L’Interruption volontaire de grossesse demeure strictement interdite dans la principauté andorrane. Fait rarissime, une manifestation de rue y avait lieu samedi 30 septembre, en soutien à une activiste du droit des femmes, poursuivie par la Justice.


 

« Macron, co-prince, bouge ton cul – Les Andorannes sont dans la rue !« . Décidément, ça n’arrête pas pour Emmanuel Macron. Ses oreilles ont dû siffler à nouveau ce samedi 30 septembre 2023, vers midi ; mais c’était par des slogans et pour une situation venus de là où on ne s’y attend pas forcément : la principauté d’Andorre, confetti pyrénéen de 80 000 habitants environ (un douzième de la population de l’Hérault) et 468 km² (un quinzième de la superficie de l’Hérault), culminant à 2 943 mètres d’altitude.

Si l’Andorre est un état indépendant, non-membre de l’Union européenne, la fonction de chef d’État n’en est pas moins partagée par le président de la République française, d’une part, et d’autre part, l’évêque de la Seu d’Urgell, cité catalane espagnole située à un jet de caillou de la Principauté. Ce système insolite remonte au XIIIe siècle déjà. Du reste, un solide vent conservateur n’a jamais cessé de souffler sur ces sommets. Conservateur, telles les dispositions légales touchant à l’interruption volontaire de grossesse, strictement interdite en Andorre. Cela même en cas de viol ou de risque vital pour la mère. De sorte que seule l’île de Malte le dispute, en Europe, en matière d’ultra-conservatisme sur ce plan.

À Andorre-la-Vieille, capitale de ce territoire montagnard, il se déroule en un an moins de manifestations de rue qu’en une seule semaine normale à Montpellier. Rarissime, donc, le rassemblement de cent cinquante personnes, en majorité des femmes, samedi dernier 30 septembre 2023, sur la place centrale de la Rotonda. Et insolite, le cortège parcourant la rue Meritxell, axe principal de la cité, interminable galerie commerciale à ciel ouvert, genre de Dubaï des cimes défraîchi, où trois millions de touristes — pardon, de consommateurs — sont attirés chaque année par ce haut-lieu du commerce détaxé (TVA à 4,5 %, cartouches de dix paquets de Marlboro à 34 €).

En Andorre, le droit à l’IVG a un visage, qui devient international : celui de Vanessa Mendoza Cortes, psychologue, présidente de l’association « Stop Violences » de défense des droits des femmes. Voici quatre ans qu’une procédure judiciaire a été engagée à son encontre, pour « diffamation, portant atteinte au prestige des institutions andorranes ». C’est qu’en octobre 2019, l’activiste andorrane était invitée à déposer devant le très officiel CEDAW1, organisme onusien dont la mission est d’œuvrer à « l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes ». Le cas de l’Andorre figurait à l’ordre du jour de cette session.

On ne pensait pas que l’Andorre fût une obscure dictature d’un coin reculé du tiers-monde. Mais Amnesty International a dû dire son inquiétude face au détournement de la notion juridique de diffamation, quand dans ce cas, elle est « utilisée dans le but de museler toute critique du gouvernement ou des fonctionnaires de l’État, en violation du droit à la liberté d’expression ». Battant le pavé, Silvia nous indique : « Il y a certes un gouvernement andorran autonome, mais il est dirigé par un genre local de Partido Popular (le parti de la droite espagnole), ultra-libéral économiquement, ultra-conservateur en matière de société. Mais admettons l’hypothèse que le gouvernement andorran décide d’autoriser l’IVG, alors l’évêque de La Seu d’Urgell a annoncé qu’il démissionnerait de sa fonction de co-prince ; ce qui créerait un blocage institutionnel total. »

Andorre « C’est nous qui mettons au monde – C’est nous qui décidons » Photo altermidi Gérard Mayen 30/09/23

« Fora el rosari, dels nostres ovaris ! » (en catalan, langue officielle de l’Andorre : « Le rosaire n’a rien à faire dans nos ovaires !« ). À l’image de celui-ci, de nombreux slogans de la manifestation du 30 septembre dénonçaient cette main-mise catholique sur le corps des femmes. En y opposant : « Nosaltres parim – Nosaltres decidim » (« C’est nous qui mettons au monde – C’est nous qui décidons« ).

