Nombre de nos concitoyens (près de 50%), en situation dite « normale » 1, ne faisaient déjà confiance ni en l’avenir ni en leur gouvernement. Avec l’épidémie de la Covid-19, ce nombre s’est étendu et radicalisé concernant la politique sanitaire, à 62% de mécontents 2 et ce chiffre semble s’amplifier. Quelles en sont les conséquences ?


 

On ne peut faire abstraction du contexte social, ni de l’impact des choix politiques d’Emmanuel Macron à l’encontre des chômeurs, des retraités, des services publics, de la façon dont est développée l’ubérisation du travail, de la répression féroce des luttes sociales et de nombreuses mesures plus impopulaires les unes que les autres 3. Tous ses projets de réforme sont apparus comme des tentatives d’adaptation à un monde sans règles, comme une remise en cause venue d’en haut, injustifiée. Alors oui, régnait avant cette pandémie un sentiment de fronde, de lutte sociale. La population soutenait le mouvement des gilets jaunes 4 à plus de 60 % en moyenne sur la durée. Contestation, mécontentement, manifestations devenaient le quotidien de la vie sociale et politique.

Les liens entre ce contexte et le coronavirus n’existent qu’en complémentarité, on l’aura bien compris. De plus, ce mariage opportuniste peut sembler international, car il s’est produit dans le monde entier. Chaque pays a apparemment réagi au mieux de ses intérêts et de ses possibilités, surfant sur la vague émotionnelle suscitée. En France, comme partout, nous sommes depuis des mois face à un problème commun et ce genre de situation génère pourtant habituellement de la cohésion, de la solidarité, de la générosité, il faut avoir de l’empathie pour les autres. Mais ce n’est pas vraiment ce que nous avons observé. Après avoir voulu faire des stocks personnels (riz, pâtes, doliprane, papier hygiénique, etc.), on est passé à une méfiance généralisée (l’autre est porteur du virus, donc à garder à distance), et c’est le masque qui a été la représentation principale de cette distanciation, son symbole. À la fin de l’été 2020, on en est arrivé à un sentiment d’insécurité exacerbé, témoin d’une réelle décomposition de la cohérence du corps social, artificiellement construite par les thèses de la droite radicale 5.

Tout d’abord, quand l’épidémie a débuté, il y a eu une écoute populaire, il faut le dire, on l’a tous constaté, y compris dans les quartiers. Les bons sentiments ne cessaient de se manifester (prêts d’appartements pour les soignants, bénévolat dans les associations, aide entre voisins, confection d’un plat pour le personnel hospitalier, etc.) et ils étaient prêts à s’exercer sur le long terme, la naissance d’un vrai paradis. Pourquoi ne les a-t-on pas encouragés, développés, valorisés ? Pourquoi et comment a-t-on perdu l’adhésion des gens ? Pourquoi a-t-on systématiquement choisi de leur faire peur, de les verbaliser plutôt que de les accompagner ? Le repli sur soi que nous avons observé était-il inévitable dans tous les cas ? Si manipulation il y a eu pour le provoquer, puis pour l’entretenir, quels en sont les ressorts, les raisons ? Comment a-t-on pu oublier la fonction psychologique, affective de l’humain et faire comme si seul l’isolement rigoureux, l’enfermement, puis la science, pouvait sauver l’humanité ? Mais, comme l’a écrit le romancier Rachid Santaki, « être citoyen, ce n’est pas être consommateur ».

