L’ampleur du nouveau tour de vis se précise. Le président de la République et le Premier ministre veulent mettre en œuvre un nouveau confinement national de la population. Les écoles resteraient ouvertes et un grand nombre de dérogations professionnelles seraient envisagées. Jean Castex a reçu les responsables politiques et les partenaires sociaux pour les « consulter » à la dernière minute sur « les durcissements envisagés ». Son espoir de dégager un consensus s’est logiquement traduit par un échec.


 

Confronté à la montée brutale de la deuxième vague de Covid-19, le président Emmanuel Macron a réuni hier un conseil de défense en présence du Premier ministre Jean Castex et d’une dizaine de ministres.

Un reconfinement national, avec des dérogations professionnelles et des écoles qui restent ouvertes : c’est le cadre du projet de l’exécutif mis sur la table qui précise que ce ne sera pas le même confinement qu’en mars. En clair, les écoles et les collèges devraient rester ouverts. Le sort des lycées est encore en suspens et dans les universités tous les cours se feraient en visioconférence. La liste des professions autorisées à poursuivre leurs activités pourrait aussi être plus large qu’au printemps dernier.

Ce scénario que le président de la République disait à tout prix vouloir éviter est désormais clairement le plus probable. Le chef de l’État prendra la parole à 20 heures.

 

Théorie adaptative libérale

 

Hier en fin d’après-midi, Jean Castex a reçu les responsables politiques. Dans la soirée, les partenaires sociaux ont été reçus à Matignon pour les « consulter » sur « les durcissements envisagés ». La tentative faite par l’exécutif pour trouver un consensus de dernière minute s’est logiquement traduite par un échec.  Il y avait certes  peu de chance que la réception de cette décision soit placée sous le signe de l’enchantement, mais elle aurait pu produire un effet de solidarité collective si la crise avait été gérée dans la transparence.

Or, depuis le printemps, c’est tout l’inverse qui s’est produit. Le gouvernement s’est largement arrangé avec la vérité qu’il est censé garantir en matière de santé publique. Il a cherché à exploiter la crise sanitaire pour des objectifs politiciens et s’est inscrit idéologiquement dans la théorie des anticipations adaptatives libérales. En se représentant le pays comme une start-up nation puis en appliquant un modèle économétrique à la crise sanitaire.

Ce moule idéologique développé par l’économiste Milton Friedman suppose que les agents ajustent leurs comportements aux politiques économiques. En théorie, cela permet d’anticiper les variations de monnaie et de prix. Appliqué à la gouvernance politique, la méthode rend vaine toute tentative de mesure. Elle conduit à une stratégie systématique de réduction des libertés en déniant toutes compétences légitimes, (presse, justice, opposition politique, débat scientifique et parlementaire…) en tant que contre-pouvoirs indépendants.

À la veille de l’annonce d’un probable reconfinement du pays, la réunion animée par le Premier ministre consacrée à la crise sanitaire a tourné au vinaigre. À l’issue de cette rencontre menée au pas de charge, les responsables des groupes parlementaires de la majorité et de l’opposition ainsi que les chefs de partis sont nombreux à reprocher à Jean Castex un manque d’anticipation sur les mesures sanitaires.

Si la version gouvernementale tend à justifier sa fuite en avant permanente à partir d’indicateurs affichant que l’épidémie flambe dans toute l’Europe, et à entériner ce nouveau durcissement par le fait que nos voisins prennent des mesures drastiques, les reproches qui s’amplifient et se multiplient ne sont pas seulement conjoncturels.

Le cœur de cette critique reste le fait « de ne pas mettre clairement les scénarios sur la table ». En démocratie, il ne suffit pas de mettre en œuvre une théorie d’anticipations « rationnelle » pour parvenir au consensus. On n’enferme pas la population en muselant les représentants politiques pour parvenir à ses fins. Qu’il s’agisse d’objectifs économiques, d’un système idéologique ou de mesures de santé publique, cela doit être accepté par la population et débattu avec ses représentants.

 

Le nouveau simulacre de consultation se traduit par un flop politique

 

C’est à l’aune de la réaction des représentants politiques conviés hier à Matignon que l’on mesure le flop politique essuyé par le Premier ministre. « Une réunion hallucinante », rapporte le patron des Républicains Christian Jacob, « surréaliste », abonde son homologue du Parti socialiste, Olivier Faure. « On est tous arrivés avec un bon état d’esprit mais là, ils ont fait un simulacre de consultation. Castex nous demande notre avis sur des mesures qu’il n’annonce pas et dit lui-même ne pas connaître ! », s’indigne le chef de file de la droite. Christian Jacob a demandé — en vain — au Premier ministre de « jouer cartes sur table ». « Nous aurions pu nous mettre d’accord les uns et les autres, former une sorte de consensus, de solidarité nationale et avancer ensemble face à l’angoisse qui saisit les Françaises et les Français, hélas, ça n’a pas été possible », déplore de son côté Olivier Faure. « Ils pensaient qu’on allait délocaliser le conseil de défense, n’importe quoi », s’exaspère un représentant de la majorité dont l’expression rapportée par Le Figaro traduit bien l’état d’esprit du locataire de l’Élysée.

Un débat suivi d’un vote sera organisé jeudi sur les nouvelles mesures prises pour endiguer l’épidémie mais sur l’état d’urgence sanitaire, les parlementaires regrettent de légiférer, encore une fois, dans l’urgence.

Les parlementaires se sont habitués à voir le film s’accélérer brusquement sous leurs yeux. Dans la nuit de lundi à mardi, les députés ont débattu du plan de relance, tout en mesurant le décalage entre ces milliards d’euros et la dégradation très rapide de la situation sanitaire. Et le Sénat, qui doit examiner cette semaine le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, verra encore son agenda bouleversé. Les députés débattront jeudi matin du tour de vis que s’apprête à décider le gouvernement pour lutter contre la propagation du coronavirus. Puis ce sera au tour des sénateurs l’après-midi. Cette idée de recourir à l’article 50-1 de la Constitution permettant cette discussion, suivie d’un vote, a été évoquée mardi par le Premier ministre, Jean Castex, lors du petit déjeuner des responsables de la majorité.

 

Impossible union nationale

 

« Nous venons de vivre un voyage en absurdie ! », a réagi Marine Le Pen. La porte-drapeau du Rassemblement national a précipitamment quitté la réunion. « Il va y avoir un problème d’acceptabilité par les Français […] On ne sait rien […] Il y a une forme d’agacement qui se fait entendre », a déclaré l’élue devant les caméras. Seuls François Baroin, président de l’Association des maires de France (AMF) et Fabien Roussel, représentant du Parti communiste, « se sont montrés à la hauteur pour accompagner  l’exécutif », rapporte Le Figaro.

Selon les chiffres présentés par Jean Castex, et sans durcissement des mesures, les hôpitaux seraient dans une situation de saturation dans trois semaines. Les Insoumis ont profité de cette réunion pour critiquer le Ségur de la santé, insuffisant à leurs yeux, et rappeler leur volonté que l’État distribue des masques gratuits à la population. La droite a plaidé pour le maintien des écoles ouvertes, même en cas de reconfinement. « L’opposition ne veut pas être partie prenante, ni jouer l’unité nationale ».

Le recours au reconfinement face à la deuxième vague de l’épidémie devrait être entériné lors d’un nouveau conseil de défense sanitaire, mercredi matin. Emmanuel Macron le présentera à la télévision, à 20 heures. Jeudi, un débat suivi d’un vote aura lieu à l’Assemblée, puis au Sénat.