Photographie et peinture s’entremêlent au bromure d’argent pour un résultat saisissant de sensibilité.


 

Autoportrait

 

Et la liaison entre contraste et sensibilité de ses négatifs, Nicolas Guyot la maîtrise, tout comme la formule chimique de ce bromure d’argent, sel insoluble et photosensible. La boucle semblerait fermée et pourtant, il s’amuse de tout ces médiums, les transforme, les étire et va jusqu’à tirer, projeter plusieurs fois ses clichés sur toiles et autres supports qui trouveraient grâce à ses yeux. « Un travail corporel, plastique et pictural » où la temporalité s’efface pour laisser place à un cheminement, un univers unique et vivant.

 


 

 

Que raconterais-tu du Nicolas d’hier pour expliquer celui d’aujourd’hui ?

 

Avant le celui d’hier, il y a eu celui d’avant-hier et d’avant-avant-hier, mais je pense qu’il y a une fine ligne directrice qui s’est affermie…  Ce qui m’a amené à la photographie, c’est la possibilité de voir ce que je ne pouvais pas voir facilement à l’œil, c’est à dire le petit, le caché, le rapide et le furtif. Tout jeune, avec mon appareil argentique, je cherchais les plantes, les insectes, les oiseaux, les mammifères curieux de mes montagnes savoyardes, et tentais de m’immiscer dans leur rapport au monde, d’adopter comme je le pouvais leur vision. Aujourd’hui après des errements formels et professionnels dans le monde du sport, du reportage et aussi de l’institutionnel, et surtout après la rupture de mon rapport à l’image photographique, je retrouve grâce à l’art et au rapport physique à l’œuvre, la possibilité de montrer avec plus de sensibilité ce qui est petit, caché, rapide et furtif en nous.

 

Aujourd’hui, ce sont deux projets artistiques qui te font venir à Hyères, dis-m’en plus…

 

Ce sont deux projets distincts qui se sont rejoints par hasard, mais qui tous deux sont littéraires. La rencontre avec l’auteur et metteur en scène Hyérois Gilles Desnots qui m’a envoyé le manuscrit de sa dernière pièce de théâtre Constellation de nos lendemains pour y penser un univers pictural. De fil en aiguille il m’a invité à exposer, au Moulin des contes, des œuvres qu’il utilise également dans la mise en espace de son texte. L’autre projet est avec le poète marseillais Laurent Bouisset, une collaboration qui durent depuis bientôt dix ans, il a sollicité mon travail sur son dernier recueil Matin clone qui vient d’être publié aux éditions Toulonnaise Parole d’auteur. De Toulon à Hyères il n’y a qu’un pas pour associer l’exposition en cours avec la présentation du livre qui aura lieu, les temps d’une lecture et d’un pot d’accueil, mercredi 22 mars à 19h. C’est un peu comme d’avoir un livre audio en 3D avec des vrais gens ! Ces auteurs sont très différents, mais les engagements artistiques, politiques et la mise en question de notre rapport au monde qui caractérise leur écriture sont d’une sincérité qui me donne de l’énergie.

 

Continu homme –
65 x 40 cm – bromure d’argent & pigments sur toile -2022

 

 

Quelles furent les étapes d’évolution de ton travail photographique et comment as-tu développé ta technique si singulière ?

 

J’ai commencé juste avant l’arrivée du numérique, pellicules noir et blanc, diapositive couleur… puis ma période numérique et professionnelle a été un long moment d’oubli de l’image. Travailler avec des commanditaires en attente de quantité qui font une utilisation hors contexte d’images censées représenter le réel, du mensonge en quelque sorte. J’ai mis un arrêt à cette farce dramatique au moment où je rencontrais des artistes et auteurs qui ont sollicité ma collaboration dans leurs projets artistiques. À cette époque j’habitais à Brazzaville au Congo et l’énergie artistique, la puissance du langage, le contexte social et les rapports humains ont opéré en moi une rupture, pas une transition, une rupture, vers ce vaste inconnu qu’est l’art. Ça a été la libération de l’image, et la photographie devait rompre avec moi : impérieusement fabriquer à la main, façonner, presque sculpter les photos. Les vieux souvenirs de tirages argentiques développés dans ma salle de bain d’étudiant sont remontés à la surface, mais je voulais fabriquer la matière même de la photographie. Il existe de nombreux procédés différents, j’ai choisi la gélatine au bromure d’argent, matière malléable d’une plasticité fascinante et j’en ai fait ma peinture. Désormais j’utilise donc un procédé photographique avec une matière photographique, c’est à dire sensible à la lumière, mais je la peins sur des supports que je fabrique ; dans mon travail la peinture c’est le geste, c’est l’intention, mais la matière, elle, est photographique.

