La troupe de Shems’y au bois de l’Aune.
Photos : Christiane Robin

Trois représentations à guichets fermés. Un public enthousiaste qui en redemande et applaudit chaleureusement debout, longtemps, très longtemps.

La salle du théâtre du bois de l’Aune à Aix-en-Provence, illuminée par le trépidant voyage aux confins du geste et de la prouesse, a clôturé le mois d’octobre par « La rose des vents » dans une belle vague de jouvence.


Sensuel, impétueux, « La Rose des Vents », spectacle accompagné des musiciens du groupe Aksak, chorégraphié par Aïcha Aouad Sicre et interprété par les apprentis-athlètes du cirque Chems’y-Karacena de Salé (Rabat), a semé énergie et poésie il y a quelques jours à Aix-en-Provence.


Chapeautés également par un athlète de renommée, Imad Bouari qui les entraîne tout au long de l’année au Maroc, Chaouki Amellal, Salaheddine Arbidi, Mouad Es-salih, Badr Kharbouche, Abdelmalek Barrach, Annass Benkadour, Soufiane Marhane, tous circassiens de formation, ont donné le meilleur d’eux-même ces soirs-là.

Une scène épurée, portée par la grâce et la sensualité, mariant par une agile écriture, les points cardinaux des cartes de marins aux performances de voltigeurs devenus ici, danseurs.

L’histoire se dévoile sous forme de tableaux introduits par l’aérien souffle d’une flûte kaval, rejoints très vite par les vibrations d’un oud tempéré, avant que clarinette, violon et contrebasse ne s’entremêlent en un paisible rythme d’orient, clôturé par un joyeux air Balkan.

Une scène interculturelle, intergénérationnelle où s’effacent les frontières entre danseurs et musiciens. La rose prend alors corps, entre jetées, portées, pas de danse, double saltos, et toutes sortes de figures de cirque, dans un magique jeu d’équilibre impulsé avant tout, par la subtile chorégraphie. Le tout dans un temps suspendu où le spectaculaire laisse place à la conscience délectable de chaque mouvement.

La découverte des possibles

 

Photos : Christiane Robin

Accueillis durant près d’une semaine en Provence, les jeunes interprètes marocains ne sont pas comme les autres.

Issus de quartiers modestes au Maroc, ils ont tous trouvé dans la formation de l’école Shems’y et le festival Karacena à Salé, une nouvelle voie. « Une voie de secours » comme l’explique l’intrépide Mouad Es-salih, exceptionnel danseur de salsa, également. Il ajoute : « Sans Chems’y et sans cette discipline du corps et de l’esprit, je ne m’en serais jamais sorti ».

Souvent déscolarisés, tous sont dans une énergie à revendre, vivant dans un monde où la plainte est proscrite, où le sourire est une force. « On fait un métier qu’on aime, ce n’est pas simple toujours, mais on s’accroche », soumet Soufiane Marmane, seul diplômé de l’école, qui a depuis créé sa propre association à Salé.

Jusque là habitués à des spectacles de cirque bien plus que chorégraphiés, tous ont dû se délester de leurs habitudes visant à donner du spectaculaire pour pouvoir entrer dans le vent de la rose.

En rencontrant l’artiste franco-marocaine Aïcha Aouad-sicre, native de Rabat, ils ont eu un coup de cœur. Mais, non sans une petite appréhension, très vite volatilisée. La chorégraphie a nécessité une plongée d’emblée dans une riche exploration intérieure et une recherche corporelle par l’expression, inédite pour les jeunes athlètes-apprentis.

Chaouqui Amellal témoigne : « Je n’aurai jamais pensé être capable de devoir renoncer à tout ce qui me permettait d’être sur scène jusque-là. J’ai appris la lenteur, la douceur, le lien sur scène, l’esprit d’équipe pour présenter du beau, des gestes, une présence et la conscience d’un corps qui est parfois malmené dans nos disciplines. Nous avons dû avoir une attention de chaque instant vis à vis de nous même et vis à vis du groupe. Aïcha nous a permis d’être dans une grande et belle écoute mutuelle ».

Parcours pour la résilience

A l’initiative de l’école Shems’y, Touraya Bouabid, une femme engagée qui a fait ses premières armes, d’abord enfant avec sa mère militante associative, puis sur le terrain en France en tant que bénévole pour Action contre la Faim, les Restos du cœur ou encore l’institut Pasteur, alors qu’elle est étudiante en biochimie.

