Assurance Chômage

Les cadres étant peu au chômage, leurs cotisations représentent 42 % des ressources du régime et leurs allocations comptent seulement pour 15 % des dépenses. Le plafonnement de leurs allocations dégagerait donc peu d’économies.

La focalisation du débat de l’assurance-chômage sur les contrats courts a masqué les vrais enjeux qui tiennent à la philosophie même du régime . Le patronat a refusé tout compromis sur les contrats courts parce qu’il ne défend plus le paritarisme et souhaitait redonner la main au gouvernement pour mettre en oeuvre sa réforme.
Un plafonnement des allocations des cadres au nom de la « justice sociale » et au prétexte que leurs allocations « généreuses » ne les inciteraient pas à rechercher un emploi a été mis au menu. Une double peine après avoir discrètement, par décret, mis en place la suspension des allocations chômage après deux refus d’une offre d’emploi, y compris si les emplois proposés étaient à un salaire bien inférieur à celui perçu antérieurement.
C’est surtout « oublier » que les cadres étant peu au chômage, leurs cotisations représentent 42 % des ressources du régime et leurs allocations comptent seulement pour 15 % des dépenses. Le plafonnement des allocations des cadres dégage donc peu d’économies. Au contraire, la CGT propose un déplafonnement des cotisations et des allocations, de façon à ce que la partie supérieure à 13.500 € du salaire des cadres dirigeants soit mise à contribution. Une mesure qui permettrait de dégager 700 millions de recettes et de taxer en priorité les grandes entreprises qui concentrent ces hauts salaires.
Alors pourquoi agiter ce chiffon rouge ? Pour occulter le débat sur les baisses de droits qui vont concerner tous les salariés, et d’abord les plus précaires. Mais surtout parce que le plafonnement des allocations des cadres induit un changement de nature du régime . En plafonnant les allocations, on passe d’un régime donnant droit au maintien du niveau de vie des salariés à un filet de sécurité minimum, avec des indemnités plafonnées et conditionnées. On passe ainsi de droits acquis par les cotisations et dus aux salariés à des aides sociales consenties au nom de la solidarité nationale et devant être « méritées », donc conditionnées.
Le financement par la CSG pesant sur toutes et tous, quels que soient les droits ouverts, on organise ainsi le « ras-le-bol fiscal ». Cadres, retraités ou fonctionnaires, les plus gros contributeurs, seront aussi ceux qui bénéficieront le moins du système. C’est ainsi que l’on sape le consentement à l’impôt et que l’on fabrique l’« assistanat ». C’est la raison pour laquelle les comparaisons internationales démontrent que les systèmes universels sont aussi ceux qui protègent le mieux les plus démunis.
Contrairement à une idée reçue, les systèmes qui protègent le mieux les plus fragiles sont aussi ceux qui profitent au plus grand nombre. Le partage de la pénurie au sein du monde du travail a pour conséquence d’occulter les vrais bénéficiaires de la réforme le patronat, qui avec la suppression des cotisations bénéficie d’une baisse massive des salaires… et les assureurs, qui lorgnent avidement sur la protection sociale des cadres.
La même logique est à l’oeuvre sur la réforme des retraites. Le plafonnement annoncé de la retraite des cadres vise à les renvoyer vers des systèmes de capitalisation et orienter ainsi des milliards vers les fonds d’investissement… comme l’ont fait Donald Reagan et Margaret Thatcher dans les années 1980, lançant ainsi le grand mouvement de financiarisation des entreprises et du travail qui nous a menés à la crise de 2008.
Moralité prétendre, comme le fait le gouvernement, répondre aux aspirations de justice sociale et de dignité en stigmatisant les cadres conduira, à l’inverse, à une baisse du consentement à l’impôt et des sommes disponibles pour faire vivre la solidarité et les services publics. Il faut, au contraire, renforcer le caractère universel de notre protection sociale et mettre enfin à contribution les ultra-riches et le capital, qui n’ont jamais autant échappé à l’impôt.
Sophie Binet et Marie José Kotlicki 
cosecrétaires générales de l’Ugict-CGT
Cette tribune est parue dans Les Echos