 

Mnémonique – Bromure d’argent sur toile artisanale, 80×63, 2020

Une véritable dialectique s’opère entre toi et tes photos ; tu détruis, reconstruis, superposes jusqu’à ce que… Comme un besoin d’amplification de l’image et/ou de transformer son mode de rapport au réel ?

 

Plutôt un déplacement qui naît effectivement d’un dialogue avec l’image. Je commence avec une idée un peu vague en tête qui ne demande qu’à s’affirmer dans sa propre complexité. La construction d’une image est jalonnée de phases d’attente, l’atelier est rempli de tableaux/tirages en cours qui me parlent constamment jusqu’à ce que j’arrive à répondre. Et lorsque que je travaille physiquement sur les toiles, par destructions/reconstructions, déplacements, etc., c’est encore une autre façon de communiquer. Une des spécificités du travail, c’est que l’acte de peindre se fait en chambre noire, un lieu clos hors du temps et à la vision restreinte. Mes gestes alors, dans cet environnement, ne tracent aucune forme visible directement, tout n’est qu’anticipation et improvisation. Le résultat n’est visible que longtemps après lors d’une nouvelle phase gestuelle de développement… le rapport au réel se fait alors plus précis car il montre sa multiplicité immanente.

 

Dans son ouvrage Pour une anthropologie des images, Hans Belting1 dit :  « Nous vivons avec des images et nous comprenons le monde en images. Ce rapport vivant à l’image se poursuit en quelque sorte dans la production extérieure et concrète d’images qui s’effectue dans l’espace social et qui agit, à l’égard des représentations mentales, à la fois comme question et réponse, pour employer une formulation toute provisoire. » Il me semble que ton travail floute nos représentations mentales de par l’utilisation (superposition) des deux médiums. Qu’en penses-tu ?

 

Je me nourris peu d’images, je ne regarde pas la télé, consulte peu les réseaux sociaux, ne lis pas de magazines avec des pubs et ferme les yeux devant celles imposées sur internet. Le réel est ailleurs et ma nourriture se trouve dans la littérature, la philosophie, les essais socio-politiques et les rencontres avec les êtres vivants. J’ai bien conscience que notre monde vit avec les images et qu’il en produit en excès jusqu’à l’indigestion. Alors j’essaye dans mon rapport à l’observateur que mes images soient dans la lenteur, voir du non-temps, et de pouvoir arrêter son regard assez longtemps pour qu’ils puissent développer ses propres représentations. Créer cet imaginaire du passé comme du futur par le questionnement visuel, par l’interrogation sans mot, est aussi un moyen de trouver des réponses neuves hors de la représentation imposée au dehors. Je pense justement qu’il faut que nos représentations mentales soient floutées de ce que l’on nous abreuve quotidiennement jusque dans nos poches, et redonner de la puissance à l’imaginaire. Car un jour il faudra reconstruire avec des idées neuves.

 

Ce 10 avril, tes œuvres s’envoleront au Cambodge, quel sens mets-tu à cette destination ?

 

Je réponds à l’invitation d’Erick Gonzalès, un artiste plasticien installé à Phnom Penh, pour une exposition dans sa galerie et à la biennale d’art contemporain Penh Art. Je démarche peu mes expositions, ce sont les affinités qui le décident. Cela a du sens car ce sont les œuvres qui ont fait leur chemin, et non moi qui les aies défendues, et c’est une force extérieure qui me déplace à la rencontre de nouveaux regards, de nouvelles vies et vers d’autres réalités. De nouvelles nourritures en somme.

 

Propos recueillis par Audrey Scotto


Alter Echo – Bromure d’argent sur toile artisanale, 50×50. 2021

 

Événement ce mercredi 22/03/23 : Finissage de l’exposition « Constellation de nos lendemains » (qui accompagnait le texte de Gilles Desnots) & présentation du dernier livre de Laurent Bouisset Matin Clone, dont les illustrations furent réalisées par Nicolas Guyot.

Lecture au Moulin des contes, rue du Puits, 83400 Hyères. À 19h00 – Durée : 25 mn, accompagné d’un pot de l’amitié et d’échanges avec les artistes.

 

 

 


 

Notes:

  1. Plusieurs thèmes se dégagent des travaux de Hans Belting : l’anthropologie comparée du regard ou des relations des hommes aux images (comme dans Florenz und Bagdad) ; l’histoire de l’art comme structure de représentation et mise en forme d’un discours spécialisé ; et celui mené avec Peter Weibel et Andrea Buddensieg sur les enjeux de la globalisation du marché de l’art dans le prisme des rivalités politiques ou économiques.