Comment les choses sont-elles chronologiquement arrivées ? Notre ministre de la santé 6 nous a annoncé tout d’abord que le virus ne nous menaçait pas, quelques cas en Chine seulement, puis devant la diffusion de la pandémie, ne savait plus quoi nous dire. À ce moment là, selon l’État,7 les masques étaient absolument inutiles, les tests aussi. On doit quand même tous aller voter au premier tour des municipales. L’épidémie s’étend, on décide le confinement. On se rend compte qu’on est à cours de médicaments, nombreux à être fabriqués en Chine, on s’embrouille dans la fabrication des masques, qui après avoir été déconseillés, et même interdits à la vente en pharmacie, deviennent obligatoires. On assiste à la mise en cause du professeur Raoult, qui pourtant sauve des malades avec un médicament basique alors que les grands laboratoires, ses adversaires supposés, se préparent à vendre des produits complexes et beaucoup plus chers, voire à mettre au point un vaccin improbable, générateur potentiel de profits colossaux. Les experts autoproclamés se succèdent sur les chaînes de télévision, affolant un auditoire attentif. Et puis on a cessé le confinement, on a réduit les déplacements possibles à cent kilomètres autour de chez soi et enfin, on a levé cette mesure afin de pouvoir laisser partir en vacances. Puis, on a rendu le port du masque obligatoire quasiment partout. Et il s’en est passé des incohérences d’État, depuis l’absence de tout contrôle dans les aéroports pour les gens arrivant de l’étranger, à l’incroyable gestion aléatoire de la vie scolaire et à toutes les déclarations présidentielles ahurissantes, du « quoi qu’il en coûte » au « nous sommes en guerre ».

Sans faire l’analyse exhaustive des composantes de cette pandémie, ce qui serait long, sans mettre en doute le fait qu’elle soit très grave et préoccupante, nous ne sommes pas médecins ni virologues, il nous est permis de réfléchir. Ce qui est extrêmement préoccupant, c’est que nous sommes devenus des agents de la société de consommation. Mais peut-on encore consommer en gardant une liberté de choix, tout en restant des citoyens solidaires des autres, responsables de notre environnement, capables de raisonner sur nos vrais besoins et de tenir compte des conditions dans lesquelles sont produits les biens que nous consommons ? Le confinement a démontré que nous pouvions épargner l’environnement dans de belles proportions, ainsi que ménager nos finances : le bas de laine créé par les français en quelques semaines représente plus de 55 milliards d’euros fin avril, selon des chiffres publiés par la Banque de France.

Mais est-ce que cette situation est tenable pour l’économie mondiale ? Si nous cessons de changer régulièrement de voiture, de smartphone, si nous nous passons de voyages touristiques en avion ou en paquebot de croisière, si nous nous orientons vers la consommation de produits locaux, si nous recyclons, si nous trouvons des solutions entre nous, généreuses et solidaires, si nous organisons nous-mêmes nos rencontres culturelles, que deviendra le grand capital ? On comprend mieux ainsi le pourquoi de l’énergie qu’il déploie afin de garder le contrôle sur son peuple asservi, lui laisser le désir de la dépense impulsive : « l’offre fait l’usage, l’usage fait l’habitude, l’habitude fait le goût » (Grignon C. 1988). On comprend alors bien que toutes les incohérences apparentes des déclarations gouvernementales sont en fait très judicieuses. La partie n’est certes pas engagée en notre faveur, mais, bon, allez savoir…

Thierry Arcaix

 


Illustration: Image d’archive – Georges Marchais interrogé par J-P Elkabbach. « Moi aussi j’ai un cerveau »


 

Notes:

  1. source OpinionWay
  2. source Cevipof et Ipsos-Sopra Steria, mai 2020
  3. telle la limitation de vitesse
  4. sondages Elabe, Ipsos, etc.
  5. l’ensauvagement de la société selon G. Darmanin
  6. Agnès Buzin
  7. Sibeth Ndiaye
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Thierry Arcaix a d’abord été instituteur. Titulaire d’une maîtrise en sciences et techniques du patrimoine et d’un master 2 en sciences de l’information et de la communication, il est maintenant docteur en sociologie après avoir soutenu en 2012 une thèse portant sur le quartier de Figuerolles à Montpellier. Depuis 2005, il signe une chronique hebdomadaire consacrée au patrimoine dans le quotidien La Marseillaise et depuis 2020, il est aussi correspondant Midi Libre à Claret. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages dans des genres très divers (histoire, sociologie, policier, conte pour enfants) et anime des conférences consacrées à l’histoire locale et à la sociologie.