Au 13e jour des débats sur la réforme des retraites à l’Assemblée nationale, le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé samedi le recours au 49.3 pour faire passer le texte sans vote. Mais rien n’est encore gagné pour le gouvernement qui s’apprête à enregistrer une défaite aux Municipales et à affronter le Sénat, s’il n’est pas rattrapé par la reprise des mouvements sociaux…

Le camp gouvernemental avait déjà eu recours à la suppression du temps de parole et au refus d’augmenter le temps d’examen du texte pour accélérer le tempo, mais le bruit courait ces derniers jours qu’il allait sortir l’artillerie lourde. Entre une alerte orange météo et un nouveau bulletin d’infos sur l’avancée  du Coronavirus, Édouard Philippe l’a officialisé hier, le gouvernement a choisi d’utiliser l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter la réforme des retraites.

D’après le Premier ministre, cette décision a été prise « non pour mettre fin au débat, mais pour mettre fin à cet épisode de non-débat, à un Parlement privé de sa fonction éminente de faire la loi ». Pour le gouvernement, rappelons quand même qu’il s’agit de faire voter rapidement les députés sur un texte aux « projections financières lacunaires », taxé d’inconstitutionnalité par le Conseil d’État.

Le projet de loi sur la réforme des retraites sera considéré comme adopté, sauf si une motion de censure*, déposée dans les 24 heures, est votée par l’Assemblée nationale. Pour contrer les accusations de censure, on entend faire valoir les chiffres. C’est en effet la 89e fois depuis le début de la Ve République qu’un gouvernement engage ainsi sa responsabilité mais c’est la première fois qu’on le fait avec un texte si mal ficelé en dépit d’une opposition massive des Français et de la majorité des corps constitués de la fonction publique.

Droit dans ses bottes, le gouvernement dit contourner l’obstruction mais il contourne aussi l’expression de la majorité des Français, des Républicains et même du MEDEF. Il y a peu, le secrétaire général de la CFDT — un allié objectif du Président —  Laurent Berger, qualifiait le recours au 49.3 de « délire » mais le PDG de la « start-up nation » reste sourd à toute forme de dialogue. Après avoir fait monter la violence policière à un niveau inégalé depuis la guerre d’Algérie, Emmanuel Macron a joué le pourrissement qui l’a conduit à essuyer le mouvement social le plus long de la Ve République. On n’avait jamais vu  à Paris un gouvernement d’une telle indifférence. Laisser plus de 10 millions de personnes privées de transport pendant un mois et demi dans l’espoir que l’opinion se retourne contre les grévistes était un défi risqué. Ce pari a été perdu.

Le caractère bonapartiste de cette méthode a le mérite de dévoiler la faiblesse du gouvernement. Cette nouvelle et aveugle fuite en avant ne devrait pas pousser les candidats macronnistes à brandir leur badge de marcheur en allant à la rencontre de la population sur les marchés. Rien n’est encore gagné pour le gouvernement qui doit s’attendre à une somptueuse défaite les 15 et 22 mars prochains.  Pour faire passer sa réforme des retraites, il va falloir passer au Sénat où il ne détient pas la majorité, avec une énorme épine dans le pied, tandis que la majorité de la population, toujours largement opposée à la réforme des retraites, passe indistinctement du mouvement social à une résistance informelle face l’autoritarisme libéral.

Jean-Marie Dinh

*En France la Motion de censure a été  réformée en 1958 dans le but d’assurer la stabilité gouvernementale. En application de la technique de rationalisation du parlementarisme, le Constituant de 1958 a strictement encadré les conditions de dépôt et de vote de la motion de censure. L’article 49 de la Constitution prévoit notamment qu’une telle motion “n’est recevable que si elle est signée par au moins un dixième des membres de l’Assemblée Nationale” (soit 57,7 arrondi à 58), que “le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt” et que “seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée”.

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.