Rencontre avec Hervé Trémeau, directeur de l’association « Destinations Familles » qui agit pour et avec les habitant-e-s de ce quartier du centre-ville de Marseille. Solidarité, perspectives, éducation populaire…


 

Hervé, qui es-tu, quel est ton itinéraire ?

Je suis arrivé à Marseille en 1999, directement au quartier de Noailles où j’étais venu voir un ami qui habitait ici. On était au printemps, au mois d’avril, la ville m’a tellement plu que deux mois plus tard je m’y installais. À cette époque, c’était à ma connaissance la seule grande ville de France qui avait gardé son centre-ville populaire, cela a beaucoup compté dans mes choix. Je faisais alors des petits boulots par-ci, par-là.

Je fonde une famille et je « rentre » dans le social (dans le champ du handicap avec un diplôme d’éducateur spécialisé), plusieurs années après, je retourne en formation pour préparer un Diplôme d’État d’Ingénierie Sociale (DEIS). Il y a quatre ans, la directrice de Destination Famille m’annonce qu’elle va quitter son poste et propose que je prenne sa suite. Après entretien avec le Conseil d’administration de l’association, je suis recruté pour la remplacer.

J’interviens aussi auprès des étudiants en ingénierie sociale à l’Institut méditerranéen de formation.

Quelles sont les activités menées par « Destination Familles » ?

« Destination Familles »1(DF) est une association de quartier (loi 1901), créée par Dalila, une habitante du quartier qui travaillait dans un Centre social à Marseille. Face à l’absence de structures, elle avait démarré des actions de soutien scolaire, des cours de français, une permanence d’accès aux droits, en disposant d’une petite pièce mise à disposition par le « Mille Pattes » dans ses locaux situés rue d’Aubagne. De fil en aiguille et pour répondre à son développement, l’association se retrouve ici, au 43 rue d’Aubagne, dans des locaux appartenant à la municipalité, en 2011.

Aujourd’hui trois thèmes principaux sont proposés aux habitants :

  • l’accès aux droits et la citoyenneté en partenariat avec « Médiance 13 », le Centre de Culture Ouvrière, « Encre Bleue », Pôle Emploi… Ce service est disponible toute la journée de 9 à 17 heures,
  • un pôle éducatif  avec l’accompagnement scolaire (enfants et adolescents), des cours de français, une initiation à l’informatique, une intervention petite enfance (asso « Tout un Monde »)…
  • un pôle Culture et Loisirs avec par exemple des ateliers vidéos, du théâtre pour les jeunes et les adultes dans nos locaux, des sorties (musées, bibliothèques).

DF participe aussi à des actions de solidarité sur le quartier, en particulier au moment des effondrements des immeubles le 5 novembre 2018 et des nombreux délogements qui ont suivi. Nous sommes aussi présents dans des réunions de coordination d’actions sociales, dans une commission « Noailles » qui réunit les structures qui relèvent de la politique de la ville.

DF organise une fête chaque année au mois de juin. Elle est un temps fort de l’année où tous les ateliers présentent une restitution de leurs travaux. L’association assure aussi du soutien scolaire et des cours de français.

bibliothèque
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Quel est le public que vous touchez sur le quartier et dans le centre-ville ?

Ce sont principalement les familles de Noailles qui participent aux activités mais aussi certaines des quartiers voisins et d’autres qui ont déménagé et qui continuent à venir ici. Nous avons entre 150 et 200 familles adhérentes à l’association, ce qui représente environ 600 personnes participant à un de nos ateliers. Il faut y rajouter « ceux et celles qui passent ». Au total, nous touchons un millier de personnes approximativement. Les adhésions se font surtout pour l’accompagnement scolaire, les cours de français, l’initiation à l’informatique…

Nous sommes les seuls à couvrir ces trois pôles et à réunir les différentes générations sur le quartier. Il existe aussi des associations spécialisées (nous travaillons avec le « Contact Club » en direction des jeunes, « Dunes » fait de même). Deux centres sociaux sont présents à proximité (au Cours Julien et à Belsunce – CCO Velten). Quelques familles les fréquentent mais la majorité d’entre elles préfère une relation de proximité et la présence sur le terrain de DF. Cela fonctionne beaucoup sur le bouche-à-oreille, les connaissances, les amis, on ne fait pas de pub. Dans cet espace réduit qui est le nôtre, les gens recherchent la chaleur, la convivialité, la reconnaissance…

Il y a en projet la création d’une Maison Pour Tous sur Noailles…

Effectivement. Cela signifie que la Ville va lancer un appel d’offres pour une délégation de services publics (une DSP, une sorte de marché public). Si nous voulons continuer d’exister et mener nos missions, il nous faudra répondre quand l’appel d’offres sera publié. Il ne pourra pas y avoir deux structures sur le même territoire. DF est financée en priorité par des budgets Politique de la ville, justement parce qu’il n’y pas d’équipement du type Maison Pour Tous (MPT) aujourd’hui. Dans le cas où notre candidature serait retenue, on pourrait faire notre travail avec plus de moyens et des locaux mieux adaptés, mais nous n’en sommes pas encore là.


Depuis combien de temps la question de cet équipement se pose ?

Cela fait très longtemps que les habitants le souhaitent, une quinzaine d’années je dirais. Comme ils souhaitent aussi avoir une école, un centre de santé, une crèche qui font cruellement défaut.

