Le maire socialiste de Montpellier, Michaël Delafosse, a accueilli le 19 septembre dernier le Secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, dans le cadre du 120e anniversaire du Congrès CGT à Montpellier1, un acte fondateur méconnu de notre histoire sociale.


 

Cette rencontre qui s’inscrit dans un contexte politique et social tendu a permis à Michaël Delafosse de saisir l’occasion pour réaffirmer son appartenance à gauche, à travers l’histoire politique2 et idéologique du mouvement ouvrier. Un petit saut à travers le temps permet de constater que le mouvement ouvrier que l’on qualifie aujourd’hui de « classes populaires » compose localement une bonne partie de l’électorat populiste séduit par le Rassemblement national qui prend racine autour des deux métropoles d’Occitanie.

Dans l’entretien accordé au média citoyen indépendant altermidi, Michaël Delafosse assume son appartenance à gauche. Notamment lorsqu’il affirme que sous sa mandature Montpellier doit soutenir les forces sociales, ou encore lorsqu’il se prononce contre l’allongement de l’âge de départ à la retraite à 65 ans. Il fait preuve d’une certaine conscience prolétarienne en demeurant socialiste, c’est-à-dire en ne concevant la lutte politique pour le progrès social que sous la forme du travail parlementaire.

En soutenant la valeur travail, sans faire de distinction entre les propos de François Ruffin et ceux de Fabien Roussel, le maire de Montpellier voit pour la gauche un moyen salutaire de détourner les classes populaires de l’extrême droite, et peut-être de corriger le tir après le revers électoral cuisant essuyé en juin dernier.


 

 

Philippe Martinez et Michaël Delafosse à l’Opéra Comédie. Montpellier, le 19 septembre 2022. Photo JMDH altermidi

 

ENTRETIEN


 

Dans quel état d’esprit accueillez-vous cette célébration de l’histoire sociale autour du 120e anniversaire du congrès de 1902 de la CGT qui se tient à Montpellier ?

Pour être franc, lorsqu’à l’invitation de Serge Ragazzacci3 j’ai rencontré le Secrétaire général de la CGT Philippe Martinez au congrès de la métallurgie, et qu’il m’a informé de sa venue à Montpellier pour commémorer cet acte fondateur de la CGT, je dois avouer que les bras m’en sont tombés. Comme beaucoup de gens qui s’intéressent à l’histoire sociale, nous avons tous en tête le congrès de 18954, celui qui figure dans les manuels d’histoire de 4e, je peux en attester. Mais l’union ouvrière de 1902 est un pan de l’histoire de Montpellier qui m’était inconnu. Je savais que Jean Jaurès était venu ici faire un discours, que durant la révolution française on a montée la guillotine sur la scène de l’Opéra, mais on ignorait cet épisode signifiant de l’histoire syndicale. C’est une grande fierté pour la ville de porter à connaissance cette histoire. Et puis c’est un honneur, pour moi qui appartiens à une municipalité de gauche.

 

Que peuvent attendre les syndicats d’une municipalité de gauche ?

Une ville de gauche comme Montpellier doit être en soutient des forces sociales, des syndicats qui portent la parole des salariés dans le débat national — la question des retraites va être une question très importante —, et des syndicalistes qui sont présents dans les entreprises où souvent les salariés sont seuls et où les relations peuvent être parfois très difficiles, que ce soit sur les salaires ou les conditions de vie au travail. Il faut défendre le syndicalisme. Il faut rappeler son rôle.

Quand Philippe Martinez m’a annoncé sa venue, j’ai dit “on sera présents”. J’ai fait déployer une banderole pour bien dire à la ville : ici les syndicats doivent savoir qu’ils sont chez eux. C’est une ville qui a cette histoire que l’on redécouvre. Une municipalité de gauche se doit d’être aux côtés des forces qui contribuent au progrès social, à la défense des salariés. Et je le dis d’autant plus fort qu’il y a des gens qui veulent mettre à mal la démocratie sociale, qui critiquent les corps constitués, qui pensent que ce ne sont pas aux syndicats de construire les mobilisations. Heureusement qu’il y a des syndicats pour ça. Je souhaite également rendre hommage aux syndicalistes qui donnent de leur temps bénévolement pour l’intérêt général.

Vous me direz je suis maire…

 

Oui, et que les employés de la mairie portent aussi des revendications…

C’est vrai. On ne peut pas être d’accord tout le temps mais on doit instaurer un dialogue et respecter ses engagements. Ceux qui jouent le jeu de la chasse aux syndicalistes et du mépris à l’égard de l’engagement syndical ne rendent pas service à la démocratie. Ils ne rendent pas service au monde du travail. Et le monde du travail a besoin de syndicats forts. Il a aussi besoin d’unité syndicale.

 

Sur quoi vos échanges avec Philippe Martinez ont-ils porté ?

Nous avons évoqué la situation de l’énergie, très préoccupante pour les collectivités locales5, alors que le bouclier tarifaire ne s’applique qu’aux petites communes. Ce problème concerne aussi les hôpitaux et les entreprises qui ne bénéficient pas du bouclier tarifaire. Nous avons convenu d’échanger sur ces questions avec l’Association des maires de France. Je vais immédiatement appeler son président et son vice-président pour évoquer ce dossier.

