En 2015, Bilel Saïd soutenait sa thèse en chimie des matériaux. À 32 ans, lassé de ne pouvoir valoriser son diplôme que sous contrats précaires, il envisage, comme quantité d’autres, de renoncer à la recherche.


 

Passer sa thèse, c’est terminer son temps d’apprenti chercheur. Un jury vous déclare docteur dans votre spécialité, apte à mener pleinement votre activité de recherche. Une consolidation scientifique, très souvent synonyme d’une entrée en précarité ; celle des post-doctorants, courant derrière les contrats courts.

Le physicien Thierry Guillet, exposant ses propres activités de chercheur dans notre article du magazine titré Mais comment ça se passe, la recherche ?, constatait à propos des post-doctorants : « Il y a ceux qui partent vers le privé, avec des chances sérieuses d’obtenir à terme un CDI très correctement rémunéré. Mais dans le public, on peut rester précaire des années et des années, avec une chance sur quatre d’être titularisé. Conséquence : les trois quarts finissent par renoncer. Ils deviennent vieux enseignants, ou retournent faire affaire au pays d’origine, d’autres font torréfacteur ou élèvent des chèvres dans les Cévennes. »

Le gâchis personnel, mais aussi social, est immense au regard de l’investissement consenti au long cours. Cela stupéfie d’autant que les post-doctorants occupent une place clé dans l’évolution la plus actuelle de la recherche. Ses sources de financement, découlant toujours plus de projets validés sur appels d’offres, segmentent les missions sur des durées et des objectifs très circonscrits. Logiquement, cette précarisation structurelle fait des post-doctorants les candidats parfaits pour des contrats à durée déterminée. Leur rôle devient déterminant dans une telle organisation de la recherche. Et leur statut ne s’en trouve en rien amélioré.

Bilel Saïd a effectué toutes ses études à Montpellier, en chimie des matériaux. Il a un enthousiasme communicatif, pour dire ce qui l’attache à ce domaine : « En chimie on construit, un peu comme des Lego. On a des connaissances. On les utilise pour donner forme à des objets, mais en le prenant au niveau microscopique, en jouant sur les caractéristiques même des matériaux. » Il précise : « Cette idée qu’il y ait une application concrète au débouché d’une recherche fondamentale me plaît énormément. » Au passage, on voit ainsi balayé le raisonnement trop binaire qui survaloriserait d’un côté la pure recherche fondamentale, pour déplorer d’un autre côté l’accent mis sur des applications derrière lesquelles il faudrait suspecter des intérêts industriels à trop court terme. « En fait, c’est l’organisation de la recherche qui pose problème ».

Bilel Saïd soutenait sa thèse en septembre 2015. Vite, il obtenait un premier poste pour l’Institut français du pétrole. Typiquement un contrat d’un an et demi. Une rémunération de 2 400 euros mensuel. Pas mal du tout pour un premier emploi. Mais il ne poursuivra pas dans cette voie : « Dans la recherche privée, j’ai observé de meilleures conditions de travail, l’équipement, tout ça. Mais l’esprit de concurrence entre collègues, la mentalité carriériste, les hiérarchies et les cloisonnements très marqués m’ont fait regretter la recherche publique, plus humaine, plus solidaire. »

Il y revient donc, à Montpellier, non sans un sévère coup de rabot salarial. Cette fois il s’active sur des matériaux destinés à la dépollution de l’air. C’est conforme à une certaine idée d’utilité sociale. Le projet est censé se dérouler sur une année. De résultats favorables en résultats satisfaisants, à coup de prolongations de six mois, l’équipe parvient à prolonger ses travaux trois années durant.

Parallèlement, Bilel Saïd prépare l’avenir, candidate à divers postes statutaires d’ingénieur de recherche, ou ingénieur d’étude. Il n’en obtient aucun. Cela tandis que ces offres de postes « se font de plus en plus rares, et les candidats de plus en plus nombreux. À mon dernier concours, pour tout le secteur de la chimie, il n’y avait que trois postes pour toute la France, avec peut-être pas loin de cent candidats au total. Le système s’étant obstrué, il y a de plus en plus de candidats aux plus hauts grades (chercheur ou enseignant-chercheur) qui se rabattent sur les niveaux en-dessous. Il se produit un effet en cascade, pendant que la Covid a raréfié la dynamique de recrutement dans le privé ».

Bilel Saïd constate que sur les quatre autres thésards qui avaient soutenu la même année que lui, aucun n’a trouvé de poste. « C’est un problème général. Je me donne une année de plus pour concourir. Je ne peux pas m’éterniser en précaire. Je ne peux pas non plus me faire un CV à trous. Donc je réfléchis aux suites. L’enseignement ? Le sport ? Au tennis, je suis en niveau compétition. » S’affirmant « réaliste, ça aide », il ne crie aucun dépit, mais sait qu’on lui fera remarquer assez souvent que « huit années d’études, et treize au total passées dans le domaine, pour finalement renoncer, c’est quand même dommage ». Mais très commun.

Gérard Mayen

Matériau mixte LTA / Faujasite X permettant de capturer les ions Strontium et Césium radioactifs contenus dans les eaux nucléaires, matériau développé en thèse par Bilel SAID.

 

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Gérard Mayen (né en1956) est journaliste, critique de danse, auteur. Il est titulaire d'un master 2 du département d'études en danse de l'université Paris 8 Saint-Denis-Vincennes. Il est praticien diplômé de la méthode Feldenkrais. Outre des chroniques de presse très régulières, la participation à divers ouvrages collectifs, la conduite de mission d'études, la préparation et la tenue de conférences et séminaires, Gérard Mayen a publié : De marche en danse dans la pièce Déroutes de Mathilde Monnier (L'Harmattan, 2004), Danseurs contemporains du Burkina Faso (L'Harmattan, 2005), Un pas de deux France-Amérique – 30 années d'invention du danseur contemporain au CNDC d'Angers(L'Entretemps, 2014) G. Mayen a longtemps contribué à Midi Libre et publie maintenant de nombreux articles pour"Le Poing", Lokko.fr ... et Altermidi.