Édouard Philippe  a donc présenté le plan gouvernemental de déconfinement mardi 28 avril, devant un nombre de député-e-s réduit (75) en raison de la pandémie de Covid-19. Devant la levée de boucliers qu’avait suscité la perspective de l’examen, le même jour, de l’application « Stop Covid-19 », le Premier Ministre a annoncé que cette question, plus que délicate, ferait l’objet d’un vote ultérieurement. Mais à chaque jour suffit sa peine : il faut d’abord gérer la « rentrée scolaire » du 11 mai. 


 

De toute façon, a-t-il reconnu,

« on ne sait pas comment cette application fonctionnera vraiment ». 

 

Les députés de plusieurs groupes ayant déjà fait part de leur colère (légitime) face au peu de temps prévu pour étudier le plan de déconfinement, il n’était peut-être pas indispensable de « charger la mule » davantage. On peut y voir une petite victoire, comme dans le fait, curieusement pas relevé par les commentateurs, que le Premier Ministre ait pris soin d’employer les termes de « distanciation physique » plutôt que de « distanciation sociale » qui avaient cours jusque là. En effet, pour ce qui est de la distanciation sociale, notre pays est déjà servi. Pour ceux qui l’ignoraient encore, probablement parce qu’ils ont mis leur masque sur les yeux, la crise actuelle est un révélateur d’inégalités en tous genres. 

Alors que retenir du discours d’Edouard Philippe? Que l’on va « devoir vivre avec le virus », que nous sommes « loin de l’immunité de groupe ». Et que la circulation du virus n’étant « pas uniforme dans le pays », les différences entre les territoires nécessitent de « les prendre en compte pour le déconfinement ». Il y aura donc des départements « rouges » (les plus touchés) et des départements verts (les plus épargnés où le déconfinement sera plus large. Trois critères seront pris en compte : la circulation du virus, le niveau de tests possible et les capacités hospitalières. Depuis le 30 avril, les cartes des départements sont  présentées tous les soirs, avec une échéance fixée au 7 mai où la classification, provisoirement définitive si l’on peut dire, sera établie dans la perspective du 11 mai, date du déconfinement confirmée. Déconfinement certes, mais à condition que les indices soient au vert, sinon « nous ne déconfinerons pas le 11 mai » a prévenu le Premier Ministre. Depuis l’allocution du Premier Ministre, on a appris, par exemple, que le département des Bouches-du-Rhône était, selon la carte du 30 avril, classé « orange ». De quoi se perdre dans le code couleurs. Et faire appel aux professeurs d’arts plastiques : orange, c’est plus proche du rouge ou du vert ? En Occitanie, les Lotois ont eu la désagréable surprise de voir leur département classé « rouge » dans un premier temps, avant rectification.

Le plan du gouvernement se déroulera en plusieurs phases : du 11 mai au 2 juin puis du 2 juin à l’été. Et il reposera sur un triptyque revendiqué par Edouard Philippe : « protéger, tester, isoler ». Un triptyque de la stratégie qui « ressemble à une énumération des lacunes françaises » selon le journal Le Monde (1). Si le Premier Ministre  qui pratique moins l’art du verbiage creux que son Président, a fourni des éléments concrets et attendus, les questionnements demeurent, exprimés aussi bien par des maires sur la date de la rentrée scolaire partielle maintenue au 11 mai,  que par des syndicalistes de la SNCF ou de la RATP quant à la « distanciation physique » à respecter dans les transports en commun. Deux dossiers qui ressemblent fort à la quadrature du cercle ou au casse-tête. 

 

Le lundi 11 mai : fausse « rentrée » et vrai casse-tête

 