Nous avons aussi parlé du contexte global dans le pays, avec l’inflation, la réforme de l’assurance chômage… Ce sont là des enjeux importants pour les syndicats et il faut que l’on soit à leurs côtés, résolument. Tous ceux qui tiennent des discours anti-syndicats sont dans l’erreur. Et moi j’invite les gens à se syndiquer parce que c’est un moyen de participer à la protection collective.

 

Quels sont les constats que vous partagez ?

Nous avons échangé sur la réforme des retraites. Moi je ne crois pas qu’il faille porter le départ de l’âge de la retraite jusqu’à 65 ans, surtout dans un pays qui licencie beaucoup les gens à partir de 55 ans. Quand on est maire de Montpellier, on voit certaines entreprises de grands groupes américains qui se séparent de leurs collaborateurs, certes avec un gros chèque, m’enfin quand même, on les sort du marché du travail.

Je lui ai demandé comment il voyait le front. Il m’a répondu “uni”. Et effectivement, les déclarations de Laurent Berger6, sont très claires.

J’ai aussi demandé à Philippe Martinez quelle était la nature du dialogue avec le nouveau ministre du Travail. Comment se passent les négociations, parce qu’on ne peut pas dire que la marque de fabrique du gouvernement soit le dialogue social. On ne peut pas dire oui à tout, tout le monde le sait, mais construire un agenda social où l’on respecte les corps intermédiaires, où l’on essaie de construire du progrès social, d’identifier les problèmes et d’y apporter des réponses, c’est très important.

 

Le Rassemblement national vient de tenir ses journées parlementaires dans l’Hérault ; avec leurs 89 députés, il se projette au pouvoir en 2027. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

C’est un constat effroyable. C’est un échec pour la gauche que les trois circonscriptions de l’Aude et les quatre des Pyrénées-Orientales aient basculé au Rassemblement national. Affaiblir les corps intermédiaires, que ce soient les élus locaux, les syndicats ou le dialogue social, renforce les populistes bruns.

 

Comment vous inscrivez-vous dans le débat qui fait jour sur la valeur travail ?

Je crois que c’est un débat fondamental. Je veux dire très clairement que je partage ce que disent François Ruffin et Fabien Roussel. Cette question est essentielle pour la gauche. Il faut permettre aux gens qui se retrouvent au chômage de pouvoir retrouver un travail. Affirmer qu’on doit vivre dignement de son travail, que la précarité au travail abîme. Si on réinvestit ces sujets-là, on peut redevenir audible auprès d’électeurs qui historiquement appartenaient à la gauche et se sont détournés. Ces réflexions-là sont importantes et je suis honoré de saluer la venue à Montpellier de Philippe Martinez. Parce que les syndicats jouent un rôle clé. Ils sont toujours aux côtés des gens, du côté du travail.

 

Voyez-vous une opposition entre la France du travail et la France des Alloc’ ?

Je crois toujours à la solidarité chaque fois que cela est nécessaire. Mais j’ai été élu au Département et je me suis occupé du RSA, j’ai vu tellement de gens me supplier pour essayer de trouver un travail, pour essayer de retrouver de la dignité… Les questions du travail et de la reconnaissance sont majeures. Ce n’est pas rien la dignité des travailleurs. Il faut réduire le temps de travail quand il est trop pénible évidemment, mais c’est autour du travail que l’on construit une société. Si la gauche ne parle pas comme ça du travail, d’autres vont s’en occuper. Ils vont opposer les travailleurs entre eux, selon les origines. Ne nous coupons surtout pas du travail.

 

Propos recueillis par Jean-Marie Dinh

Notes:

  1.   En 1902, la CGT se trouvait constituée de deux sections : celle des fédérations, syndicats nationaux de métier ou d’industrie, et celle des bourses du travail considérées comme unions locales, départementales ou régionales de corporations diverses. Le Congrès de Montpellier scella la véritable fusion.
  2. Au congrès de 1906, le mouvement socialiste, réunifié en 1905 au sein de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière), qui se référait explicitement à la lutte des classes et à la conquête révolutionnaire du pouvoir, se faisait pressant. Les dirigeants de la CGT s’inquiétaient de la concurrence qui risquait de se développer, du risque de domination de la SFIO avec une conception de syndicats inféodés au parti, ainsi que de la contamination des dérives opportunistes issues du socialisme parlementaire.
  3. Serge Ragazzacci est secrétaire départemental de la CGT de l’Hérault
  4. Avant le congrès décisif de 1902 à Montpellier, en 1895 le VIIe Congrès national corporatif de Limoges fonde 
la Confédération générale du travail (CGT). Cette initiative vise à réduire l’émiettement des organisations ouvrières à partir de la Fédération des syndicats et celle des bourses du travail.
  5. Pour les grandes villes, la facture énergétique a doublé, avec un risque de retrait d’un certain nombre de services publics. Les collectivités demandent l’application d’un bouclier d’urgence qui ne s’applique aujourd’hui qu’aux petites communes.
  6. Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, a déclaré que son syndicat ne serait jamais d’accord avec la décision éventuelle de repousser l’âge de départ à la retraite.
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.