En Juin 2018, le Conseil municipal a voté la création de cette MPT. Mais ce projet avance peu ; il y a eu le 5 Novembre 2018 évidemment, des arrêtés de péril en série, des problématiques nouvelles sur les bâtiments qui sont apparues depuis (par exemple au 44 rue d’Aubagne, les services techniques ont découvert un bassin rempli d’eau. Cela change la donne et la nature des travaux). Sur le Domaine Ventre (lieu où serait implanté le cœur de la MPT) un certain nombre d’habitants a intenté une action en justice pour s’opposer à son ouverture.

Mais est-ce que cette structure pourrait exister hors les murs en attendant que les questions matérielles et juridiques soient résolues ?

C’est un peu la volonté affichée de la nouvelle municipalité qui veut répondre aux attentes sans tarder et développer en particulier un accueil collectif des mineurs (ex. centres aérés) de 6-11 ans.

Revenons à la question du 5 Novembre, aux effondrements, aux nombreux délogements qui ont suivi et aux actions de solidarité qui se sont développées. Quel rôle avez-vous joué ?

Le jour même nous avons servi de base arrière aux représentants des pouvoirs publics (déléguée de la préfète à l’égalité des chances, techniciens des services habitat et politique de la ville et de la Métropole). Émotionnellement, c’était très chargé. Nous avons été le réceptacle de dons matériels et financiers, de services. Nous avons dû suspendre nos activités, les locaux débordaient de vêtements, de nourriture, de produits d’hygiène. Ensuite nous avons réorienté cette énergie vers les associations spécialisées. Une des huit victimes étaient adhérente de l’association, nous avons accompagné la famille dans ses démarches ainsi que tous les délogés. Avec nos partenaires historiques (Compagnons Bâtisseurs, Fondation Abbé Pierre), nous avons été force de proposition, nous avons sorti plusieurs communiqués de presse et avancé des réponses face à l’urgence. Nous avons passé énormément de temps avec la Ville et l’État jusqu’à l’élaboration de la Charte du relogement, sa signature, le comité de suivi et maintenant l’évaluation de celle-ci.

Nous avons aussi proposé une forme d’organisation et d’expression nouvelle : l’Agora de Noailles qui se tient (encore aujourd’hui) dans les locaux du théâtre voisin « le Daki Ling ». Il s’agissait de tenir des assemblées dans un esprit d’éducation populaire, pour rechercher, partager les informations avec des temps de débat, de réflexion, d’expression de l’affect… À l’avenir, l’Agora pourrait devenir une force de propositions pour un nouvel aménagement du quartier.

Pour élargir le sujet, nous avons aussi été très présents lors du premier confinement du printemps 2020, où nous avons mesuré la gravité de la situation alimentaire d’une partie de la population qui n’avait plus aucun moyen de subsistance. Nous avons travaillé là aussi dans l’urgence avec des associations et des collectifs. Il nous apparaît nécessaire maintenant d’aller plus loin. Nous sommes par exemple favorables à la création d’une Épicerie sociale et solidaire où certaines personnes pourraient venir s’approvisionner à moindre coût, tout en trouvant conseils et actions d’éducation populaire. Nous travaillons actuellement à l’élaboration d’un projet et pensons que DF, de par ses liens avec les familles qui vivent ici, peut être un élément dynamisant de ce projet à conduire en commun avec d’autres associations et les pouvoirs publics.

Eh bien justement, parlons-en de cet aménagement futur…

Le défi est là. Il y a nécessité de réhabiliter les logements tout en faisant en sorte que ces familles puissent continuer à vivre dans ce quartier. Comment préserver l’équilibre sociologique du quartier tout en améliorant la qualité de vie ? C’est tout l’enjeu futur. D’où l’idée de faire du logement social. Il y a ici 3 à 4 % de logements sociaux alors que la population est éligible à 75 % à ce dispositif. La conséquence de cela est l’existence d’un parc locatif dégradé, souvent aux mains de marchands de sommeil.

L’autre grand challenge est la création de services publics à la hauteur des besoins des habitants (une école, une crèche, une Maison Pour Tous, un centre de santé …).

Noailles est un quartier très dense avec zéro espace vert, pas d’espaces de jeux, de sport ou de détente. Certains habitants voudraient que l’emplacement des immeubles effondrés soit à la fois un lieu de mémoire et un espace de respiration.

Ce quartier est traversé par des tensions avec des catégories socio-professionnelles différentes qui se côtoient sans forcément se mélanger. Certains jeunes sont dans la rue sans perspective d’avenir. Cette situation est porteuse de conflits. Comment les personnes du quartier, habitants et habitués, peuvent-elles vivre mieux ensemble en partageant des moments conviviaux (comme des repas de quartier par exemple) et une vision commune du développement urbain ?

Il faut aussi soutenir l’activité commerciale traditionnelle, tout en favorisant l’essor de nouveaux commerces. Mais en faisant en sorte que l’on ne bascule pas dans une économie basée sur la fréquentation touristique, déphasée par rapport aux besoins de la population locale.

On voit bien par exemple l’évolution du bas de la rue d’Aubagne. Faisons attention à maîtriser cette dynamique pour garder un équilibre entre les besoins des habitants et l’apport extérieur nécessaire.

La ligne est étroite, elle consiste à rendre le quartier plus attirant et agréable à vivre, tout en conservant toute leur place aux personnes qui sont installées ici.

Propos recueillis par Alain Barlatier 2

 

Notes:

  1. Contact : « Destination Familles, 43 rue d’Aubagne, 13 001 Marseille. Page Facebook
  2. Voir le blog Conversations de mon quartier et d’ailleurs
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