Concernant la rentrée du 11 mai pour les élèves de grande section de Maternelle, les CP et les CM2, certains maires ont déjà décidé de ne pas rouvrir les crèches et les écoles à cette date. Dans les Bouches-du-Rhône, c’est le cas du maire de Rognac, Stéphane Le Rudulier (LR) qui indique : « après avoir consulté la communauté éducative, face à cette crise sanitaire d’une telle ampleur où tant d’inconnues subsistent quant à l’évolution de cette pandémie, où les risques de rebond sont à redouter, cette décision qui n’était pas simple à prendre, me paraît la plus adaptée à la situation et la plus sage ». (2) De l’autre coté de l’étang de Berre, le maire de Martigues, Gaby Charroux (PCF) souligne:  » les incertitudes et les questions que je me posais n’ont pas été levées par le Premier Ministre ». Ancien conseiller d’orientation, il considère que « l’intérêt du système éducatif français aurait été qu’ils n’ouvrent pas les écoles dans ces conditions ». « C’est sans doute un exercice extrêmement difficile auquel est soumis le gouvernement mais qui dépend de la stratégie définie en tout début de période » précise-t-il. « j’attendais que l’on puisse avoir des solutions en ce qui concerne le décrochage scolaire et une certaine forme de rattrapage. Une fois encore, on va laisser aux collectivités, au travers de leurs centres sociaux ou maisons de quartiers, le soin de s’en charger ». (2). 

On le voit, quel que soit le degré d’attachement que l’on puisse avoir envers l’école publique, l’affaire n’est pas simple. N’en déplaise à un journaliste de France Info qui s’est permis de quasiment intimer l’ordre aux enseignant-e-s de reprendre, sur le mode « les soignants râlaient avant mais ils sont au rendez-vous ». Comment pourrait-il en être autrement puisqu’il s’agit ici, au sens propre, d’une question de vie et de mort? La question  posée ce jour là à Sophie Vénétitay, co-secrétaire du SNES-FSU, syndicat majoritaire, « Est-ce qu’on peut compter sur vous ? » frôlait l’indécence. Une incitation au sacrifice, au risque de leur santé et de celle de leurs élèves ? Question annexe : les maires qui refusent de rouvrir les écoles le 11 mai, seraient-ils des « défaitistes »? 

Si les interrogations règnent, ce qui est certain, en revanche, c’est qu’aucune solution n’est optimale. La fameuse « continuité pédagogique » apparaît comme un pis-aller, surtout dans les familles populaires qui ne disposent pas des équipements.  L’absence d’école est préjudiciable mais, dans la bouche d’Emmanuel Macron, l’argument des inégalités sociales peine à convaincre.

Face aux hésitations gouvernementales sur la nécessité du port du masque par les enseignant-e-s ou au « calendrier intenable » dénoncé par 332 maires d’Ile de France notamment, les paroles du chanteur Renaud des belles années, redeviennent d’actualité : « C’est quand qu’ on va où? »

 

Et dans les autres pays européens? 

 

Sur cette question du retour à l’école, il n’est pas inutile de faire un détour par les décisions prises dans d’autres pays européens. Le SNU-Ipp, principal syndicat des professeurs du Primaire considère « qu’aucun pays d’Europe ne traite le processus de déconfinement avec autant de légèreté » (3). Pays européen le plus meurtri par la pandémie, l’Italie a décidé de fixer la rentrée en septembre car selon le chef du gouvernement, Giuseppe Conte, « tous les scenarii préparés par un comité d’experts prévoyaient des risques élevés de contagion ». (4) En France, le comité scientifique s’était également prononcé pour une rentrée en septembre. Beaucoup moins touchés que l’Italie, l’Espagne ou le Royaume Uni, l’Irlande, le Portugal et la Roumanie sont favorables à une rentrée en septembre. 

L’Allemagne qui a beaucoup mieux  géré la crise que la France a opté pour une reprise cette semaine dans certains Länder (les régions) mais sans retour à la situation antérieure. « Il y aura un mélange d’enseignement en classe et d’apprentissage à domicile dont les contours doivent être précisés » indique Télérama. En Belgique, la reprise progressive sera différenciée selon les régions : le 15 mai en Flandre à raison de 1 à 4 jours par semaine, le 18 mai en Wallonie-Bruxelles mais uniquement pour certains niveaux, par groupe de 10 enfants et à raison de deux jours par semaine. La Ministre de l’Education Caroline Désir fait preuve d’une prudence et d’une certaine modestie dont certains de ses confrères devraient s’inspirer : « si la sécurité n’est pas garantie, la reprise des leçons est retardée jusqu’ à ce que des solutions soient trouvées ». 


Morgan G.

Notes:


(1) Le Monde du jeudi 30 avril 2020

(2) Source : Maritima Info

(3) L’Humanité du mercredi 29 avril 2020

(4) Télérama


 

JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"