Ce régime andorran sous influence cléricale n’a pas l’air d’émouvoir plus que ça Emmanuel Macron, grand-pape de la laïcité à la Française, et finalement co-président d’Andorre. Interpelé dès 2019 à ce propos, il répondait : « En tant que co-prince, qui serais-je pour dire à votre peuple ce qu’il convient de faire ? Il vous appartiendra, lors d’élections, d’obtenir la majorité qui vous permettra ces évolutions. » En mai dernier, Sylvie Ferrer, députée LFI des Hautes-Pyrénées, sollicitait Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires extérieures, sous l’angle précis de la grave entorse aux droits de l’homme dont Vanessa Mendoza Cortes, citoyenne andorrane, est l’objet. En réponse, et sans même citer le cas en cause, il a fallu se contenter du pieux engagement selon lequel « la France continuera d’évoquer le sujet des droits de l’homme avec les autorités andorranes ».

Sans aucune suite concrète. Évoquons, évoquons… On pourrait rêver de coprésidence plus énergique ! Pour le rassemblement de ce samedi 30 septembre, on a remarqué la présence de délégations de collectifs féministes mais aussi d’organisations syndicales (CGT, Solidaires, FSU), ayant fait le chemin depuis les départements français les plus proches (Pyrénées-Orientales, Ariège, Haute-Garonne).

Parmi ces militant.e.s, on se souvient qu’un balbutiement de reconnaissance des droits syndicaux en Andorre remonte à peine aux dernières année du siècle passé ; cela tandis qu’une grève organisée en 2017 fut la première depuis quatre-vingt cinq ans (!) À ce jour encore, le licenciement est libre en Andorre, les contrats de travail sont de forme orale, et les salaires négociés de gré à gré. Sans parler du sort des migrants, latino-américains le plus souvent, qui font tourner ce paradis fiscal, dont la population de souche, largement minoritaire, se protège volontiers dans des villas de luxe en haute-montagne, comme d’autres ailleurs sous les palmiers.

En quoi l’archaïsme religieux, la négation des droits des femmes, se conjuguent si sûrement avec les plus rudes conditions d’exploitation capitaliste et l’affairisme décomplexé. Faudrait-il rajouter la cerise climaticide d’un projet d’aéroport de haute altitude, afin de développer encore un tourisme de luxe en lien avec les pays du Golfe. Un autre pannonceau manifestant synthétisait : « Menys aeroports – Mes drets humans !« . Soit : « Moins d’aéroports – Plus de droits humains !« 

Gérard Mayen

Notes:

  1. CEDAW : Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination Against Women.
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Gérard Mayen (né en1956) est journaliste, critique de danse, auteur. Il est titulaire d'un master 2 du département d'études en danse de l'université Paris 8 Saint-Denis-Vincennes. Il est praticien diplômé de la méthode Feldenkrais. Outre des chroniques de presse très régulières, la participation à divers ouvrages collectifs, la conduite de mission d'études, la préparation et la tenue de conférences et séminaires, Gérard Mayen a publié : De marche en danse dans la pièce Déroutes de Mathilde Monnier (L'Harmattan, 2004), Danseurs contemporains du Burkina Faso (L'Harmattan, 2005), Un pas de deux France-Amérique – 30 années d'invention du danseur contemporain au CNDC d'Angers(L'Entretemps, 2014) G. Mayen a longtemps contribué à Midi Libre et publie maintenant de nombreux articles pour"Le Poing", Lokko.fr ... et Altermidi.