverses rédactions ont également été publiées par ce même quotidien3. Pour bien mesurer les conséquences de ce projet de loi nous vous invitons à lire dans nos colonnes le décryptage du texte à paraître demain.

                                                                                                                 Morgan G. 


Illustration Michel Foucault Surveiller et punir. Ed.Gallimard


Notes:

  1. Change.org : Refus de la loi visant d’empêcher la diffusion des images de violences policières
  2. Cachez ces violences policières que je ne saurais voir , Libération, 9 novembre 2020
  3. Le titre de cet article est emprunté au (grand ) livre de Michel Foucault (Gallimard)
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"