Si l’épidémie n’est pas jugulée, il faudra « envisager des mesures beaucoup plus dures », a indiqué le Premier ministre Jean Castex. Quoi qu’il en soit, l’exécutif prépare des restrictions pour les Français et « une période longue et difficile », peut-être jusqu’au printemps. Sous couvert de l’urgence sanitaire, l’ambiguïté rhétorique du discours gouvernemental s’oriente de plus en plus vers l’abandon des pratiques démocratiques.


 

À l’Assemblée, le ministre de la santé Olivier Véran a défendu, devant les députés, une décision « de responsabilité », selon lui. Ceux qui voteront contre l’état d’urgence sont irresponsables.

Une nouvelle fois, force est de constater cette méthode du passage en force qui caractérise le quinquennat d’Emmanuel Macron. La violence exprimée par les forces de l’ordre dans la rue à l’encontre des contrevenants au couvre-feu se traduit aussi au sein de l’hémicycle de l’Assemblée nationale dans les mots à l’encontre des parlementaires. Répression disproportionnée et aveuglante d’un côté, reproches préventifs de l’autre ne sont-ils pas les deux faces d’une violence qui demeure au centre de l’entreprise gouvernementale ? Les arguments du ministre de la santé soutiennent les choix que la majorité veut imposer dans la déconstruction, sinon la destruction de toute possibilité d’opposition, qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une idée.

« Le cadre juridique de l’état d’urgence sanitaire. C’est une forme de pleins pouvoirs qui est donnée par le Parlement au ministre de la Santé et au Premier ministre, confie sur France Inter le député LR du Haut-Rhin, Raphaël Schellenberger. On ne peut pas confondre les deux et dire que ceux qui ne sont pas d’accord sur les pleins pouvoirs ne sont pas d’accord sur les mesures. Je crois qu’une démocratie apaisée doit pouvoir faire la part des choses entre ces deux éléments. »

 

Banalisation des atteintes aux libertés

 

Samedi après-midi, l’Assemblée nationale débattait âprement sur la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, un régime d’exception. Le bilan va « s’alourdir dans les prochains jours et semaines, quoi que nous fassions » du fait de la dynamique du coronavirus, a argumenté  Olivier Véran réclamant au passage « l’union nationale » au sein de l’hémicycle.

Pour appliquer ce panel de dispositions, l’exécutif se fonde sur l’état d’urgence rétabli par décret depuis une semaine sur l’ensemble du territoire. Or, au-delà d’un mois, sa prorogation doit être autorisée par la loi. D’où ce texte qui prévoit encore des restrictions possibles jusqu’au 1er avril, en sortie de l’urgence. Opposé à un « état d’exception qui banalise les atteintes aux libertés », le groupe « Les Républicains » a défendu en vain une motion de rejet préalable du projet de loi.

Aux heures de pointe dans les transports urbains, il apparaît en effet clairement que les moyens mis en œuvre pour lutter contre le coronavirus semblent davantage répondre à une stratégie de communication qu’a un plan raisonné. Une mesure chasse l’autre à un rythme quasi quotidien, pour « être réactif » sans lisibilité en termes de résultat.

 

Couvre-feu: un manque de clarté validé par le Conseil d’État

 

Les Français peinent de plus en plus à accepter autant de mesures de privation de liberté sans informations fiables et sans espace pour le débat démocratique. Après l’annonce par le Premier ministre de l’extension du couvre-feu instauré dans le cadre de la crise sanitaire à de nouveaux départements, une association et plusieurs requérants individuels ont demandé au juge du référé-liberté du Conseil d’État de suspendre cette mesure ou d’en limiter la portée. Par une ordonnance du 23 octobre, le juge des référés a rejeté leur demande pour privilégier l’efficacité de l’action administrative.

Le juge motive sa décision en reprenant les arguments gouvernementaux sans apporter d’éléments nouveaux relatifs aux droits des citoyens : « […] la circulation du virus sur le territoire métropolitain s’est amplifiée ces dernières semaines, (et que) la crise sanitaire s’aggrave nettement, en particulier dans les neuf métropoles des départements concernés ». Il constate qu’« en l’état actuel des connaissances scientifiques, les contaminations surviennent, pour une grande part, dans les lieux privés ». Il précise qu’une « mesure de couvre-feu semble avoir montré son efficacité pour limiter la propagation du virus lors de sa mise en œuvre en Guyane en mars dernier ». Le juge en déduit que « la disposition prescrivant aux préfets d’instaurer un couvre-feu ne porte pas une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales » (sic).

 

À quand la fin de l’état d’urgence ?

 

« Il y a une prolongation pendant quatre mois, alors qu’en mars on avait fait deux mois et on avait ensuite à nouveau prolongé de deux mois. Et là, le texte qui nous est présenté couvre en tout six mois, dont quatre de façon certaine avec l’état d’urgence sanitaire, souligne Raphaël Schellenberger, ça nous semble déraisonnable d’un point de vue du respect de la démocratie. Les garants des libertés des Français, ce sont les parlementaires. Ce n’est pas le gouvernement et on ne peut pas enfermer les Français, que ce soit le soir ou en journée, sans que le Parlement s’exprime sur ces questions là. »

Pour l’heure, rien ne permet de dire que le « faux » s’est substitué au « vrai », mais c’est peut-être à cet endroit que se situe l’imposture car le timing de communication gouvernementale ne laisse pas le temps aux décisions de faire leurs effets. Les critères de gestion de la crise demeurent invérifiables. Depuis six mois, la logique de management gouvernemental repose sur la peur. Chaque semaine on prend des décisions toutes plus dures les unes que les autres, sans jamais savoir si la décision précédente a pu produire des effets ou pas.

Pour sortir de cet insoutenable détournement, il importe de rétablir un climat plus serein et responsable en dépolitisant la gestion de crise — ce qui passe notamment par une décision concertée sur le calendrier électoral — mais aussi une meilleure information des citoyens et le rétablissement d’un véritable débat parlementaire.

Jean-Marie Dinh

 

 

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.