De retour au Maroc, elle se lance dans le combat contre la Tuberculose qui touche principalement les enfants des quartiers défavorisés, créant en 1986 l’AMAT, l’Association de Rabat-Salé d’Aide Médico-Sociale aux Tuberculeux. Sept ans plus tard, elle fonde l’Amesip (Association Marocaine d’aide aux Enfants en Situation Précaire) pour s’attaquer au problème en amont, prenant en charge les enfants démunis et veillant à leur bien-être comme à leur scolarité. Plusieurs centres émergent de Rabat à Salé. Dans les quartiers Moulay Ismail ou Youssoufia, les jeunes apprennent à lire et à écrire. A quelques encablures à Aïn Atik, le premier centre de désintoxication en Afrique, initie les plus vulnérables aux activités et aux métiers équestres.

Dans la foulée, l’école de cirque Shems’y s’impose parmi les projets phares d’inclusion sociale entrepris par Touraya Bouabid en 1999. De la sociabilisation des enfants des rues, l’école qui travaille sur l’implication, dispense désormais une formation professionnelle gratuite (3 à 4 ans) avec un diplôme reconnu par l’État.

Un second projet « Kan ya makane Ghadda » (en français : Il était une fois demain) a vu le jour récemment à Fès avec à la clé, une formation de régisseur polyvalent son et lumière. Ces différents dispositifs, véritables leviers dans un parcours résilient, ont été visités et félicités le 7 novembre 2019 par Anne Hidalgo, maire de Paris, qui voit là une source d’inspiration pour les jeunes en situation de précarité.

Parallèlement en 2006 la biennale Karacena, festival artistique, est créée par Touraya Bouabid, dirigé par Alain Laëron. Entre les deux rives du fleuve Bouregreg qui sépare Rabat de Salé, l’évènement incontournable, dresse un bilan prometteur. Outre l’intégration des jeunes apprentis, depuis une dizaine d’années bidonvilles et paupérisation ont aussi tendance à reculer.

Les prochaines dates

A l’issue de plusieurs scènes saluées au Maroc, l’équipe de la « Rose des vents » a pu traverser la Méditerranée pour présenter le spectacle. Auparavant, lors des premières répétitions il y a près de deux ans, le travail des jeunes circassiens danseurs, séduit le directeur du Centre chorégraphique national de Créteil et du Val-de-Marne, Mourad Merzouki, alors de passage au Maroc.

Aussitôt, le chorégraphe également directeur de Pôle Pik à Lyon, les invite en résidence dans dans ce lieu où les jeunes marocains sont installés jusqu’à fin novembre 2019.

En attendant, « La rose des vents » est programmée à nouveau à Istres les 8 et 9 février 2020 dans le cadre de la 21ème édition du festival Les élancées. Auparavant c’est à Salé, les 14, 15 et 16 décembre 2019, que les circassiens danseurs présenteront la pièce à l’occasion de la 20ème année d’existence de l’école Shems’y.

H.B.


Prochaines représentations :

  • A Istres (France), les 8 et 9 février 2020 dans le cadre du festival Les élancées au théâtre de l’olivier. Tarifs de 5 à 12 euros. www.istres-tourisme.com/les-elancees-1.html. Tel : 04 42 55 24 77
  • A Salé, les 14, 15 et 16 décembre 2019 dans le cadre des 20 ans de l’école Shems’y Sidi Moussa, à la Kasbah des Gnaouas. https://www.facebook.com/pg/ENCshemsy/events/?ref=page_internal Tel : 212 5378-83508
  • « La rose des vents » a été programmée à Aix-en-Provence par le théâtre du Bois de l’aune en partenariat avec le Forum de Berre.

 

H.B
Journaliste de terrain, formée en linguiste, j'ai également étudié l'analyse du travail et l'économie sociale et solidaire. J'ai collaboré à différentes rédactions, recherches universitaires et travaillé dans divers domaines dont l'enseignement FLE. Ces multiples chemins ailleurs et ici, me donnent le goût de l'observation et me font aimer le monde, le langage des fleurs et ces mots d'André Chedid : «Cet apprentissage, cette humanité à laquelle on croit toujours».