En pleine « négociation » avec les partenaires sociaux, le gouvernement avait envoyé le 3 janviers dernier son projet de loi rédigé au Conseil d’État. La stratégie consistait à occuper les partenaires sociaux dans un dialogue stérile et en même temps, à les prendre de vitesse. Mais cet empressement quasi adolescent pour ne pas être contrôlé et provoquer une rupture, n’a visiblement pas fonctionné. Le Conseil d’État, juge ultime des activités des administrations disposant de prérogatives de puissance publique, a rendu un avis publié vendredi 24 janvier. Il estime notamment ne pas avoir eu le temps de « garantir au mieux la sécurité juridique » de la réforme des retraites.

 L’institution déplore aussi les « projections financières lacunaires » du gouvernement et un recours aux ordonnances qui « fait perdre la visibilité d’ensemble ». Le Conseil d’Etat n’a disposé que de trois semaines pour rendre son avis sur les deux projets de loi (organique et ordinaire), que le gouvernement a en outre modifiés à six reprises durant cette période, ce qui « ne l’a pas mis à même de mener sa mission avec la sérénité et les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique de l’examen auquel il a procédé », estime-t-il.

Une « situation d’autant plus regrettable » qu’il s’agit d’une réforme « inédite depuis 1945 et destinée à transformer pour les décennies à venir (…) l’une des composantes majeures du contrat social », ajoute la plus haute juridiction administrative française, dans ce document publié sur le site Légifrance.

Un avis sévère, qui n’épargne pas l’étude d’impact accompagnant les deux textes : la première mouture était « insuffisante » et même une fois complétée, « les projections financières restent lacunaires », en particulier sur la hausse de l’âge de départ à la retraite, le taux d’emploi des seniors, les dépenses d’assurance-chômage et celles liées aux minima sociaux.

Le Conseil d’Etat pointe également le choix de recourir à 29 ordonnances, y compris « pour la définition d’éléments structurants du nouveau système de retraite », ce qui « fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme et, partant, de sa constitutionnalité et de sa conventionnalité ».

Celle portant sur la « conservation à 100 % des droits constitués » au moment de la bascule entre le système actuel et le futur « système universel » est jugée « particulièrement cruciale », à tel point « qu’en l’absence d’une telle ordonnance », la réforme « ne s’appliquera pas » aux personnes nées à partir de 1975.

Enfin, l’engagement de revaloriser les enseignants et des chercheurs via des lois de programmation est condamné à disparaître du texte car « ces dispositions constituent une injonction au gouvernement de déposer un projet de loi et sont ainsi contraires à la Constitution ». Un nouveau revers de taille pour Emmanuel Macron et le gouvernement alors que la contestation contre la réforme des retraites a connu une nouvelle journée de mobilisation dans toute la France, avec un net regain de mobilisation. Les syndicats ont également appelé à poursuivre le mouvement la semaine prochaine.